• Aucun résultat trouvé

Probl` eme principal de la m´ ecanique statistique

3.2 M´ ecanique statistique

3.2.1 Probl` eme principal de la m´ ecanique statistique

Nous sommes maintenant en mesure d’´evaluer l’apport de la m´ecanique statis- tique en ce qui a trait `a la th`ese forte. `A bien y penser, la m´ecanique statistique ne fournit en rien des ´el´ements de preuve `a la th`ese forte. Premi`erement, elle nous ne permet pas de d´eduire une irr´eversibilit´e des processus thermodynamiques, la th´eorie cin´etique des gaz fait cela, la m´ecanique statistique nous offre un cadre math´ematique pour analyser cette irr´eversibilit´e. Elle fournit du mˆeme coup une formule permettant de d´ecrire la croissance de l’entropie en lien avec les ´etats mi- cros et macros d’un syst`eme, mais `a aucun moment elle n’indique qu’il existe un lien clair entre la croissance de l’entropie et la direction du temps.

Deuxi`emement, la m´ecanique statistique nous dit pourquoi une distribution occupant un plus grand espace des phases est plus ´elev´ee en entropie, mais se

10. “As above, the basis of the law is simple statistical reasoning : there are more ways for a system to have higher entropy, and “more ways” means it is more likely that a system will evolve into one of these high-entropy configurations. Notice, though, that this is not a law in the conventional sense since, although such events are rare and unlikely, something can go from a state of high entropy to one of lower entropy”(Greene 2004, p. 156 )

11. “It would never happen in a million years. And that is the answer. Things are irreversible only in a sense that going one way is likely, but going the other way, although it is possible and is according to the laws of physics, would not happen in a million years. It is just ridiculous to expect that if you sit there long enough the jiggling of the atoms will separate a uniform mixture of ink and water into ink on one side and water on the other.” (Feynman 1985, p. 112)

fondant sur les ´equations newtoniennes du mouvement, qui sont sym´etriques, la m´ecanique est aussi valable pour inf´erer une croissance de l’entropie vers le futur que vers le pass´e.

Troisi`emement, et c’est ici que la situation devient hautement probl´ematique, consid´er´ee d’un point de vue uniquement statistique, il est plus probable que l’en- tropie d’un syst`eme fut plus ´elev´ee dans le pass´e12. Pourquoi ? Deux raisons : parce que les ´equations newtoniennes le permettent, et parce qu’il est plus probable, de fa¸con g´en´erale, de trouver des syst`emes dans un ´etat ´elev´e d’entropie que dans un ´etat plus faible. Ceci est ´evidemment contre-intuitif et va `a l’encontre du second principe de la thermodynamique et de tout ce que nous avons dit jusqu’ici.

Un exemple permettra d’expliciter la situation. Imagions un cube de glace partiellement fondue sur une table. Une observation est effectu´ee `a 10 h constatant un cube plus ou moins fondu. Suivant le second principe, il est ad´equat de postuler que celui-ci devait ˆetre moins fondu lors d’une observation `a 9 h 55, et encore moins `a 9 h 50, et encore moins `a 9 h 45, et ainsi de suite. Appelons cette s´erie d’observations A. Imaginons maintenant une s´erie alternative d´ebutant avec la mˆeme observation `a 10 h, simplement cette fois, il est assum´e qu’une observation aurait permis d’observer un cube plus fondu `a 9 h 55, et encore plus fondu `a 9 h 50, et encore plus fondu `a 9 h 45, et ainsi de suite. Appelons cette s´erie d’observations B. Le probl`eme est que malgr´e que cela aille contre notre intuition, notre exp´erience, ainsi que le second principe, la s´erie B est plus probable, d’un point de vue strictement statistique, que la s´erie A. Ceci tout simplement parce la s´erie B fait intervenir des ´etats plus probables `a chacune des observations. Plus probables, car les ´etats plus ´elev´es d’entropie sont plus probables que ceux moins ´elev´es. Des deux observations, celle de A `a 9 h 50 et celle de B `a 9 h 50, celle de B est plus probable. La mˆeme chose s’applique `a toutes les observations individuelles de ces deux s´eries. Donc de ce point de vue, il est plus probable que l’entropie fut plus ´elev´ee par le pass´e.

