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La production de biens en série pour l’amélioration de la vie va être également l’objectif démocratique de toute une diaspora de designers issus de l’École d’Ulm en Allemagne

Dans le document Exposer le design : formes et intentions (Page 57-60)

Héritière du Bauhaus, la Hochschüle für Gestaltung

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d’Ulm est inaugurée en 1955

90

. Un

des enseignants, le designer argentin Tomás Maldonado travaille sur la théorie et ouvre

l’enseignement fondamental à la sémiotique, la théorie de la perception, l’ergonomie et

la cybernétique. Il invite les étudiants à devenir à la fois des praticiens, des commerciaux

et des chercheurs. Grace à la supervision de l’architecte Hans Gugelot, la collaboration

de l’école avec la société Braun donnera lieu à des productions exemplaires de l’idéal

fonctionnaliste. L’école contribue à l’émergence d’un profil de désigner, compétent

comme collaborateur scientifique neutre et coordinateur critique de l’entreprise. Dieter

Rams sera une des figures de ce modèle de designer intégré. Il œuvrera à la conception

des modèles de la marque Braun en apportant une formalisation singulière : grande

simplification des volumes, réduction extrême de la gamme de couleurs, utilisation de la

technique de l’injection, soins apportés aux finitions. Ces créations s’inscrivent dans une

perspective fonctionnelle et ergonomique, tout en manifestant le souci de ne pas

privilégier certaines classes sociales. Ainsi, entre aspirations mercantiles et projet

humaniste, le design via le designer devient un acteur majeur du monde socioéconomique.

85 L’Institut d’Esthétique Industrielle a pour objectif de faire progresser grâce au design la qualité des productions

industrielles. En 1984, cet institut deviendra l’Institut Français du Design dont la mission s’élargira aux nouveaux marchés du design.

86 En 1965, la revue deviendra Design Industrie.

87 Lois d’économie, de l’aptitude à l’emploi et de la valeur fonctionnelle, d’unité et de composition, d’harmonie entre

l’apparence et l’emploi, du style, du goût, de satisfaction, du mouvement, de hiérarchie ou de finalité, commerciale, de probité, des arts appliqués.

88 L’International Council of Societies of Industrial Design deviendra en 2015 la World Design Organization. (En

ligne, consulté le 28 juin 2018) : https://wdo.org/about/

89 Que l’on peut traduire par : haute école de design

90 Elle sera dirigée en 1957 par le graphiste allemand Otl Aicher, le designer argentin Tomás Maldonado et

1.2.2.3. Interrogations : vers une redéfinition du rôle du design

Dans les années 1960, l’expansion économique s’accélère et les pays les plus

industrialisés entrent dans la société de consommation. On peut considérer cette période

comme l’apothéose du design industriel influencé par le modernisme. Une critique de ce

mouvement et plus généralement de la société de consommation commence à se faire

jour. On retrouve les paradoxes de l’époque de la naissance du design au XIX

e

siècle.

D’un côté on s’adonne à la consommation qui contribue à un meilleur mode de vie, de

l’autre on prend conscience des premiers méfaits de l’industrialisation massive. Certains

créateurs s’interrogent plus largement sur les mutations de la société. L’architecte

américain Robert Venturi pose les bases du postmodernisme en design et en architecture

dans les années 1970 et 1980 : fin de la distinction entre culture élitiste et culture

populaire, adoption de valeurs populaires (1966/1999). Le designer Michaël Graves

travaille pour la société Walt Disney. C’est un rejet du modernisme, de l’épure formelle

et de la vérité des matériaux qui a été le courant dominant jusqu’à là. Robert Venturi

déclare en réaction à la formule de Mies van der Rohe

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: less is bore

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. Car pour Robert

Venturi, les objets doivent être aussi expressifs que fonctionnels, et ils peuvent être

décorés d’ornements et de références au passé. Cet emprunt à la culture pop

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s’incarne

avec la création de groupes comme Archigram

94

en Angleterre et Archizoom Associati

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et Superstudio

96

en Italie

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. C’est pour critiquer la société de consommation et ses

conséquences néfastes comme la déshumanisation des centres urbains que ces deux

groupes proposent un raisonnement par l’absurde, qui mène à des projets urbains

utopiques, des fictions qui permettent de mieux questionner le réel. Superstudio appelle

cette stratégie de démontage du fonctionnalisme qui se tourne vers l’étrangeté,

l’ambiguïté et l’utopie, le design d’invention et d’évasion ( Accademia delle arti del

91 Less is more.

92 Que l’on peut traduire par « le minimalisme est monotone »

93 Abréviation de culture populaire, Les designers rejettent la culture élitiste pour s’adresser au plus grand nombre.

94 Le groupe est fondé en 1961 par six architectes : Warren Chalk, Peter Cook, Dennis Crompton, David Greene, Ron

Herron, Michael Webb. Archigram emprunte à la bande dessinée au cinéma de science fiction et s’intéresse aux anticipations technologiques, à la cybernétique pour produire une architecture d’avant-garde, des villes-machine susceptibles de déplacements.

