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I – Questionnement de départ et hypothèses

La question de la place des personnes en situation de handicap et plus précisément celles présentant une déficience intellectuelle au sein du système scolaire reste, comme nous l’avons vu précédemment, un débat d’avenir qui ne trouvera son aboutissement que dans une véritable refonte de ce système. Mais avant cela, il nous incombe de comprendre comment faciliter cette mutation en tirant les leçons de toutes les expériences d’intégration et d’inclusion mises en place jusqu’alors. La recherche que nous proposons d’explorer se situe donc comme l’une de ces expériences d’intégration mettant en situation pendant un cours d’EPS, des personnes fréquentant deux structures différentes l’une de l’autre : Trois classes d’élèves de sixième issues d’un collège et deux groupes d’adolescents déficients intellectuels issus d’un Institut médico-éducatif (IME). Au regard des caractéristiques de chaque population et de la rencontre de leurs groupes dans une discipline scolaire attachée au développement des conduites motrices (During, 2005, op. cit., Parlebas, 1999) nos interrogations reposent sur la question suivante :

A partir des situations mises en œuvre dans une discipline scolaire singulière, l’Éducation Physique et Sportive (EPS), quels facteurs influencent l’intégration sociale des adolescents présentant une déficience intellectuelle ?

Nous posons à la suite de ces questions les hypothèses suivantes :

- La structure cohésive des réseaux intra et inter-groupe favorise la communication et donc l’intégration des adolescents DI

- La mise en œuvre de certaines situations motrices peut faire obstacle à l’intégration des adolescents DI en cours d’EPS au collège.

Il s’agit donc de comprendre dans quelle mesure la réussite intégrative des adolescents déficients intellectuels est non seulement imposée par des facteurs propres au sujet mais aussi orientée par des facteurs environnementaux favorisant ou limitant des situations de handicap. On voit alors se dessiner deux aspects dans la mise en œuvre de l’intégration (Mautuit, 1990) :

- Donner au sujet les moyens de développer des conduites motrices en partageant les mêmes cours que les collégiens.

- Etablir des réseaux sociaux.

Au carrefour de la loi du 11 février 2005 et de nos préoccupations d’enseignant face à cette diversité, c’est donc presque naturellement que l’idée de cette recherche a germé dans notre esprit. En toile de fond, ce travail permet aussi de réfléchir à la place que l’EPS peut et doit tenir à l’école, tant en milieu ordinaire que spécialisé.

II – Développement de la problématique

1. Les situations motrices en EPS et l’intégration

Les contenus d’enseignement entre les deux systèmes (scolaires et spécialisés), nous l’avons vu précédemment, diffèrent quelque peu. Les situations motrices sont en effet appréhendées de manière différente, ce qui peut accroitre les difficultés d’adaptation de certains des participants.

En cours d’EPS au collège les personnes déficientes intellectuelles sont donc confrontées à de multiples défis. Les activités auxquelles elles participent sont censées mettre en jeu leurs conduites motrices au même titre que les autres élèves. « L’adaptation de leurs conditions de réalisation, et le sens qu’elles peuvent présenter pour l’adolescent sont l’objet d’une vive attention, pour qu’il puisse et désire s’y engager en mobilisant toutes ses ressources et qu’il progresse » (Garel, 2007 op. cit. p. 47).

Cette analyse des conduites motrices des adolescents DI développée en situation d’intégration nous incite à nous poser les questions suivantes :

Les « situations motrices » (Parlebas, 1999) facilitent-elles ou inhibent-elles l’intégration sociale de ces élèves ? La discipline EPS est-elle porteuse de différence intégrative dans son contenu ? Répondre à ces interrogations liminaires se révèle capital, dans la mesure où

l’influence réelle des jeux sportifs doit être établie. D’une part, il est en effet classique de considérer le jeu sportif comme une récréation de l’esprit ou un simple « défouloir » dont l’intérêt ne saurait déborder le temps social qui lui est imparti. Ce constat est parfaitement illustré sous la plume de Pierre Parlebas : « Son statut est dévalorisé et trouble est son image : parfois cité pour rehausser une analyse de son éclat canaille, il est le plus fréquemment relégué au bout du banc comme un invité peu digne d’être montré. Au sérieux du travail, est opposée la frivolité du jeu » (1986, p. 21). En montrant que l’intégration sociale des élèves peut être renforcée - ou même ébranlée - par la pratique des jeux sportifs, le chercheur accomplirait déjà un pas important : celui de rendre manifeste l’impact socialisateur de ces derniers.

Si cette influence de la « mise en jeu du corps » sur l’intégration sociale se révèle effective, la richesse des jeux sportifs devra être explorée. D’autres questions tendront en effet les bras au chercheur : cette intégration sociale est-elle la même pour tous les jeux sportifs ? Si tel n’est pas le cas, quels jeux sportifs l’enseignant d’EPS doit-il privilégier ? En d’autres termes, quelles sont les répercussions de chaque jeu sportif sur notre façon de « lire la différence » ?

