• Aucun résultat trouvé

PARTIE 1 – DU QUESTIONNEMENT INITIAL À L’OBJET DE LA RECHERCHE

1.3 L’ OBJET DE RECHERCHE

1.3.1 La problématique

Le sujet de recherche retenu, à caractère transversal, est celui des « effets générationnels » générés ou non par les réformes des formations avant et après l’introduction des référentiels dans la formation en travail social tant en France qu’au Québec. Cette recherche propose d’étudier les représentations de l’impact de ces réformes à partir du discours des différents acteurs impliqués afin de croiser les points de vue sur les temporalités du « avant » et du « après » les réformes des diplômes du travail social en France. L’accent est mis sur le référentiel servant de base pour la réforme du diplôme d'État d’assistant de service social pour lequel existe une antériorité (2004). Pour le contexte québécois, la recherche est orientée vers l’analyse de ces représentations au regard de l’introduction des référentiels de compétences par l’Ordre des travailleurs sociaux dans l’organisation professionnelle32.

L’introduction de nouvelles normes gestionnaires pour l’évaluation de la qualité des

services33 dans le cadre du contrôle des établissements et services du secteur public et privé

d’une part, et une législation assez dense apparue dans les années 2000 d’autre part, viennent

encadrer ces procédures en France34. Pour ce qui concerne le Québec, Claude Larivière (2007)

32 Voir « référentiels de compétences des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux », par l’Ordre des

travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, mai 2012,

33 Introduction de la démarche qualité, les « recommandations de bonnes pratiques professionnelles » de

l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico sociaux (ANESM) en France,

34 Citons à titre d’exemple quelques lois majeurs dans le champ : la loi de rénovation de l’action sociale et

37

rappelle que les orientations nouvelles données sont à resituer « face aux impératifs

productivistes et à la mondialisation des orientations en matière de services sociaux et de santé, sous la gouverne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ». Les transformations

qui traversent les CLSC devenus CSSS35 avec la réforme Couillard en 2003 sont issues de la

gouvernance néolibérale de l’État affectant ainsi les pratiques sociales et un cadre contraignant aux intervenants sociaux. Selon Larivière (2007), le travail social a été réduit à « des fins instrumentales » en étant davantage au service de la gestion plus que la population ce qui rejoint les propos de Gaujelac (2010) qui fait mention des préoccupations utilitaristes dans le but d’améliorer la productivité, le faire mieux avec moins. Ces nouvelles logiques d’action et ces transformations rapides au sein des organisations et des programmes sociaux entrainent une nouvelle dynamique dans les relations avec les acteurs du social et dans les pratiques professionnelles. Tout cela véhicule des logiques d’action susceptibles de confronter les valeurs fondamentales du travail social, construites à la base sur des principes humanistes. Ces mutations des services sociaux ne se limitent pas aux frontières de pays en particulier mais qu’elles ont lieu dans l’ensemble des sociétés occidentales telles que France, Québec, Royaume-Uni et même la Suède (Bourque et Grenier, 2017). Dans cette étude, ces éléments de contexte au Québec comme en France nécessitent d’être questionnés quant à leur impact sur les pratiques professionnelles.

En effet, depuis les années 1980, la nouvelle gestion publique (NGP) s’est introduite dans de nombreux secteurs dont la sphère du travail social (Chauvière 2007, de Gaulejac 2009). Le NGP se caractérise par de nouvelles normes gestionnaires inspirées du courant néolibéral afin de permettre à l’État de poursuivre le contrôle et la régulation d’un secteur historiquement construit selon une grande hétérogénéité d’initiatives privées et publiques (Lafore, 2008). Ce courant néolibéral dont est issu le NGP traverse à la fois les organisations de travail dans le champ de l’intervention sociale, mais aussi le secteur de la formation, à l’échelle internationale (Molina, 2013a). L’introduction de la logique « compétence » à travers les référentiels normés, par exemple, en est l’une des illustrations, bien que cette référence néolibérale n'ait pas été explicitement formulée au moment de leur introduction en France. Aussi, et au-delà des effets générationnels, convient-il de s’interroger également sur les effets de ces nouvelles normes gestionnaires sur les processus de professionnalisation

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 qui met en place une nouvelle logique de pilotage de l’action publique dès 2006 ; la loi Hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoire (HPST) de 2009 qui standardise l’acte et rationalise les coûts.

35 CLSC : Centres locaux de services communautaires (créés en 1972) et CSSS : centres de santé et de services

38

(Molina, 2013b), notamment sur le plan méso social (les organisations de travail) et micro social (les parcours biographiques et trajectoires professionnelles).

S’il parait nécessaire d’aller y voir d’un peu plus près sur la nature et les effets de ces contingences du NGP qui semblent affecter les processus de socialisation professionnelle et les pratiques des travailleurs sociaux, il n’en reste pas moins que l’entrée par les « catégories générationnelles » reste un axe privilégié. L’analyse est donc portée sous le prisme des effets générationnels des processus de professionnalisation afin de déterminer en quoi l’introduction des référentiels ou les réformes sont susceptibles ou non d’amener des transformations dans les pratiques professionnelles du travail social.

