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Chapitre 1 : Motivations de l’étude, analyse bibliographique et position du problème 23

5. Problématique et motivations 51

Suite à l’analyse de la littérature précédemment présentée, deux aspects fondamentaux n’ont pas encore été évoqués :

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 Le premier concerne le niveau de détail fourni : en effet, la plupart des études partent du principe que les informations détaillées sur les flux de procédé, les niveaux de polluant, la température et autres propriétés intéressantes sont fournies et que ces informations sont toujours disponibles pour toutes les entreprises qui veulent intégrer l’EIP (Kastner, Lau & Kraft, 2015). Cependant, pour la majorité des EIP existants ou potentiels, cette supposition est très optimiste, en particulier quand les entreprises sont concurrentes sur un marché. En fait, ceci est directement lié à la confidentialité industrielle, pratique qu’empêche les autres entreprises de se procurer des informations relatives à la production de leurs concurrents. En conséquence, l’utilité des méthodes énoncées ci-dessus est compromise, car l’applicabilité de la majorité de ces méthodes repose sur la connaissance de toutes les données.

 D’autre part, les méthodes d’optimisation multiobjectif ne sont pas en mesure de fournir une méthodologie systématique pour la conception « optimale » au sens propre du concept. L’intervention d’un décideur externe pour choisir la « meilleure solution » est une étape obligatoire avec ces méthodes. Le décideur choisit alors parmi un ensemble de solutions grâce à des arguments de préférence ou stratégiques. La subjectivité du décideur est très importante dans ces méthodes et, par le manque d’arguments de poids ou soutenus par des théories mathématiques, les entreprises pourraient refuser des réseaux proposés par les régulateurs ou les décideurs.

L’objectif général de ce travail s’inscrit donc dans la catégorie de l’identification et de l’analyse de la faisabilité des EIP, car il consiste à concevoir, en utilisant des techniques d’optimisation, les EIP d’une façon durable. La démarche adoptée vise à concevoir une allocation optimale des réseaux de matière, énergie et utilités. Cela consiste à définir les différents courants (de matière et énergie) liant toutes les unités/usines/entreprises entre elles. En outre, il s’agit également de choisir le niveau de modélisation des procédés ainsi que d’analyser l’impact du détail de la modélisation sur les résultats obtenus. Pour que la symbiose fonctionne, il faut prendre en compte les contraintes imposées par les acteurs mais aussi leurs différents objectifs et que tous soient satisfaits. Ainsi, ce travail vise à proposer une solution liée au problème de confidentialité et à faciliter la prise de décision lors de la conception des EIP. L’approche proposée est inspirée de la théorie des jeux et vise à apporter alors une réponse efficace aux nombreux problèmes environnementaux évoqués précédemment. En effet, par l'introduction d'un designer/régulateur qui

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ne sera pas placé, dans le modèle, au même niveau que les industries, les problèmes de confidentialité sont alors éliminés. Ce designer/régulateur est en charge de la minimisation de l'impact environnemental de l'écoparc. Cette approche permet ainsi de respecter les aspects de confidentialité tout en favorisant les échanges inter-entreprises. Elle propose aussi un modèle parfaitement adapté à l'optimisation de chacun des objectifs des différents acteurs de l'écoparc. Le but est d’atteindre une satisfaction maximale pour chaque entité tout en respectant leur critère de compétitivité et en respectant la confidentialité des données.

Ainsi, l’objectif est de favoriser la création d’écosystèmes industriels par des méthodes d'optimisation de façon à réduire les impacts environnementaux des activités de production. Cette thèse propose de développer des arguments techniques permettant de convaincre les différents acteurs de coopérer afin d’accroitre la compétitivité/ l’attractivité des sites industriels puisque les échanges optimaux permettront de diminuer les coûts de fabrication (énergie, matières) et d’ouvrir vers de nouveaux marchés. L’aspect multi-échelles est ici fondamental car c’est à chacune des échelles (procédé, site industriel, territoire) que des efforts doivent être faits et que l’optimisation doit être réalisée, à l’image des écosystèmes naturels. De fait, dans ce travail, les échanges entre procédés au sein d’une même entreprise (flux intermédiaires) seront optimisés de même que les flux inter-entreprises. C’est à chaque échelle que la conception sera réalisée de façon optimale et pas seulement sur les flux finaux, contrairement à la plupart des exemples de la littérature.

Dans cette optique, ce travail prend comme point de départ la thèse de Boix (Boix, 2011) dans lequel le développement d’une stratégie multiobjectif d’optimisation a été mise en place en utilisant la méthode -contrainte pour construire le front de Pareto du problème. Ensuite, un outil de décision a posteriori a permis de trouver la solution de « compromis » entre les différentes fonctions objectif. Bien que plusieurs travaux aient employé des méthodologies similaires, des problèmes numériques sont rapidement apparus, plus spécifiquement lorsque les modèles sont de grande taille et complexes. En effet, ils contiennent alors un grand nombre de variables et notamment des variables binaires qui rendent la résolution des différents problèmes d’optimisation à traiter plus difficile. Cela est un défi très important dans les problèmes de conception des EIP, car les modèles impliqués sont souvent de grande taille. Par conséquent, dans ce travail on vise en premier lieu à explorer des méthodes de résolution alternatives plus performantes et qui s’adaptent mieux à la nature des modèles multicritères pour la conception des EIP.