2. La notion de réseau indicateur de réussite intégrative

L’observation et l’analyse des interactions sociales constituent, dans un tel contexte une formidable porte d’entrée au décodage des structures et des réseaux endogroupe et exogroupe. L’observation de ces comportements permet notamment de repérer les mécanismes affinitaires qui émergent des relations entre les personnes. Le principe d’intégration entre deux groupes que tout oppose nous amène naturellement à nous poser quelques questions. Les trois classes intègrent-elles de la même manière les adolescents handicapés mentaux ? Ou pour le dire autrement et en référence à notre intégration groupale, les deux sous-groupes de l’IME sont-ils intégrés pareillement d’une classe à une autre ? La structure affinitaire de chaque groupe classe a-t-elle un impact sur les deux sous-groupes de l’IME ? La structure affinitaire de chaque sous-groupe de l’IME a-t-elle un impact sur leur intégration ? Toutes ces questions nous renvoient, bien sûr au fonctionnement des groupes et de leur dynamique ainsi qu’à l’impact praxéologique sur l’intégration. Mais au-delà de celles-ci, nous cherchons donc à mettre en évidence les difficultés que peuvent ou pourraient rencontrer des personnes dont les relations interpersonnelles et fonctionnelles, dans ce contexte, peuvent diamétralement varier d’une personne à une autre.

La notion de réseau nous apparaît alors essentielle dans la compréhension du phénomène d’intégration dans la mesure où l’étude des relations entre les personnes, tant intra-groupe qu’inter-groupe (Sherif, Sherif, 1969), tend à définir des « processus dynamiques de l’interaction sociale » (Maisonneuve, 1968, p. 23). En effet, si l’on se situe à l’interface du sujet et de son environnement on peut considérer qu’en matière d’intégration scolaire, la participation d’adolescents déficients mentaux à un réseau de relations collégiennes, dans un contexte donné, prenant en compte « l’existence de structure latentes et constamment évolutives » des groupes (Anzieu, Martin, 1968, p.170), constitue un véritable indicateur de réussite (Brunet, Doré, 1993). A partir de ces réseaux, on peut alors observer les particularités et les caractéristiques des relations entre deux populations et de leur évolution. Cette notion peut se révéler d’ailleurs d’une importance primordiale en ce qui concerne l’influence de la cohésion groupale sur le résultat d’un objectif attendu. Parlebas (op. cit. p 40) cite d’ailleurs une expérience de Coleman, Katz et Menzel nous indiquant que le réseau des affinités, en comparaison avec des sujets isolés, peut déterminer des comportements différents face à une tâche d’un cas à l’autre.

En outre, les situations dans lesquelles évoluent nos deux populations n’étant pas étrangères aux représentations (Abric 1989, 1994, 1999, Moliner, 2002) des uns vis-à-vis des autres, l’examen des travaux sur la dynamique des groupes et de leur cohésion, nous renseigne plus précisément sur les « mouvances » qui soumettent les groupes face à un environnement. Les travaux de Parlebas sur les réseaux affinitaires nous précisent que de « multiples variables interfèrent pour produire cette résultante d’un fonctionnement groupal qu’on nomme la cohésion : personnalité et affinités des membres du groupe, attitudes et valeurs partagées, nature du contexte et de la tâche, dispositif d’action adopté, résultats obtenus… » (1992, p.154). Toutes ces données chargées de nous renseigner sur la compréhension groupale sont autant d’indicateurs contextualisant la notion de réseau. Cette visée psychosociologique nous rappelle l’émergence de deux processus (Doise 1987, Maisonneuve 1968, Oberlé et Drozda- Senkowska, 2006) amenés à distinguer d’une part puis de comparer d’autre part l’aspect socio-affectif avec l’aspect opératoire de l’activité. Ces deux processus pouvant marier l’affectif au fonctionnel (Oboeuf, Collard, Gerard, 2008) présentent les groupes comme les uns orientés vers le groupe, valorisant ainsi la cohésion socio-affective et les autres orientés vers la tâche, valorisant l’aspect fonctionnel. Ces deux aspects du fonctionnement groupal sont sur le plan théorique d’une grande importance car chargés de nous indiquer les niveaux d’intégration de chaque personne avec comme corollaire la participation sociale de ces derniers.

A partir de la structure de nos différents groupes, l’examen des travaux des auteurs précités nous permet de présupposer l’existence d’un lien entre les possibilités d’adaptation aux situations des adolescents DI et de leur intégration que nous allons mesurer auprès de nos deux populations à l’aide de nos outils méthodologiques développés ci-après. Mais avant tout arrêtons-nous sur les forces en présence dans leur environnement géographique.