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Nous avons ébauché au cours de la discussion qui a précédé le fait que la compréhension de l’internationalisation de la R&D relevait des décisions stratégiques mettant en cause un ensemble de variables du comportement de la FMN. Seulement, la compréhension du comportement international d’une firme, remet à relief l’ensemble de ses stratégies internationales d’investissements étrangers. Il en ressort donc que la différence observée au niveau des objectifs de la R&D internationale des multinationales émanent des différences au niveau des stratégies et donc du comportement que ces dernières appliquent dans un pays selon son niveau de développement. C’est ainsi donc que va varier la R&D conformément au modèle de Patel et Vega(1999) en fonction non seulement de l’avantage technologique du pays hôte, mais aussi de celui de la firme s’engageant dans l’investissement.

La multinationalisation des firmes et de leurs activités pose le problème de l’étude de leur comportement. En réalité, les théories des investissements étrangers dont l’essentiel a été présenté ci-dessus ne sont pas loin de proposer les outils adéquats à la compréhension des questions du comportement de la firme multinationale. La décision d’une firme d’internationaliser ses activités a bonnement été présentée par Dunning sur la base de trois avantages. Mais, il est à souligner clairement que l’auteur parle davantage d’une théorie de l’internationalisation des activités productives sans faire vraiment allusion à toute autre

éventuelle activité comme la R&D. Ce qui suscite notre intérêt sur cette dernière est le fait qu’elle paraît la mieux placée pour interpréter le comportement, puisqu’elle en détient les outils analytiques. La technologie de production est donc mise en avant comme raison principale de l’internationalisation des activités de R&D. C’est donc le besoin en connaissance technologique qui est à l’origine du dynamisme dans la théorie de l’internationalisation. Cette évolution va donc par la suite dessiner différents profils d’internationalisation de la R&D selon que le pays est développé ou émergent c'est-à-dire, selon qu’il a besoin de confirmer sa suprématie technologique ou plutôt de rattraper le retard technologique. L’objectif consiste donc essentiellement à montrer dans quelles proportions l’agencement des avantages O et I peut structurer l’internationalisation des activités de R&D.

La décision d’internationaliser une activité revient à la firme, ceci à priori voudrait dire que cette dernière possède certaines compétences et capacités qui la motivent. Ces motivations particulières excluent les déterminants propres au pays de localisation qui servent juste à focaliser l’arbitrage entre plusieurs pays. Les compétences et capacités dont il est question dans le cas présent concernent beaucoup plus les avantages spécifiques de la firme, qui sont susceptibles de contribuer à la réussite de son projet d’internationalisation. Nous allons par la suite étudier les caractéristiques des pays émergents afin de comprendre les questionnements liées à l’internationalisation des activités de R&D. Ce travail contribuera aussi à montrer comment la division du travail s’étend jusque dans la R&D dissipant de la sorte les inquiétudes présumées sur les délocalisations de la R&D dans les pays émergents.

3-1 Les caractéristiques des pays émergents et leurs particularités pour l’internationalisation de la R&D.

Des expressions ont été adoptées ces dernières années pour qualifier les pays suivant parfois le même sentier de développement ou alors des ensembles de réformes similaires pour l’essor de leur développement. D’abord désignés par le terme de pays en transition pour quelques uns, les pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil l’Afrique du Sud, sont aujourd’hui qualifiés de pays émergents. Quelques uns d’entre eux sont à l’origine du basculement de l’équilibre économique mondial, en raison d’un rapide et efficace sentier de développement qu’ils suivent. Chuanli (2010)93 définit un pays émergent comme subissant une pleine

restructuration de son économie avec comme objectif l’orientation vers l’économie de marché

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et la libre entreprise, offrant par ailleurs des opportunités commerciales grandioses, des nécessités de transfert de technologie, et surtout des opportunités pour les IDE94.

Concernant le transfert de technologie vers les pays émergents, il est observé les dernières décennies que l’ampleur du phénomène prend des proportions qu’aucun concept théorique, nous l’avons vu, n’a point prédit. Ces pays selon Heakal(2003)95présentent les

caractéristiques économiques suivantes : forte croissance économique, pays en transition, augmentation continue des IDE à la fois entrant et sortant, puis enfin un risque élevé de l’investissement. A la suite de ces caractéristiques, nous pouvons souligner le fait que ces quatre caractéristiques précédentes sont assez proches de celles que proposent Chuanli(2010)96, à la seule différence que cet auteur a tendance à insister sur l’acquisition

d’une certaine notoriété mondiale par les pays émergents, tant politique qu’économique.