Les différentes générations selon le sens donné par Gérard Mauger (2009) et les rapports entretenus avec le travail par les « catégories générationnelles » telles qu’elles sont reprises par Dominique Méda et Patricia Vendramin (2010, 2013) constituent des points d’appui théoriques éclairant afin d’analyser les processus de socialisation professionnelle

(Dubar, 2010) pour ce secteur. Les enquêtes dont se fait l’écho les auteurs (Méda et

Vendramin, ibid) proposent une typologie de trois catégories générationnelles dont les attitudes et les attentes à l’égard du travail présentent des points de distinction.

L’analyse catégorielle (Méda et Vendramin, ibid) intéresse notre sujet de recherche tant sur la typologie retenue que sur les pistes et réflexions qu’elle engage. Cette typologie retient trois générations d’actifs : les 30 ans et moins, qui constituent le groupe dit « jeune » ;

les âgés de 31 à 50 ans ou la « génération médiane » ; et les 51 ans et plus ou « groupe plus âgés ». À partir notamment du recoupement d’entretiens compréhensifs adressés à des

cohortes de chaque génération d’actifs, les chercheurs ont cherché à comprendre la vision propre des unes et des autres, leurs motivations, attentes et revendications vis-à-vis du travail, leurs valeurs de référence. Une génération au travail peut en effet se définir comme une cohorte d’individus regroupant des caractéristiques socioculturelles, économiques et technologiques communes. Plusieurs facteurs sont à considérer pour comprendre la façon dont chaque génération développe un rapport spécifique au travail comme les facteurs culturels, économiques et institutionnels. Par exemple, les conditions d’entrée dans la vie active de chaque génération représentent une donnée incontournable pour saisir le contexte sociétal correspondant. Chaque génération est dotée d’une « mentalité » d’une façon spécifique d’appréhender le monde du travail selon les déterminants et modèles socioéconomiques, organisationnels, managériaux, de niveaux éducatifs, qui les préparent. Il

39

existe des corrélations entre une structure sociale du travail et les valeurs de référence d’une génération et du rapport que celle-ci entretient avec le monde du travail (Mannheim, 1928), (Méda et Vendramin, ibidem). Les éléments de recherche montrent aussi que les différences entre générations au travail portent sur :

1) l’équilibre entre vie privée et espace du travail ;

2) la valeur travail et le sens que cela prend dans une vie ; 3) la composition des rôles familiaux ;

4) la structuration du marché de l’emploi et du travail ; 5) les nouvelles formes de management et d’organisation ;

6) la stratification du travail et le caractère désormais non linéaire de celui-ci ;

7) les nouvelles compétences à acquérir (TIC). D’autres variables jouent un rôle dans le rapport au travail ;

8) le genre ;

9) le niveau d’éducation et de formation de la jeune génération.

Plus formée et dotée de diplômes que les générations précédentes, mieux préparée et adaptée à la révolution des TIC la jeune génération (de 30 ans et moins) se heurte néanmoins beaucoup plus au chômage et/ou à la précarisation ; à l’inverse la génération médiane (31 – 50 ans) occupe généralement une position stable sur le marché du travail, mais est plus touchée par l’équilibre à trouver entre vie professionnelle et vie privée ; enfin la génération des 50 ans et plus bénéficie d’une position salariale plus forte en termes de salaires et de revendications syndicales. Cependant, ce sont aussi ceux qui sont les plus fragilisés lors de restructuration. En effet, leurs expériences et leurs qualifications sont soumises à de fortes concurrences et peuvent devenir obsolètes. Au Québec, ils sont à risque d’être disqualifiés par l’affichage de nouveaux postes et les redéfinitions de tâches professionnelles avec l’avènement de la loi 21 (Dutrisac, 2012). En France, un processus de recomposition des professions sociales conduit également vers un processus de déprofessionnalisation (Maubant, Roger et Lejeune, 2013).

Les conditions objectives de socialisation professionnelle de ces trois générations montrent des distinctions, des attentes et attitudes différentes. Par exemple, la jeune

40

génération entretient un rapport plus individuel, plus centrée sur les bénéfices, une protection sociale, des avantages en termes de salaire, une mobilité, une évolution rapide au sein des entreprises. Elle est également soucieuse d’indépendance et de développement personnel. À l’inverse, la génération médiane est plus sensible à l’intérêt du collectif, mais à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le travail occupe une valeur centrale, de référence et la formation continue et demandée occupe un rôle important dans la perspective de la carrière, mais aussi du prolongement du travail au moment de la retraite. L’investissement dans le travail est aussi corrélé au sentiment de sécurité que celui-ci peut apporter. Les attentes de la

3e génération sont plus tournées vers une meilleure reconnaissance de l’expérience

professionnelle. De même, la recherche confirme une hypothèse retenue par les auteures, (Méda et Vendramin, ibidem), à savoir que la jeune génération soit le marqueur d’une nouvelle conception du travail qui s’affirme dans la société. À ce moment, cette génération joue un rôle social important dans sa capacité à initier le changement dans le rapport au travail. Les valeurs expressives et post-matérialistes sont au centre de ses revendications. Ce qui signifie que les « jeunes » se sentent réellement concernés par le monde du travail, mettent en avant leurs formations et niveau de qualification, mais en même temps développent un rapport polycentrique du travail. Ce dernier est bien perçu comme un moyen, en équilibre avec d’autres sphères sociales, plutôt que comme une finalité.

Documents relatifs