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Les évolutions au sein de la formation en travail social dans le contexte français

PARTIE 1 – DU QUESTIONNEMENT INITIAL À L’OBJET DE LA RECHERCHE

1.2 L ES CHANGEMENTS SPECIFIQUES ET COMMUNS AUX CONTEXTES QUEBECOIS ET FRANÇAIS

1.2.2 Les évolutions au sein de la formation en travail social dans le contexte français

La formulation de notre questionnement nécessite de se saisir au préalable du contexte de la réforme des études d'assistant de service social et particulièrement, comment elle s'inscrit dans un mouvement général de réforme de la formation professionnelle. Plus largement, ces nouvelles politiques, déjà en gestation au cours des années 1990 s'inscrivent dans une tendance générale analysée par de nombreux spécialistes des politiques sociales

comme un « tournant libéral ». 19 Ces changements apportent en outre une nouvelle approche

du management des institutions médico-sociales et sociales. Tout comme au Québec, le travail social en France s’inscrit dans l’ère de la nouvelle gestion publique et de la mondialisation des biens et des services.

Dans le secteur de la formation, certains aspects de cette idéologie "libérale" sont identifiables à travers les mesures prises au début du 21e siècle, et notamment la loi sur la

formation tout au long de la vie.20 L'on observe une individualisation accrue des parcours de

formation, une réorientation des contenus de formation vers les besoins supposés de

19 Borraz, O. et coll. Politiques publiques : La France dans la gouvernance européenne. Les Presses sciences Po,

2008.

20 LOI n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue

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l'entreprise et, enfin, une référence à la notion de "marché interne", la formation étant

désormais soumise à des procédures d'appel d’offres21.

Cet ensemble de réformes survenues durant la première moitié des années 2000 a apporté des modifications considérables au dispositif de formation professionnelle dont

l'architecture a été posée par la loi de 197122. Étudions-les sous trois angles : les modalités

d'accès et d'accompagnement de la formation, la détermination et le contrôle de son contenu et la gouvernance des organismes habilités à la dispenser.

1.2.2.1 Un accès aux diplômes professionnels adossé au parcours d'emploi effectif et potentiel de l'individu

La nouvelle complexité du champ est visible d'abord à travers la multiplication des voies d'accès à la formation donnant lieu à un diplôme d'État. Les stagiaires peuvent désormais bénéficier d'équivalences s'ils sont titulaires de diplômes d'un même secteur. En outre, l'admission de stagiaires bénéficiaires de contrats d'apprentissage est encouragée et restructurée en référence aux mesures prises à la fin des années 90'23. En créant le droit individuel à la formation et les contrats de professionnalisation, ces réformes ouvrent la possibilité pour des personnes en situation d'emploi ou chômeur d'effectuer leur formation dans le cadre d'une reconversion professionnelle. La conséquence secondaire de cette disposition est que les centres de formation reçoivent et gèrent désormais un financement par les organismes paritaires pour des stagiaires ne faisant pas partie de l'effectif financé par l'autorité publique (Conseil régional depuis 2005).

En plus de cette multiplication des voies d'entrée en formation, la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle et le dialogue social, ainsi que divers autres dispositifs mettent l'accent sur la notion de "parcours" ou de "trajectoire" individualisé en lieu et place de "diplôme acquis donnant droit à l'exercice professionnel". Tout en maintenant la distinction déjà existante entre formations" initiale" et "continue", ces réformes introduisent de nouveaux

21 Matheson A. (2005). « Après 20 ans de modernisation de la gestion publique, où en est-on ? ». Perspectives

gestions publiques, IGPE, N°13 republié dans Problèmes Economiques, N°2907, pp.16-2

22 Loi du 16 juillet 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de

l’éducation permanente

23 En référence à la loi la loi 92-675 du 17 juillet 1992 dans ses articles 18 à 21 précisant les règles spécifiques

applicables à l’apprentissage dans le secteur public. – confirmée par la loi n° 97-940 en date du 16 octobre 1997.

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droits incitant à considérer la première comme une étape seulement sur une trajectoire à décliner à plus long terme.

Enfin, le point le plus saillant de cette même loi, l'introduction de la validation des acquis de l'expérience permet l'accès au diplôme par des procédures de reconnaissance des compétences acquises et attestées par un travail antérieur. Elle crée aussi la possibilité pour les centres de formation d'accueillir des étudiants en « post VAE », c'est à dire, d'intégrer un cursus « classique » pour l'obtention de la partie de la formation non validée par la VAE.

Plus qu'une diversification de l'offre de parcours individualisés (point sur lequel de

nombreux analystes ont insisté)24 ces modifications à l'accès et au suivi de la formation

apportent un véritable renversement de perspective. Ils placent le stagiaire en position de responsabilité par rapport à la gestion de sa trajectoire, tout en donnant aux commanditaires et financeurs de la formation (employeurs, pôle emploi, Conseil Régional) un droit de regard sur le déroulement de celui-ci. Au lieu de rendre compte au centre de formation de ses résultats scolaires afin de construire sa future employabilité, le stagiaire doit d'abord rendre compte du projet d'emploi posé comme une condition de l'obtention d'un emploi futur.

1.2.2.2 Un contenu de formation déterminé par les normes d’exercice

La « référentialisation » des formations professionnelles se répand en France et en Europe à partir des années 1980 ainsi qu’au Québec à la fin des années 1990. Née probablement dans le monde anglo-saxon, cette approche par la « compétence » a connu une véritable vogue dans un grand nombre de champs de la formation professionnelle. Elle s'inspire de doctrines éducatives complexes intégrant des éléments de cognitivisme, de l’approche socioconstructiviste, de théorie des systèmes et théories éducatives inspirées du

philosophe John Dewey25 et de Donald Schon.26 Cette approche met l'accent sur une norme

téléologique permettant de définir une liste de compétences finalisées. Elle donne au contenu de la formation une place secondaire au profit du résultat final de chaque élément d'apprentissage appréhendé sous l'angle de l'action et de la réflexion sur l'action.