Sur un aspect purement pratique, ces pays présentent pourtant d’énormes différences, telles qu’il reste vraiment difficile de trouver un compromis sur les caractéristiques qui permettront leur reconnaissance. La question de l’internationalisation des activités des multinationales dans les pays émergents semble étroitement liée à un certain risque que comportent ces pays. La littérature traditionnelle parle souvent d’un risque pays, lié au faible niveau des réformes souvent dans le domaine des propriétés privées. Il s’agit entre autres du droit à la propriété intellectuelle, pour ne citer que celui en rapport avec la protection des propriétés technologiques. Ce sont des pays en d’autres termes où la propriété intellectuelle est mal protégée ou simplement même pas du tout, les multinationales n’ont donc pas de motivations d’y investir en production de technologie au risque de les voir copiées.

Lorsque Vernon conçoit le cycle de vie du produit et en prévoit l’acheminement jusque dans les pays en développement, il précise en amont que les activités de R&D et de conception restent dans le pays d’origine. Cette restriction qui est pleine de sens, perd néanmoins de sa valeur dès l’instant où certains pays émergents sont considérés comme les futurs grands marchés de croissance et comme des zones à fort potentiel intellectuel. Tout est donc mis en marche pour que grâce à la conception OLI de l’internationalisation des activités de la firme, la firme multinationale puisse conduire son investissement jusque dans des activités stratégiques comme la R&D. autrement dit, le paradigme OLI est basé sur le fait que

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Cette définition est loin d’être unanime en raison de la multiplicité des caractéristiques que présentent les pays émergents. Nous avons choisi celle qui nous a paru la plus complète et qui se rapproche de nos convictions.

95 Heakal R(2003). What is an emerging market economy? http://www.investopedia.com/articles/03/073003.asp 96

la firme multinationale possède des atouts exceptionnels et spécifiques (assets) qui lui permettent d’exploiter les imperfections des marchés dans les pays de localisation de la multinationale, et que la technologie constitue un de ces atouts, sauf que dans le cadre de notre travail, la technologie est considérée comme étant supérieure à un simple atout, c’est un facteur important à la production. La multinationale possède donc les moyens sinon d’éliminer complètement les risques liés à la contrefaçon de ses recherches, mais néanmoins de les limiter ou de les retarder considérablement, le temps qu’elle profite des revenues de ses innovations. Comment donc se protéger des risques de dépossession du fruit de ses recherches lorsque la protection des droits de la propriété intellectuelle est faible ? Ceci est une question plus en relation avec le domaine juridique lequel, peut malgré tout subir l’influence des politiques gouvernementales visant le renforcement de la protection juridique des droits à la propriété intellectuelle. Nous ne pouvons pas considérer ce risque comme étant nul, toutefois, les firmes mettent sur pied des stratégies pour réduire les pertes. C’est le cas à travers les partenariats de recherche technologique entre firmes, la cession de licences. Nous analysons immédiatement ci-dessous l’ampleur de la R&D internationale dans les pays émergents.

3-1-1 Les investissements internationaux de R&D dans les pays émergents

S’il existe un problème avec la montée des investissements étrangers de R&D dans les pays émergents, il peut être considéré comme une question subsidiaire, dans la mesure où l’incompréhension face à ce phénomène est simplement due à l’absence d’un concept théorique adéquat (si nécessaire, car l’explication théorique concernant les pays développés pourrait aussi bien s’adapter aux pays émergents). Lorsque le WIR 2005 expose la montée de l’internationalisation de la R&D dans les pays émergents, il présente la question sous un angle qui laisse immédiatement penser à une nouvelle vague de délocalisation. En effet la montée de la R&D internationale dans les pays tels que la Chine, l’Inde, le Brésil s’accompagne d’une réduction parallèle des mêmes investissements dans les pays industrialisés. Toujours dans le WIR2005, le cas de la R&D des filiales des multinationales des Etats Unis est présenté, le rapport constate une augmentation de la part des pays émergents passant de 7,6% à 13,5% entre 1994 et 2002. Ces gains proviennent de pertes probables subites par les filiales localisées dans les pays développés dont la part est passée pour les mêmes dates de 92,4% à 84,4%. Nous avons évoqué ci-dessus, qu’il s’agit d’une simple extension des réseaux d’innovation par les firmes multinationales, et non des délocalisations au sens réel du terme, d’autant plus que nombre de ces multinationales augmentent plutôt le nombre de leurs unités de R&D à travers le monde.