Faut-il donc abandonner tout recours `a la m´ecanique statistique puisqu’elle pos- tule pr´ecis´ement le contraire de ce que nous cherchons `a d´emontrer ? Non. Quelques pr´ecisions sont requises afin de mettre cette aporie de cˆot´e et de poursuivre en ne

12. Ce probl`eme est abord´e par Albert (2000, p. 116), Greene (2004, p. 164) et (North 2011, 324), et tous le consid`erent comme le probl`eme majeur sur lequel l’attention devrait ˆetre port´ee.

reniant pas la m´ecanique statistique.

Cette th`ese selon laquelle il est plus probable que l’entropie fut plus ´elev´ee dans le pass´e est vraie seulement dans certaines situations et ne s’applique pas `a la thermodynamique. Cette th`ese fait intervenir des observations discr`etes, alors bien sˆur, chaque observation individuelle faisant intervenir un ´etat plus ´elev´e d’entropie est plus probable qu’une autre observation faisant intervenir un ´etat plus faible d’entropie, mais ceci ne s’applique pas `a la thermodynamique. La thermodyna- mique s’occupe des processus, alors que chaque observation individuelle devrait statistiquement constater un ´etat maximal d’entropie `a cet instant. La thermody- namique est une science des syst`emes, et le temps est essentiel `a la description des syst`emes dynamiques. Les observations ne sont pas en parall`ele, les s´eries A et B font intervenir le temps, il semble donc qu’il s’agisse d’un syst`eme en continu. La dimension du temps ne pouvant ˆetre exclue, deux observations (distinctes et successives) suffisent `a inf´erer que l’entropie s’accroit dans la direction que l’on nomme futur. Consid´er´ee ainsi, l’analyse des syst`emes thermodynamiques avec l’aide de la m´ecanique statistique semble ´ecarter cette difficult´e.

Quoique nous rejetions cette troisi`eme difficult´e issue de la m´ecanique statis- tique, la seconde demeure toujours valide. Cette seconde difficult´e vient du fait qu’il soit possible d’inf´erer une croissance de l’entropie `a la fois vers le pass´e et vers le futur. Afin de contrer cette fˆacheuse situation, il faut faire plusieurs observations en s´erie et constater un accroissement de l’entropie vers le futur. Or, cela n’est pas suffisant, car rien ne garantit que les observations ne constituent pas une fluc- tuation entropique. Cette apparente croissance de l’entropie n’est peut-ˆetre qu’un ´episode de croissance inclus dans une tendance plus g´en´erale `a la baisse. N’ayant pas acc`es `a la totalit´e de l’historique des syst`emes, nous ne pouvons qu’affirmer que l’entropie a augment´ee entre la premi`ere et la derni`ere observation, rien de plus. Ceci n’est pas du tout satisfaisant pour quelqu’un d´etermin´e `a prouver la th`ese forte. Le temps ne semble pas connaˆıtre de fluctuation, il semble toujours couler dans la mˆeme direction : le futur.

Comme les observations en s´erie montrent toujours un accroissement de l’entro- pie, si l’on postule que l’entropie ´etait plus faible cinq minutes avant la premi`ere observation, et encore plus faible cinq minutes auparavant, la mise est sauv´ee. L’entropie croˆıt constamment, car elle ´etait plus faible hier qu’aujourd’hui, et elle

´etait encore plus faible avant-hier qu’hier. De cette fa¸con, l’entropie croit toujours dans la direction que l’on nomme le futur. Afin d’´eviter le r´esultat obtenu par la m´ecanique statistique, d’un accroissement de l’entropie vers le pass´e, nous n’avons qu’`a postuler une entropie tr`es faible vers le pass´e. Pour ´eviter une r´egression `a l’infini, il suffit de postuler un ´etat tr`es faible d’entropie imm´ediatement apr`es le Big Bang. C’est cette postulation que l’on appelle l’Hypoth`ese sur le pass´e. C’est sur cette hypoth`ese que portera la prochaine section.