24 Cormier, C. (2011). In Thierry D'Allondans, Une nouvelle dynamique de l'alternance, Thierry Goguel

d'Allondans, Téraèdre, 2011.

25 Voir notamment: Guthrie, H., « Competence and competency-based training: What the literature says ».

Adelaide: National Centre for Vocational Education Research, 2009

26 SCHÖN, D. A. (1994). Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel,

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Cette mise en références des formations suit un processus d'élaboration comportant plusieurs étapes :

1) La fabrication de référentiels au regard des normes de pratique couramment acceptées : Ce processus permet aux représentants des professions de produire une description de l’activité « type » avant de déterminer les compétences nécessaires pour l'accomplir. Ainsi, le contenu de la formation ne trouve plus sa légitimité au regard de connaissances abstraites validées par des experts dotés d'un savoir scientifique. Sa dimension pratique n'est pas justifiée par un idéal commun porté par un groupe de pairs.27 Par un processus de "mise aux normes", il s'agit plutôt de rapprocher le contenu de la formation des pratiques en vigueur aux nomes prévalents au moment de la réforme. Les notions de programme ou de "curriculum" disparaissent.

2) La validation des référentiels par une commission professionnelle consultative composée de représentants des syndicats employeurs et salariés de la branche conduit à l'inscription du

diplôme sur le registre national des diplômes.28 Par ce processus introduit en 2002, l'autorité

du ministère sur le contenu des programmes se trouve considérablement diminuée. Cette validation conditionne la formulation du décret et la mise en œuvre de la réforme.

3) Une fois le référentiel de formation publié, un travail d'information et de promotion de l'information est nécessaire pour qu'il fasse son entrée dans la culture professionnelle. Le fait que ce texte ait été élaboré à partir d'un travail descriptif effectué par des représentants professionnels n’est nullement une garantie de son acceptation par l'ensemble de celle-ci. Concernant la formation d'Assistant de service social, l'acceptation des référentiels a été objet de résistances considérables tant au sein des centres de formation que sur les terrains professionnels. Ces difficultés devront être prises en compte au cours de la recherche menée ici afin de déterminer notamment si « l'effet générationnel » étudié ne relèverait pas en partie d'un regard négatif porté par la génération la plus ancienne.

La « référentialisation » de la formation professionnelle a soulevé et soulève encore de nombreux débats. Il serait réducteur d'assimiler cette modalité au seul fait que l'approche par la compétence oblige le formateur à donner priorité à la capacité à accomplir une activité professionnelle réelle. Plus qu'une réponse aux besoins des employeurs, c'est sans doute à

27 Voir Olivier de Labarthe, "Les référentiels professionnels dans le champ du travail social, Vie Sociale, no 2

2006, p. 50.

28 Créée par arrêté le 11 septembre 2002, il s'agit de la commission professionnelle consultative du travail social

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travers la méthodologie adoptée que l'on peut identifier la dimension "libérale" de ces dispositions : l'accent est mis sur l'efficience des pratiques, l'évaluation est posée en termes d’action et non de reproduction de connaissances, le référentiel permet de rendre "transparent" le profil du poste de travail occupé. Ces valeurs d'efficience, de transparence et d'action

immédiate correspondent dans leur énoncé à celles du New Management Public29

1.2.2.3 Une nouvelle gouvernance des centres de formation

Trois réformes concomitantes ont contribué à rapprocher l'organisation des centres de formation aux principes de la nouvelle gestion publique : la décentralisation ; l'introduction d'un système de déclaration préalable qui remplace l'ancien agrément des centres de formation, des procédures d'évaluation confiées à des cabinets d'évaluation externe.

Concernant la décentralisation, la loi de 200430 confie aux conseils régionaux la

responsabilité du financement des formations des travailleurs sociaux introduisant une séparation entre le commanditaire et le financeur. En distinguant l'instance responsable pour le financement de celle assurant son contrôle technique, la loi remplit une des conditions de création d'un "marché interne" : la séparation entre le fournisseur et le commanditaire.

Cette apparition de la notion de marché va être renforcée par l'introduction d'une procédure de déclaration préalable. Selon la théorie de "l'imputabilité" chère au courant de la

nouvelle gestion publique,31 la responsabilité prise par les établissements de formation ne sera

pas validée définitivement par un agrément délivré par l'autorité publique. Elle est à mesurer au fur et à mesure de la réalisation du service dispensé (la formation) par un processus continu ponctué de temps d'évaluation interne et externe (Audit, procédures d'évaluation de qualité, enquêtes de satisfaction, etc.). La place de l'État dans le contrôle de l'activité du centre de formation est signifiée, enfin, par le fait que ce processus d'évaluation sera confié à des cabinets extérieurs. Pour plus de détails concernant la temporalité de mise en œuvre de la réforme de la formation des ASS et les repères chronologiques, nous référons le lecteur à l’Appendice A concernant les différentes étapes de la réforme des ASS en France.

29 Originand theoretical basis of New Public Management, Gernod Gruening International Public Management

Journal 4 (2001) en ligne www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1096749401000411, consulté le 5

décembre 2013.

30 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales

31 Voir notamment, John Ward, « Le nouveau vocabulaire des standards » en Grande-Bretagne, Vie Sociale, no 2

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