Nous établissons ci-dessous différents graphiques pour mieux illustrer les remarques du rapport des nations unies sur les investissements de R&D. Les dépenses de R&D pour les filiales des FMNs des USA sont présentées. Nous observons immédiatement le grand décalage entre les montants destinés aux pays développés et ceux des pays émergents, c’est le premier graphique. Le deuxième graphique quant à lui présente exactement ce que le rapport souligne à savoir les pertes des pays développés, constituant des gains en sommes investies dans les pays émergents. Nous montrons ces faits dans le second graphique à l’aide des taux de croissance annuelle des investissements dans les deux zones en comparaison. Le constat est que les taux de croissance sont plus élevés pour les filiales situées dans les pays émergents, la compensation est ainsi mise en exergue dans le sens où ce qui est perdu par les filiales des pays développés est immédiatement récupéré par celles des pays émergents. Le second graphique présente ses courbes fortement corrélées l’une à l’autre, ce qui pourrait s’interpréter comme étant un comportement identique de la dépense en R&D des filiales des multinationales des USA, bien que ces investissements aient des objectifs et des stratégies différents. Autrement dit, la variation des dépenses en R&D dans le pays développés s’accompagne d’une variation parallèle dans les pays émergents, mais toutefois avec des pourcentages différents.

Au sein même des pays émergents, l’attractivité diffère, quelques uns profitent de la quasi-totalité des investissements étrangers de R&D. Pour revenir au cas des filiales des USA, la Chine vient en tête dans l’ensemble des pays émergents. Sur ce point précis, il est important de remarquer que l’attractivité aux investissements étrangers en capital physique ou en R&D pour revenir au cas qui nous intéresse, est différente selon le pays pris en considération. C’est le point sur lequel la firme multinationale exerce son arbitrage entre plusieurs localisations, c’est donc grâce à ce point que l’importance de l’avantage L du concept théorique OLI devient pertinente. En effet selon la dotation en L de chaque pays, celui-ci va se trouver plus ou moins attractif par rapport aux autres. Les avantages L peuvent être de plusieurs natures, toutefois ils ont tous pour rôle de contribuer à relever le niveau attractif d’un pays vis-à-vis des investissements étrangers directs. Dans cette logique, nous pouvons nous permettre de considérer le pays émergent ou développé qui reçoit le plus d’investissements étrangers comme étant le plus attractif ou possédant le plus de dotation par rapport aux autres. En guise d’illustration, voici ci-dessous le tableau présentant quelques principaux bénéficiaires des IDE de R&D parmi les pays émergents (données des filiales des USA).

Tableau 7 : Dépenses en R&D des filiales des FMNs des USA dans quelques pays émergents (millions de dollars).

Date 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 Brésil 238 249 346 437 446 288 253 199 306 Chine 7 13 25 35 52 319 506 - 646 Inde 5 5 9 22 23 20 - - 80 Afrique du Sud 14 17 18 22 30 14 21 -24 Sources : WIR 2005

L’observation des données de ce tableau montre une augmentation progressive des dépenses de R&D en Chine, elles doublent pratiquement entre 1999 et 2002 (49,4% de croissance)97. Le

Brésil, l’Inde ou l’Afrique Sud connaissent des augmentations moins importantes que celle de la Chine. Il se pourrait à la suite de ce constat se poser plusieurs questions en rapport avec les objectifs et les raisons de la préférence de la Chine vis-à-vis des autres pays. Ces préoccupations feront l’objet d’analyse dans les chapitres suivants, notons déjà néanmoins en ce qui concerne le choix de la localisation que, là encore, les outils nécessaires à l’analyse pourraient se trouver dans la conception théorique OLI ou encore en considérant l’option du stock de technologie publique qui aiderait à limiter le risque lié à la création de technologie privée ou exclusive. L’aspect théorique le plus important à la compréhension des activités des multinationales est implicitement présenté par OLI sous deux principaux aspects.

- L’aspect comportemental du concept OLI

Au-delà des reproches émanant de l’absence de dynamisme, la conception OLI a le mérite tout de même de détenir certains outils nécessaires à l’analyse du comportement de la firme. La prise de décision est une étape qui dépend uniquement de chaque firme (nous omettons volontairement la possibilité de pression politique exercée parfois par les pays émergents), cette dernière devrait donc posséder certaines dotations pouvant lui conférer un avantage concurrentiel et la motivant à prendre des décisions en rapport avec l’internationalisation de ses activités, fussent-elles pour les IDE du capital physique ou pour les IDE en R&D. Cette prise de décision se traduit par des phases que nous observons d’ailleurs dans le cas des pays émergents par l’internationalisation de la production d’abord et ensuite de la R&D dans le cas

97 Contrairement à leur contribution dans les IDE de production qui est aux alentours de 8% à 10% du total, les

multinationales des Etats-Unis sont accrédités de près de la moitié des investissements étrangers de R&D des multinationales.

idéal. Les avantages O et I de la firme peuvent donc être considérés comme responsables de l’analyse comportementale de cette dernière afin que l’évolution soit introduite dans le modèle, puisqu’en réalité les avantages sont de nature évolutive.

