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Problématiques liées à l’éthique du chercheur 45

3. Les difficultés rencontrées 45

3.1 Problématiques liées à l’éthique du chercheur 45

3.1.1 La question des autorisations parentales

Lorsque j’ai voulu faire passer le questionnaire aux élèves d’Ana, la coordinatrice de la plateforme, m’a mise en garde et a insisté sur la nécessité de faire une autorisation parentale, les élèves en question étant mineurs. Elle m’a aussi interpellée sur le fait que ce questionnaire risquait potentiellement de mettre en danger les élèves parce que certains se sentiraient obligés de mentir. Cependant, je n’ai rencontré aucune agressivité ou attitude négative à mon égard. Les questionnaires sont totalement anonymes, les élèves ne sont pas contraints de répondre si les questions les gênent trop ou leur paraissent trop intrusives.

Alors qu’il avait été décidé avec Ana de distribuer le formulaire d’autorisation parentale que j’avais élaboré, elle m’a finalement expliqué qu’elle ne jugeait pas nécessaire de demander aux parents de signer un tel document et que par conséquent les élèves allaient remplir le questionnaire « tout simplement », qu’elle prendrait la responsabilité totale si jamais des problèmes surgissaient. De son point de vue, puisque les intervenants extérieurs (autres stagiaires, assistantes ou inspecteurs) demandent souvent aux élèves quelles langues ils parlent, d’où ils viennent, et ce sans demander l’accord des parents au préalable, il n’y a pas de raisons que mes questions fassent l’objet d’un traitement particulier : les élèves sont habitués à répondre à ces questions. De plus, demander aux parents une autorisation leur insuffle une méfiance, instaure un doute qui n’a pas lieu d’être et donne au questionnaire un aspect suspect.

Je suis en accord avec ces arguments, d’autant plus qu’au cours de mes observations, j’ai aussi obtenu des informations sur les répertoires verbaux des élèves et leurs origines, renseignements qu’ils m’ont souvent donnés sans que je ne le leur aie posé la question. Le questionnaire est juste un outil me permettant d’obtenir ces indications de manière anonyme, et plus facile à analyser que des conversations que j’ai pu avoir avec certains élèves. A l’issue de cette discussion avec Ana j’ai donc convenu de ne pas transmettre une autorisation parentale aux élèves.

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Le même jour, Salma et moi avons donné le questionnaire à ses élèves (à l’initiative de l’enseignante, ce n’était pas ce qui était prévu dans ma planification, je pensais le faire lors de ma dernière séance d’observation), sans qu’il ait été question de formulaire destiné aux parents. D’un commun accord entre les enseignantes et moi, tous les questionnaires ont donc été remplis sans que les parents en aient été informés.

A mon sens, ce questionnaire ne constitue pas une atteinte au respect des enquêtés, ni ne les met en danger ou ne nuit à leur intégrité psychologique. A aucun moment je n’ai pensé qu’il était nécessaire de demander l’autorisation des parents, les enseignantes ne m’ayant pas non plus interpellée sur cet aspect. Cette omission est peut-être une faute, c’est pourquoi il me paraît important de le signaler ici. En effet, cet épisode met en lumière la question de l’éthique du chercheur en sciences humaines, et pose la question du respect des personnes sur lesquelles se construit une telle recherche. C’est en Amérique du Nord, et plus particulièrement au Canada, que les premières réflexions sur l’éthique ont été menées et que des comités d’éthique ont été constitués (Collignon 2010). Ces comités sont chargés de contrôler que les recherches respectent un certain nombre de critères éthiques. Carine Vassy et Richard Keller (2008) font référence au sociologue canadien Haggerty, qui distingue trois grands principes que font respecter ces comités :

« Le premier consiste à s’assurer que le chercheur ne va pas nuire aux participants. On peut imaginer qu’il pourrait nuire à leur réputation ou à leurs revenus, par la divulgation inconsidérée de données personnelles, ou leur occasionner des traumatismes psychologiques, en leur demandant d’évoquer des souvenirs douloureux. Le deuxième principe consiste à obliger le chercheur à obtenir le consentement éclairé des participants, avant de commencer à recueillir des informations les concernant. Le troisième principe consiste à s’assurer que le chercheur préserve l’anonymat des participants tout au long de la recherche » (Vassy & Keller 2008).

Ces critères trouvent leurs sources dans les recherches en médecine, et ont ensuite été appliqués au domaine des sciences humaines, suite à des plaintes relatives à la spoliation par des chercheurs des droits et de la dignité de la personne humaine, ou de la propriété intellectuelle (Collignon 2010). En France, il n’existe pas, ou exceptionnellement, de tels comités d’éthique, surtout pour les recherches en sciences biomédicales.

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Dans le domaine des sciences sociales, les chercheurs affirment que leurs travaux peuvent difficilement nuire aux participants, puisqu’il s’agit de gagner la confiance et de se faire accepter, par les personnes que l’on observe ou que l’on interviewe (Vassy & Keller 2008). Des critères moraux personnels et professionnels guident les chercheurs en sciences humaines, notamment celui du respect de l’anonymat et du recueil consenti de données. En France, « la formalisation de l’éthique serait en somme anti-éthique, en ce qu’elle ramène la diversité des situations et questions à des catégories et réponses prédéfinies, ne laissant aucune place au jugement des acteurs, en contexte » (Collignon 2010). Pourtant, les réactions que j’ai rencontrées sur mon chemin mettent en lumière la nécessité d’avoir une réflexion plus construite sur les principes éthiques à respecter lors d’une enquête de terrain. Il s’agirait de trouver une voie intermédiaire entre l’approche Nord-Américaine qui propose des critères concrets à respecter, et l’attitude française, qui se caractérise par « une réflexion plus abstraite » (Collignon 2010) sur les enjeux du respect de la personne dans le cadre d’une enquête de terrain.