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PROFESSEUR EN MÉDECINE A GŒTT1NGUE (

Dans le document L'HOMME MACHINE SUIVI DE L'ART DE JOUIR (Page 55-67)

] )

CE

n'estpoint iciune Dédicace; vous êtesfort au-dessus de tous les élogesqueje pourrais vous donner;etjeneconnaisriendesiinutile, ni de si fade, sice n'estun Discours académique.

Ce

n'estpointuneExpositiondelanouvelleMéthode quej'ai suivie pour relever un sujet usé et rebattu.

Vous lui trouverez du moins ce mérite; et vous jugerez aureste sivotredisciple etvotreami a bien rempli sacarrière. C'est leplaisirquej'ai euà com-poser cet ouvrage, dontje veux,parler; c'est moi-même, et non

mon

livre queje vous adresse, pour m'éclairer surla nature de cette sublime Voluptéde l'Étude. Tel est lesujet de ce Discours. Je ne serais pas le premier écrivain, qui, n'ayant rien à dire, pour réparer la stérilité de son imagination, aurait pris un texte,il n'y en eut jamais. Dites-moi donc, double enfant d'Apollon, Suisse illustre,

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DÉDICACE

Fracastor(2) moderne, vousqui savez toutà la fois connaître, mesurer la Nature, qui plus est la sentir, qui plus est encore

V

exprimer ; savant Médecin, encoreplusgrandPoète, dites-moiparquelscharmes

V

Étudepeut changerles heures en moments; quelle estla nature decesplaisirsde Vesprit, si différents des plaisirs vulgaires...

Mais

la lecture de vos charmantes Poésies m'en a trop pénétré moi-même pour que je n'essaie pas de dire ce qu'elles m'ont inspiré. L'homme, considéré dans ce point de vue, n'a rien d'étrangerà

mon

sujet.

La

volupté des sens, quelque aimable et chérie qu'elle soit, quelques éloges que lui ait donnés la

plumeapparemmentaussireconnaissantequedélicate d'un jeune médecin français, n'a qu'une seule jouis-sance quiestson tombeau. Sileplaisirparfait nela tue point sans retour, il luifaut un certain temps pourressusciter.

Que

lesressourcesdesplaisirsde l'es-pritsontdifférentes!plusons'approchedela Vérité, plusonlatrouvecharmante.

Non

seulement sa jouis-sance augmente le\ désirs, mais on jouit ici, dès qu'on cherche àjouir.

On

jouit longtemps, et

cepen-dantplusvitequel'éclairne parcourt. Faut-il s'éton-ner si la volupté de l'esprit est aussi supérieure à

celle dessens, que l'esprit est au-dessus du corps?

l'esprit n' est-ilpaslepremier des sens, et

comme

le

rendez-vous de toutes les sensations?

N'y

aboutis-sent-ellespas toutes,

comme

autant de rayons, à un

DEDICACE

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centrequi lesproduit?

Ne

cherchons doncplus par

quels invincibles charmes, un cœur que V amour de la Véritéenflamme,se trouvetoutà coup transporté, pour ainsi dire, dans un

monde

plus beau, où il goûte des plaisirs dignes des Dieux.

De

toutesles attractions de la Nature, la plus forte, du moins pour moi,

comme

pour vous, cher Haller, est celle de la Philosophie. Quelle gloire plus belle, que d'être conduit à son temple par la raison et la sagesse! quelle conquête plus flatteuse que de se soumettre tous les esprits !

Passons en revue tous les objetsde cesplaisirs in-connus aux âmes vulgaires.

De

quelle beauté, de quelle étendue ne sont-ils pas? le temps, l'espace, l'infini, la terre, la mer, le firmament, tous les éléments, toutes les sciences, tous les arts, tout entre dans cegenre de volupté. Trop resserrée dans

les bornes du monde, elle en imagine un million.

La

nature entière est son aliment, et l'imagination son triomphe. Entrons dans quelque détail.

Tantôt c'est laPoésie ou laPeinture, tantôt c'est la Musique ou l'Architecture, le Chant, la Danse,

etc. qui font goûter auxconnaisseurs des plaisirs ra-vissants. }'oyez la Delbar (femme de Piron) dans une loge d'Opéra; pâle et rouge tour à tour, elle

a la mesure avec Rebel, s'attendrit avec Iphigénie, entre enfureur avec Roland, etc. Toutesles impres-sions de l'orchestre passent sur son visage,

comme

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DÉDICACE

sur une toile. Ses yeux s'adoucissent, se pâment, rient, ou s'arment d'un courage guerrier.

On

la

prend pour une folle. Elle ne l'est point, à moins quil n'yait de la folie à sentirleplaisir. Elle n'est quepénétrée demille beautésquim'échappent.