95 Agence de design italienne fondée à Florence par quatre architectes : Andrea Branzi, Gilberto Coretti, paolo

Deganello, Massimo Morozzi et deux designers : Dario et Lucia Bartolini. Leur nom est directement choisi en référence à Archigram. Le groupe restera actif jusqu’en 1974.

96 Agence de design fondée à Florence par les architectes : Adolfo Natalini, Cristiano Toraldo Di francia, Roberto

Magris, Gianpierro Frassinelli, Alessandro Magris, ils seront rejoints par Alessandro Poli de 1970 à 1972.

97 La naissance du groupe se fait à l’occasion de l’exposition Superachitettura. Jolly 2 gallery, Pistoia, Italie.

Décembre 1966. Cette exposition est considérée comme l’acte de fondation de l’architecture et du design radical italien.

disegno, 1982). Andrea Branzi, théoricien du groupe Archizoom Associati dira que ces

projets doivent fonctionner comme « des chevaux de Troie capable de détruire le bon

goût des maisons bourgeoises. » (2006, p. 147). C’est aussi dans la perspective de lutter

contre la culture bourgeoise et la consommation que le designer italien Joe Colombo

choisit d’abandonner la conception d’objet pour de ne plus participer à ce système qu’il

juge irresponsable. Il va alors réfléchir à un projet contestataire : l’antidesign. Contre tous

les objets porteurs d’une symbolique de classe, il propose un design anonyme, peu

couteux, produit et vendu à grande échelle, accessible à tous. Son manifeste

Antidesign est publié en novembre 1969 dans la revue Casabella (Colombo, 1969), il y

présente les principes d’un design qui n’est plus condamné à intervenir uniquement en

tant qu’élément décoratif, fonctionnel, ou esthétique

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. C’est aussi dans cet esprit que

Ettore Sottsass Jr rédige Il controdesign en 1972 ou il dénonce les faux espoirs donnés

par la société de consommation et invite à réagir :

« « Le controdesign, est une colère. [...] Nous sommes nombreux à croire qu’il est aujourd’hui possible (et peut-être même nécessaire) de commencer à réfléchir au fait qu’il existe des problèmes globaux qui ne peuvent être résolus mais doivent être

montrés, pris à bras le corps et exposés » (Carboni, et al., 2006, p. 181)

Dans la lignée des mouvements anti-design des années 1960, Alessandro, Adriana

Guerriero et Alessandro Mendini fondent le groupe Alchimia en 1976. Il s’agit de

dénoncer la faillite du design industriel, et transformer les objets du quotidien par l’ajout

d’éléments, motifs et couleurs empruntés à la culture urbaine. Alessandro Mendini

affirme dans le manifeste du groupe la volonté d’abolir les frontières entre l’art,

l’architecture et le design. Inspirés par leurs créations mais ayant décidé d’aller plus loin

dans la démarche, l’architecte Ettore Sottsass et Michele de Lucchi fondent le groupe

Memphis en 1980

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. Ce groupe attire des designers de toutes nationalités qui produisent

des mobiliers et des objets monumentaux et colorés comme alternatives au bon goût

dominant.

Andrea Branzi reprend dans Le design italien : la Casa Calda (1984/1985) l’analyse de

ces mouvements radicaux italiens qui ont réinterrogé la notion de design. Il y défend un

98 Ces initiatives seront critiquées par Manfredo Tafuri dans le catalogue de l’exposition The new domestic

landscape au MoMA en 1972. Il dira qu’envisagé ainsi l’objet n’est plus intégré dans la société, ces stratégies de

repli sont rétrogrades car elles sont des moyens d’éviter d’affronter la réalité : la situation politique, le système de production et l’avènement de la société consumériste.

design « chaud », c’est-à-dire un design artisanal édité en petite série opposé au design

« froid », industriel. Il défend plus tard dans Nouvelles de la métropole froide, design et

seconde modernité, une véritable alternative au fonctionnalisme qui pose les enjeux d’un

design post-moderne (1988/1991). De son côté, Ettore Sottsass écrit dans la revue Domus

une lettre aux designers pour les exhorter à ne plus être au service d’une culture

industrielle violente et barbare. Pour lui, le design, est devenu un argument de la logique

industrielle et il faut s’y opposer (1990/2013).

En parallèle à ces mouvements radicaux italiens, d’autres courants se développent

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