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CHAPITRE 3 LA COMMUNICATION DES CADRES DE SANTE PAR LE PRISME DU NOUVEAU

3.1 Déconstruction/reconstruction du métier de cadre de santé

3.1.1 Une profession fortement marquée par un héritage social et solidaire

A l’instar des instances hospitalières, le métier de cadre de santé est hérité d’une tradition originellement religieuse. Plus particulièrement, il va de paire avec l’évolution du statut des infirmiers, de leur professionnalisation et de l’évolution du modèle social des femmes. Aussi, afin de comprendre en partie cette évolution, il convient de faire un détour par une petite histoire religieuse de la profession.

Avant l’avènement du christianisme, la figure traditionnelle associée au soin était incarnée par les guérisseuses, les chamanes, les druides, les wiccanes etc., bref, les femmes « païennes » (terminologie associée après l’avènement du christianisme), religieusement attachées à la constitution d’un savoir empirique de la nature et de ses bienfaits sur le corps. Or, le développement du christianisme en Europe va frapper d’interdit toutes ces pratiques autour de la nature et du corps et diaboliser la figure des guérisseuses en faisant d’elles des sorcières. Il convient de noter que ce bouleversement idéologique est accompagné d’une première évolution de la fonction de soignant : les pratiques de soins, telles qu’envisagées dans le paganisme, étant interdites aux femmes, elles sont encouragées à devenir des « femmes consacrées », c’est-à-dire destinées au service des malades et des nécessiteux. Avec l’évolution des congrégations religieuses en structures hospitalières, on peut noter que les métiers d’encadrements des soins émergents selon la hiérarchie ecclésiastique de la congrégation. Ainsi, on peut trouver les traces des premières fonctions d’encadrement et de surveillance infirmières en la personne de la supérieure religieuse. Dans sa thèse, Hamilton (1900) nous apprend que deux modèles d’encadrement coexistent alors en France :  Un premier issu de la congrégation des filles de la charité fondée par Saint Vincent de Paul en 1617 : au départ personnel soignant, les infirmières deviennent à partir du XIXe siècle des personnels encadrant. Ainsi, les filles de la charité (« sœurs cheftaines ») habituée à vivre dans le cadre stricte et organisé de la congrégation étaient chargées de la surveillance des infirmiers et infirmières professionnels, des cuisines, des buanderies, des celliers et des

AZNAR MARINE - MEMOIRE M2 MAC - ANNEE 2015/2016 Page 62 lingeries des hôpitaux. Dans chaque hôpital, elles dépendaient de l’autorité de la Supérieure, du Supérieur Général et du Supérieur des Pères.

 Un second issu des hôpitaux de Lyon : à l’époque on peut dénombrer sept hôpitaux dans Lyon, dirigés par une direction générale composée de vingt-cinq membres du Conseil Général. Dans chaque hôpital, les « mères des novices » étaient choisies par un administrateur, pour diriger, surveiller, organiser, étudier les nouvelles recrues et faire des rapports de compétences sur ces dernières à l’administration.

Il est intéressant de noter que dans ces deux modèles traditionnels d’encadrement on pourrait remarquer les caractéristiques actuelles de ce que nous appelons la gestionnarisation des métiers de cadres. Est-ce à dire que nos hypothèses seraient mises à mal pour autant ? Si, en effet, à l’époque les filles des congrégations étaient recrutées pour être totalement dévouées à l’organisation, la gestion et la surveillance, comment expliquer que les cadres de santé d’aujourd’hui se considèrent comme des personnels soignants ?

À la fin du XIXe siècle, la révolution pasteurienne entraîne la nécessité d’une professionnalisation et une technicisation des métiers de soin. Les médecins se trouvent alors obligés de déléguer certaines tâches à des personnels subalternes. Par ailleurs, le débat sur la laïcité dans les structures hospitalières remet également en cause le rôle traditionnel de prise en charge des malades dans les hospices par les religieuses. Les premières écoles d’infirmières se développent après la création, en 1876, de l’école des Sociétés Croix-Rouge. De fait, il semble que la professionnalisation des infirmiers aille de paire avec la professionnalisation de la médecine. Le développement des compétences techniques et l’élargissement des domaines d’intervention des infirmiers auraient obligé la profession de cadre à s’adapter à cette évolution. Cela signifie que traditionnellement, la fonction du cadre de santé a été d’organiser, planifier les présences, les repos, surveiller le bon déroulement des actes médicaux. A partir des années 1950 (apparition des premières écoles de cadres), les cadres vont devoir jouer un rôle actif dans la professionnalisation des infirmiers, notamment concernant les compétences techniques et relationnelles. Il s’agit, en outre, d’engager un travail d’expertise, de fixer des normes de soins et de perfectionner les méthodes et les contenus de formation de chaque domaine médical spécifique (Magnon, 2006). Le décret du 18 août 1995 (n°95-926) met en évidence la nécessité de créer un diplôme commun afin de décloisonner les spécialités hospitalières et acquérir un langage de formation commun : le surveillant devient alors « cadre de santé ».

Il nous semble qu’à travers la notion d’encadrant santé se jouerait, en plus de l’idéal social et solidaire véhiculé par l’héritage religieux de la fonction, un enjeu de transmission et de coordination

AZNAR MARINE - MEMOIRE M2 MAC - ANNEE 2015/2016 Page 63 des soins. Finalement, il nous semble que ce serait la professionnalisation des métiers de soins directs (médecins, infirmiers etc.) qui auraient donné à la mission des cadres de santé sa caractéristique, non pas d’acteur direct, mais de responsable des soins, non moins chargée idéologiquement. Or, il nous semble que pour répondre à cette responsabilité, il faudrait pouvoir adhérer à un certain idéal social de communication. Selon nous, cet idéal se traduirait par une fonction plus orientée vers l’animation et la gestion des ressources humaines que vers le contrôle strict des activités de soin. Ainsi, il nous semble que la professionnalisation des cadres de santé s’appuierait sur des compétences à la fois communicationnelles et relationnelles répondant à des enjeux métiers de reconnaissances et de légitimité au sein des collectifs métiers. Or, nous le verrons par la suite, il nous semble que cet idéal métier fondé sur des compétences communicationnelles et relationnelles attendues pourrait être mis en difficultés par ce côté inné induit par les impératifs de gestionnarisation.