Voltaire ne peut refuser des pleurs à sa

Mé-rope; c'est qu'il sent leprix et de l'ouvrage et de l'actrice. Vous avez lu ses écrits, et malheureuse-ment pourlui, iln'estpoint enétat delire lesvôtres.

Dans

les mains, dans la mémoire de quine sont-ils

pas? et quel cœur assez durpour ne point en être attendri! comment toussesgoûtsnese

communique-raient-ilspas? Il enparleavec transport.

Ou' ungrandpeintre,jel'aivuavecplaisirenlisant ces jourspassés la préfacede Richardson (3), parle de la peinture, quels éloges ne lui donne-t-ilpasY

iladoreson art, illemetau-dessusde tout, ildoute presque qu'onpuisse être heureux sans être peintre.

Tant ilestenchantéde sa profession!

Qui

n'apassentiles mêmes transportsque Scali-ger, ou le Père Malebranche, en lisant quelques belles tirades des poètes tragiques, grecs, anglais, français, ou certains ouvrages philosophiques ?

Jamais

M

rae Dacier n'eût compté sur ce que son

mari luipromettait, et elle trouva centfois plus.

Sil'on éprouveune sorte d'enthousiasme à traduire et développer les pensées d'autrui, qu'est-ce donc

sil'on pense soi-même? qu'est-ce que cette

généra-DEDICACE

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tion, cet enfantement d'idées que produit le goût de la Nature et la recherche du vrai?

Comment

peindre cet acte de la volonté ou de la mémoire, par lequel l'âme se reproduit en quelque sorte, en joignant une idée à une autre trace semblable,pour que de leur ressemblance et

comme

de leur union, il

ennaisse une troisième; caradmirez lesproductions de la nature. Telle est son uniformité, qu'elles se fontpresque toutes de la

même

manière.

Lesplaisirs des sens

mal

réglésperdent toute leur vivacitéetne sontplus desplaisirs.

Ceux

de

V

esprit leur ressemblent à un certain point. Il faut les suspendre pour les aiguiser. Enfin l'étude a ses extases,

comme

l'amour. S'il m'est permis de le dire, c'est une catalepsie ou immobilité de l'esprit sidélicieusement enivrédel'objet qui lefixe et

V

en-chante, qu'il semble détachépar abstraction de son propre corps et de tout ce qui l'environne, pour être tout entier à ce qu'ilpoursuit. Il ne sent rien, àforce de sentir. Tel est le plaisir qu'on goûte, et en cherchant et en trouvant la vérité. Jugez de la puissance deses charmespar l'extase d'Arcfumèdi ;

voussavez qu'elle luicoûtala vie.

Que

les autres

hommes

se jettent dans la foule,

pour nepas se connaître ouplutôt se liair, le sage fuit le grand

monde

et cherche la solitude. Pour-quoi ne se plaît-il qu'avec lui-même, ou avec ses semblables ? (Test que son

âme

est unmiroirfidèle,

50

DEDICACE

danslequelson justeamour-propretrouve soncompte à se regarder.

Oui

est vertueux, n'a rien à craindre de sa propre connaissance, si ce n'est l'agréable danger de s'aimer.

Comme

aux yeuxd'un

homme

qui regarderait la terre du, haut des deux, toute la grandeur des autres

hommes

s'évanouirait, les plus superbes palais se changeraient en cabanes, et les plus nom-breuses armées ressembleraient à une troupe de fourmis, combattant pour un grain avec la plus ridiculefurie

ainsiparaissent leschoses àun sage telquevous.Ilritdes vaines agitations des hommes, quand leur multitude embarrasse la terre et se pousse pour rien, dont il estjuste qu'aucun d'eux nesoitcontent.

Que

Pope débute d'une manière sublime dans son Essai sur

l'Homme

!

Que

les grands et les rois sont petits devant lui.

O

vous, moins

mon

Maître que

mon Ami,

quiaviez reçu de la nature la

même

force de génieque lui, dontvous avez abusé, Ingrat^

qui ne méritiez pas d'exceller dans les sciences; vous m'avez appris à rire,

comme

cegrand poète, ou plutôt à gémir desjouets et des bagatelles, qui occupent sérieusement les monarques. C'est à vous queje dois

mon

bonheur.

Non,

la conquête du monde

entier ne vaut pas leplaisir qu'un Philosophe goûte dans son cabinet, entouré d'amis muets, qui lui disent cependant tout ce qu'il désire d'entendre.

Que

DEDICACE

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Dieu ne m'ôte point le nécessaire et la santé.

c'est tout ce que je lui demande.

Avec

la santé,

mon

cœur sans dégoût aimera la rie.

Avec

le nécessaire,

mon

esprit content cultivera toujours la sagesse.

Oui, l'étude est un plaisir de tous les âges, de tous les lieux, de toutes les saisons et de tous les

moments.

A

quiCicéron na-t-ïlpas donnéenvie d'en faire l'heureuse expérience?