A priori, les méthodes d’optimisation multiobjectif requièrent toujours des préférences retenues par le décideur. Donc, une alternative très intéressante et potentiellement envisageable

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pour la conception optimale des EIP est liée à la théorie des jeux et notamment au concept d’équilibre, au sens de Stackelberg et au sens de Nash. Dans cette structure, chaque leader définit sa stratégie correspondante en prédisant d'abord le comportement de chaque follower et la stratégie correspondante de l'autre leader. D’ailleurs tous les followers, choisissent simultanément leurs stratégies en se basant sur la stratégie adoptée par les leaders et les stratégies des autres followers. Ainsi, cette structure détermine un équilibre de Stackelberg entre les leaders et les followers et un équilibre de Nash parmi les leaders et les followers (Kulkarni & Shanbhag, 2014). En fait, un EIP peut être vu comme la congrégation de différents agents « non-coopératifs », (i.e. les entreprises), qui entrent en « compétition » vis-à-vis des ressources naturelles et qui ont comme objectif de minimiser leurs coûts opératoires annualisés ; ils jouent alors un jeu de Nash. Par ailleurs, on peut également envisager un régulateur ou une autorité du parc, qui veille à la minimisation des ressources et/ou aux émissions polluantes ; ce régulateur joue alors un jeu de Stackelberg avec les différentes entreprises. Ce type de jeu Stackelberg-Nash est très intéressant pour la conception d’EIP car le souci de confidentialité entre les entreprises pourrait ainsi être surmonté. En effet, le régulateur est vu comme une autorité impartiale qui pourrait avoir accès à toutes les données nécessaires pour réussir la conception/intégration de l’EIP tandis que les entreprises pourraient garder leurs informations confidentielles sans les partager avec les autres.

Dans le contexte des jeux de Nash bi-niveaux non-coopératifs, une seule solution pour la conception et la gestion d’un EIP peut être obtenue et elle correspond à l’ équilibre au sens de Nash et Stackelberg (Leyffer & Munson, 2010; Kulkarni & Shanbhag, 2014). Par définition, dans cette solution, aucun agent ne peut se dévier unilatéralement pour obtenir des bénéfices, puisqu’une déviation de l’un des acteurs entraine toujours une détérioration de son propre objectif.

Dans le contexte des EIP et par rapport aux solutions obtenues avec des modèles multiobjectif classiques, dans une solution équilibrée au sens de Nash, aucune des entreprises ne serait motivée pour changer sa stratégie de façon unilatérale. L’équilibre de Nash est la solution déterminée par un ensemble de stratégies individuelles dans lesquelles chaque agent choisit sa stratégie optimale en fonction des stratégies optimales choisies par les autres joueurs, ceci est clairement un point crucial dans la conception optimale des EIP. D’autre part, au sens du jeu de Stackelberg, l’équilibre représente le choix des leaders parmi les équilibres de Nash des followers. Ce type de problème est modélisé de façon générale comme un problème multi-leader-multi- follower game (MLMFG), où les rôles des leaders et followers dépendent des priorités de l’EIP, ceci est expliqué en détail dans les articles qui composent cette thèse. Ces différents types de modèles sont constitués par des formulations mathématiques bien définies et complexes, et les

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solutions qui en résultent n’ont pas besoin de l’introduction d’un décideur, comme dans le cas des modèles multiobjectif.

Par analogie avec cet exemple, un modèle MLMFG pour la conception d‘un EIP peut être représenté par un régulateur du parc garant de l’aspect environnemental introduit comme agent leader et les entreprises cherchant à minimiser leur coût comme agents followers. On notera que cette affectation des joueurs peut être inversée, sujet qui est traité dans l’article 3 de ce travail. Cet exemple est illustré dans la Figure 14.

Figure 14. Exemple de la modélisation d'un EIP par MLMFG.

Cette étude représente donc une approche originale pour la conception des écoparcs car il implique à la fois le développement d’une nouvelle méthodologie couplée à une vision élargie des écosystèmes étudiés. Les équilibres de Nash/Stackelberg modélisés via des problèmes multi- niveaux couplés à l’optimisation multiobjectif sont des aspects n’ayant pas été explorés dans les études antérieures pour la conception des écoparcs. Cette méthodologie pourrait permettre d’étudier un volet important qui est la notion de flexibilité des solutions proposées et d’agilité des écosystèmes en cas de variabilité de la production d’un ou de plusieurs acteurs. À travers des études de cas concrets, cette approche permettra également de tester les méthodes développées dans ce projet. Enfin, la vision étendue des écoparcs à un écosystème regroupant différents types d’entités n’a jamais fait l’objet d’étude quantitative d’optimisation. Ce travail permettra ainsi

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d’explorer les types d’interconnexions disponibles avec différents acteurs et de multiplier les types d’échanges (eaux, énergies, matières...).