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CHAPITRE 3 LA COMMUNICATION DES CADRES DE SANTE PAR LE PRISME DU NOUVEAU

3.1 Déconstruction/reconstruction du métier de cadre de santé

3.1.2 Gestionnarisation de la profession

Issu de l’ancienne tradition infirmière et encore aujourd’hui de la profession d’infirmier, le cadre de santé serait donc avant tout un soignant. Or, nous venons de mettre en évidence que la fonction de cadre consistait à être responsable des actes de soins perpétrés par les infirmiers. Si par rapport à leur fonction première d’infirmier, passer cadre consiste, a priori, à mettre un pied dans l’univers de la gestion, il nous semble que depuis les années 1990 on assisterait à une accentuation du phénomène de gestionnarisation de la profession, mettant en question la construction de l’identité professionnelle du cadre. Techniquement, le cadre de santé se définit comme un soignant appartenant à une des quatorze professions paramédicales (audioprothésiste, diététicien, ergothérapeute, infirmier, manipulateur en électroradiologie médicale, masseur- kinésithérapeute, opticien-lunetier, orthophoniste, orthoptiste, pédicure-podologue, préparateur en pharmacie, professions de l'appareillage, psychomotricien, radio physicien, technicien de laboratoire de biologie médicale). Pour accéder au statut de cadre, il doit pouvoir justifier au moins quatre années d’expérience professionnelle et réussir le concours d’entrée à l’IFCS qui lui permettra, par la suite, d’accéder à dix mois de formation. À la suite de cette formation, les cadres ont le choix entre deux orientations professionnelles : formateur en école professionnelle ou manager d’unité de soins. Comme nous avons pu le voir précédemment, c’est en 1995 que l’appellation « cadre de santé » fait son apparition, entraînant le regroupement des certificats professionnels sous une appellation commune. Nous souhaitons émettre l’hypothèse selon laquelle, ce langage commun et unifié autour de certificats professionnels originellement pluriels marquerait un tournant de la profession induit

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Nous devons toutes les références et la trame argumentative de cette sous-partie à la présentation que nous ont faite J. Pavillet et P.-P. Dujardin, partenaires de recherche CHU du projet POLISOMA, en Août 2015 sur les cadres de santé.

AZNAR MARINE - MEMOIRE M2 MAC - ANNEE 2015/2016 Page 64 par une volonté administrative de décloisonnement et le développement des compétences en management et en gestion.

Est-ce à dire pour autant que ce tournant des années 1990 aurait recomposé la mission du cadre de santé ? Selon le répertoire des métiers, elle serait la suivante : «Organiser l'activité paramédicale, animer l'équipe et coordonner les moyens d'un service de soins, médico-technique ou de rééducation, en veillant à l'efficacité et la qualité des prestations ». Il s’agirait donc pour le cadre d’organiser les moyens. En tant que responsable de la gestion des ressources humaines d'une équipe paramédicale pouvant dépasser les cinquante personnes, la gestion, notamment du planning, apparaît essentielle voire vitale au bon fonctionnement du service. C’est ainsi, qu’il peut être amené à passer 50% de son temps à la régulation de l'absentéisme (Sainsaulieu 2008 ; Véga 2008). Il convient de noter que cette gestion des activités cliniques ne concernerait pas seulement les équipes paramédicales, les cadres doivent aussi prendre en compte les activités cliniques programmées par le corps médical. Par ailleurs, il lui serait alloué de gérer les flux de patients, entrant, sortant ou en transfert entre les unités et de ce fait, il serait chargé des relations avec le patient et sa famille. Enfin, il serait également responsable des approvisionnements, des équipements et de leur entretient. Cette description métier somme toute très claire du point de vue des impératifs gestionnaires à respecter nous pose question : si les futurs cadres sont formés explicitement à un métier de gestion, qu’est-ce qui les conduit, eux, soignants, à vouloir devenir cadre de santé ? On peut identifier dans la littérature deux types de motivations. Certains auteurs soulignent la volonté de professionnels à se soustraire de l'autorité médicale (Dumas et Ruiller, 2011 ; Langlois, 2008), sortir de l'ombre face à l'omnipotence de la structure médicale et hospitalière (Divay et Gadea, 2008). On peut relever par ailleurs une volonté forte et assumée de soigner autrement en s'inscrivant dans une dynamique gestionnaire (Sainsaulieu 2008).