Amusement

dans la jeunesse, dont il tempère les passions fougueuses; pour le bien goûter,j'ai quelquefois étéforcé de

me

livrer à l'amour. L'amour ne fait point de peur à un sage : il sait tout allier et tout faire valoir l'un

par l'autre. Les nuages qui offusquent son entende-ment, ne le rendent pointparesseux;ils nelui indi-quent que le remède qui doit les dissiper. Ilest vrai que le soleil n'écarte pas plus vite ceux de

l'at-mosphère.

Dans

lavieillesse, âgeglacé, oùon n'estplus pro-pre, ni à donnei- ni à recevoir d'autres plaisirs, quelleplusgranderessourcequelalectureetla médi-tation! Quel plaisir de voir tous les jours sous ses yeux et par ses mains croître et se former un ouvrage qui charmera les siècles à venir, et

même

ses contemporains! je voudrais,

me

disait un jour un

homme

dont la vanité commençait à sentir le plaisir d'être auteur,passer

ma

vieà aller de chez moi chez l'imprimeur. Avait-il tort ? et lorsqu'on

HOMME «AlIIIM i

DEDICACE

est applaudi, quelle mère tendre fut jamais plus charmée d'avoir fait un enfant aimable?

Pourquoitant vanterlesplaisirsde Vétude? Oui ignoreque c'estun bienqui n'apporte pointledégoût ou les inquiétudes des autres biens? un trésor iné-puisable, le plus sûr contrepoison du cruel ennui, qui se promène et voyage avec nous, et en un mot nous suitpartout? Heureux qui a brisé la chaîne de tous sespréjugés! celui-là seulgoûtera ce plaisir dans toute sa pureté? Celui-làseuljouira de cette douce tranquillité d'esprit, de ce parfait contente-ment d'une

âme

forte et sans ambition, qui est le pèredubonheur,s'iln'estlebonheurmême.

Arrêtons-nous un

moment

à jeter desfleurs sur lespasdecesgrands

hommes

queMinervea,

comme

vous, couronnés d'un lierre immortel. Ici c'est Flore qui vous invite avec Linnœus, àmonterpar de nouveaux sentiers sur le sommet glacé des Alpes pour

y

admirer sous une autre montagne de neige

un Jardin plantéparles mains de laNature : Jar-dinqui fut jadistout l'héritage du célèbreProfesseur

suédois.

De

vous descendez dans ces prairies, dont les fleurs l'attendent pour se ranger dans un ordre, qu'elles semblaient avoir jusqu'alors dédaigné.

je vois Maupertuis, l'honneur de la nation française, dont une autre a mérité dejouir. Il sort de la table d'un ami qui est leplusgrand des rois.

DEDICACE

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va-t-il? dans le Conseil de la Nature, où Vattend Newton.

Que

dirai-jedu chimiste, du géomètre, du physi-cien, du mécanicien, de l'anaiomiste, etc. ? Celui-ci a presque autant de plaisir à examiner l'homme mortqu'on enaeuàluidonnerlavie.

Mais

toutcède augrandart de guérir.

Le

méde-cin est le seul Philosophe qui mérite de sa patrie, on

Va

dit avant

moi

; il paraît

comme

les frères d'Hélène dans les tempêtes de la vie.Quelle magie, quel enchantement! sa seule vue calme le sang, rend la paix à une

âme

agitée etfait renaître la douce espérance au cœur des malheureux mortels.

Il annonce la vie et la mort,

comme

un astronome prédit une éclipse.

Chacun

a son flambeau qui Véclaire.

Mais

siVesprita euduplaisiràtrouver les règles qui leguident, quel triomphe,

vousenfaites tous lesjours

V

heureuse expérience,

queltriomphe, quand Vévénement en ajustice lahardiesse!

La

première utilité des sciences est donc de les cultiver; c'est déjà un bien réel et solide. Heureux quia dugoûtpour l'étude!plusheureuxqui réussit à délivrerpar elle son esprit de ses illusions et son cœur de sa vanité; but désirable, où vous avez été conduit dans un âge encore tendre par les mains de la sagesse, tandis que tant de pédants, après un demi-siècledeveilles et de travaux,plus courbés sous lefaix des préjugés que sous celui du temps,

scm-54

DEDICACE

hlent avoir tout, appris excepte à penser. Science rare à la vérité, surtout dans les savants, et gui cependant devrait être du moins lefruit de tous les autres. C'est à cette seule science que je

me

suis appliqué dès Venfance. Jugez, Monsieur, sij'ai réussi, et que cet

hommage

de

mon

amitiésoit éter-nellement chéride la vôtre.

t

L

'

H M M E MACHINE

Est-ce ce Rayonde l'Essence Suprême, Quel'on nous peint si lumineux? Est-cecetEspritsurvivantà nous-mème ? 11naît avec nossens, croît, s'affaiblitcommeeux

Hélas ! ilpérira demême.

Voltaihk.

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