- L’aspect localisation du concept OLI

Dans l’aspect localisation, le choix d’un pays par rapport à d’autres est guidé sur la base des avantages L donc des dotations de chaque pays. Pour revenir au cas de la Chine par rapport aux autres pays émergents la préférence est motivée. Ce sont les déterminants de l’internationalisation, cette fois de la R&D qui peuvent passer par le développement d’un système national d’innovation, la présence d’une main d’œuvre qualifiée, la pression politique et plus souvent le coût. Dans les travaux, la Chine ressort très souvent parmi les pays émergents comme le premier choix de localisation de la R&D par les multinationales. C’est ainsi que dans une étude de 2004 menée avec 68 répondants et parue dans le WIR200598, la

Chine est en troisième position derrière les USA et les Royaumes Unies et est préférée par 35,3% de répondants comme destination pour investir en R&D. Les autres pays émergents proches sont en sixième position pour l’Inde avec 25% de préférence, et en onzième position avec 13,2% de préférence le Brésil. Notons néanmoins que la Chine vient brusquement ravir la place au brésil à partir de 1999, conséquence probable de l’évolution de l’attractivité du pays ou simplement de l’accélération de l’investissement en R&D due au caractère particulier que revêt le pays comme usine mondiale, sans oublier les réformes apportées par l’admission à l’OMC en 2001.

Figure 6: Dépenses de R&D des filiales des FMNs des USA, comparaison entre pays développés et émergents

98 Ntons toutefois que d’après les publications plus récentes, la Chine est déjà en seconde position sur le plan

Figure 7: Comparaison des taux de croissance annuelle des dépenses de R&D des filiales des FMNs DES USA dans les pays développés et émergents

Les légendes sont les suivantes pour les graphiques : PD= pays développés et PE= pays émergents

FMNs=Firmes Multinationales

3-1-2 L’ampleur et la tendance des investissements internationaux de R&D dans les pays émergents.

L’extension internationale des activités de R&D des multinationales aurait commencé à gagner de l’ampleur à partir de 1990, note un bref rapport de la National Science Foundation (NSF) sur le cas de la Chine. Nous observons une contradiction entre les prédictions théoriques et les faits empiriques lorsqu’il s’agit des pays émergents, en guise d’exemple, nous revenons sur la prédiction du cycle de vie du produit. Conformément au cycle de vie du produit, les technologies en fin de cycle sont les plus pressenties à la délocalisation, c’est dire, que, avec le relâchement de la contrainte de Vernon qui stipule que les activités de R&D et de conception restent internes à la maison mère, nous nous attendions plus à retrouver que l’extension de la R&D internationale dans les pays émergents concerne à priori les vieilles technologies. En réalité, c’est le phénomène contraire qui est observé. Sur la base de statistiques sur les premières alliances de R&D entre les firmes des USA et celles de la Chine, les secteurs qui y opèrent sont tous à forte intensité technologique (nous observons donc que sur un aspect macroéconomique, les pays ont tendance à internationaliser les technologies sur lesquelles ils ont l’avantage comparatif, ce constat vrai pour les pays développés le devient aussi pour les pays émergents).

Le rapport de la NSF dénote principalement sept secteurs à savoir : le secteur des services ; la programmation informatique et les services de traitement des données (data processing) ; la pharmacie ; le secteur des instruments ; les moteurs de véhicules ; les équipements de communication ; et enfin la fabrication d’ordinateurs. Ce sont les secteurs intensifs en technologie qui sont les principaux conducteurs de la R&D comme montre le rapport, qui s’engagent dans le transfert des technologies et créent des unités de R&D dans certains pays émergents (notons par ailleurs que ces secteurs bien qu’intenses en technologie correspondent à des secteurs traditionnels d’après la définition de Reddy(1997, 2010)). Un second rapport, cette fois du Global Innovation 1000(2007) illustre par quelques statistiques la répartition des investissements de R&D dans les trois secteurs industriels (automobile, électronique et ordinateurs, santé) les plus intensifs en technologie pour différents pays. Les statistiques concernent les cinquante plus grands investisseurs en R&D parmi lesquels ne figure malheureusement aucune entreprise des pays émergents constituant notre étude.

Tableau 8 : Part de quelques pays émergents dans la dépense totale des 50 plus grands investisseurs en R&D.

Secteur automobile Secteur électronique et ordinateur

Secteur santé

Chine 4% 13% 3%

Inde 2% 6% 1%

Brésil 1% - -

Source : Global Innovation report 2007.

Les secteurs qui connaissent l’internationalisation de la R&D dans les pays émergents sont donc plutôt ceux dont l’intensité technologique est très élevée. En effet, chaque pays