En somme, il nous semble que les candidats au poste de cadre de santé seraient des soignants insatisfaits des protocoles et des conditions de prise en charge des patients et qui projetteraient dans la fonction d'encadrement une plus grande autonomie décisionnelle. Cela leur permettrait, a priori, de conduire des projets d'amélioration de l'organisation de la qualité des soins (Lépine, 2012 (a) ; 2012 (b)). Il s’agirait ainsi, de participer et de s’impliquer dans la vie institutionnelle de l’organisation afin de lutter de l’intérieur contre des conditions de mise en œuvre non adaptées de réformes comme le NMP. Aussi nous semble-t-il très important de souligner que sur le principe, les cadres seraient favorables aux réformes elles-mêmes, ce qu’ils contesteraient ce serait la mise en œuvre (Sainsaulieu, 2012 ; Lépine, 2012b) de ces réformes. Or, dans le cas du NMP, ces mises en œuvre ont bien eu lieu et le cadre semble devoir alors composer avec les anciens et les nouveaux impératifs de sa profession. De fait, on ne peut pas dire que des réformes comme le NMP

AZNAR MARINE - MEMOIRE M2 MAC - ANNEE 2015/2016 Page 65 auraient radicalement transformé la mission des cadres de santé, cependant il nous semble qu’elles auraient accentué la spirale gestionnaire dans laquelle serait prise la profession.

Dans ce contexte, la question se pose de savoir si l’on peut réellement être cadre « de proximité » en étant cadre « gestionnaire » ? Et il nous semble que cette bascule ou cette tension serait au cœur de la mutation de l’identité professionnelle du cadre. Alors qu’en théorie et en pratique, le cadre de santé serait présenté comme ayant un rôle central dans l’articulation de toutes les parties d’un service (patients, familles, soignants, médecins, hiérarchie, services techniques, administratifs, logistiques, informatiques, etc.), il semble que la pluralité de ses missions et de ses identités professionnelles fasse de lui un élément à la fois central et marginal dans l’organisation. Ainsi, l’accentuation de la dimension gestionnaire de sa profession semble le confronter à une multitude de projets institutionnels et de protocoles de gestion administrative à mettre en place pour répondre aux injonctions d’une régulation macroscopique. De ce point de vue, on peut noter la prolifération d’outils de gestion et de contrôle (logiciels de planification, statistiques médicales, reporting, réunions, circulaires etc.) qui participeraient d’un dispositif de régulation et de formalisation à une dimension bien plus générale que la dimension située du travail quotidien. Il semble, par surcroît, que cette injonction à participer à la régulation macroscopique de l’activité interfère avec la mission de proximité du cadre. De fait, faute de temps et de marge de manœuvre, sa mission consisterait alors, concrètement, à « organiser le travail d'organisation » (Detchessahar, Grevin, 2009, p.36). De plus, on peut imaginer alors que pourrait s’installer une discordance fondamentale entre la volonté de mettre en place un management participatif (relatif à la mission « de proximité ») et la mise en œuvre obligée, par les circonstances gestionnaires, d’un management directif (Sainsaulieu, 2008 ; Bouffartigue, 2008). Ainsi, de deux choses l’une, on pourrait avancer que cette discordance serait le fruit de la transformation de la mission d’encadrement du cadre à celle de management. La différence entre les deux notions peut apparaître subtile cependant, il nous semble que le management mobiliserait beaucoup plus d’enjeux communicationnels que l’encadrement. Enfin, il nous semble que la mobilisation de ces enjeux communicationnels pourrait participer à une forme rupture de sens uniquement affleurée, voire impensée à un double niveau : relationnel d’abord (hiérarchie/cadres, infirmiers/cadre) et individuel ensuite (cadre/mission et identité professionnelle).

3.1.3 Le rôle des TIC dans la reconstruction de l’identité managériale du cadre de santé