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Chapitre 1 - Introduction : les microhabitats, indicateurs de biodiversité ?

1.5. Problématique et hypothèses de travail

des conditions d’évolution libre de la structure forestière (i.e. sur un gradient qui dépasse celui de l’exploitation forestière). Ces verrous sont enfin d’ordre analytique dans la mesure où peu d’études ont quantifié le lien entre indices de microhabitats basés sur des listes (richesse, abondance, diversité) et biodiversité multitaxonomique. La levée partielle de ces verrous constitue le cœur de mon travail de thèse et est à l’origine de sa problématique générale.

1.5. Problématique et hypothèses de travail

1.5.1 Réduire les incertitudes

L’établissement de procédures standardisées opérationnelles est un prérequis indissociable d’une démarche qualité associée à un recueil de données scientifiques (Allegrini et al., 2009; Ferretti, 2013). Ces procédures et protocoles garantissent la standardisation et la répétabilité des inventaires, avec un bruit statistique et une marge d’erreur faibles. Ils assurent le cas échéant la qualité d’un suivi spatial et temporel (Allegrini et al., 2009; Ferretti, 2013). L’établissement de standards est également une caractéristique des objets frontières (Trompette & Vinck, 2009; Turnhout, 2009) auxquels peuvent être rattachés les indicateurs, et par extension les microhabitats. Ces standards, en dehors d’assurer la qualité des données recueillies, permettent le dialogue entre les acteurs et les disciplines. Dans la mesure où les indicateurs de biodiversité sont avant tout un outil de gestion et d’évaluation, il parait nécessaire d’établir une typologie. C’est l’objet du Chapitre 2 de cette thèse, qui se compose de deux parties sous forme d’articles scientifiques et qui constitue l’apport méthodologique de ce travail. Le premier article (Larrieu et al., 2018, Chap. 2, section 2.1) est issu d’un travail collaboratif basé sur un réseau d’experts et de scientifiques européens. L’intérêt soulevé par les microhabitats a donné lieu à l’établissement de plusieurs typologies partiellement discordantes, établies soit par des scientifiques (Larrieu & Cabanettes, 2012; Vuidot et al., 2011; Winter & Möller, 2008), soit par des gestionnaires (Bruciamacchie, 2005). Afin que la connaissance des microhabitats, des facteurs qui les influencent et du lien avec la biodiversité puissent progresser, il était nécessaire d’établir une typologie de référence. Le premier article propose une typologie morphologique basée sur le lien fonctionnel (établi ou supposé) entre microhabitats et diversité de plusieurs groupes d’espèces, avec une structure hiérarchique, adaptative et évolutive. L’article ne répond pas à des hypothèses spécifiques mais plutôt à une nécessité opérationnelle d’établir un référentiel typologique. Notons que ce travail de thèse n’échappe pas à l’écueil typologique puisque les publications présentées par la suite n’utilisent pas moins de trois typologies qui diffèrent substantiellement. Cependant, les regroupements effectués sont cohérents d’une partie à l’autre, de manière à ce que les résultats, notamment au niveau des types de microhabitats, restent comparables (Tableau 1).

Le second article (Paillet et al., 2015a, Chap. 2, section 2.2) porte sur la quantification de l’effet observateur sur les inventaires de microhabitats. L’effet observateur est une source de biais assez connue dans les inventaires basés sur l’observation et pourtant largement négligé dans les suivis, notamment de biodiversité (Archaux et al., 2006; Ferris & Humphrey, 1999). Réputés accessibles à des non spécialistes, les relevés de microhabitats sont potentiellement aussi sensibles que d’autres mesures et inventaires à l’effet observateur. Du fait de l’intérêt assez récent pour ces structures, aucune étude n’a encore cherché à évaluer l’influence des observateurs, de leur expérience et de la durée d’inventaire sur la qualité de l’observation. Au regard des études publiées sur d’autres types de mesures, l’hypothèse est que les caractéristiques des observateurs (identité, expérience) aussi bien que la durée consacrée à l’inventaire ont des effets forts sur la précision des inventaires, en rapport avec un inventaire de référence (consensus). Ce travail repose sur une expérimentation conduite en forêt de Fontainebleau, sur deux placettes de 0.5ha situées dans une des réserves intégrales historiques (>150 ans sans exploitation forestière) qui ont été cartographiées pour l’occasion. Il a mobilisé 14 observateurs d’origine et d’expériences diverses.

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Larrieu et al. (2018) Vuidot et al. (2011), d’après

Winter et al. (2005) Typologie ENGREF

Forme Groupe Type

Cavités s.l.

Loges de pic

Loge de petite taille (<4cm)

Cavité de pic Loge

Loge de taille moyenne(4-7cm) Loge de grande taille (>10cm) “Flute” de cavités (> 3 en ligne)

Cavités à terreau

Cavité à terreau de pied Grande cavité de pied

Cavité

Cavité à terreau de tronc Cavité à terreau de tronc

Cavité à terreau semi-ouverte

Cavité d’origine naturelle (carie)

Cavité à terreau (cheminée) + contact sol

Cavité à terreau (cheminée) sans contact sol

Branche creuse

Galeries d’insectes Orifices et galeries d’insectes

Concavités

Dendrothelme

Trou de nourrissage de pic Attaque de pic (pour

consommation) Concavité à fond dur de tronc

Concavité racinaire

Blessures et bois apparents

Aubier apparent

Bois sans écorce Absence d’écorce ou

blessure récente Blessure

Blessure due au feu

Ecorce décollée (abri) Ecorce déhiscente (2 types :

avec et sans pourriture) Ecorce déhiscente

Ecorce décollée (poche) Aubier et bois de

coeur apparents

Cime brisée Tête cassée Tête cassée ou sèche

Bris de charpentière Fourche cassée

Fente Fente

Fente causée par la foudre Fente causée par la foudre

Fente au niveau de la fourche Bois mort

dans le houppier

Bois mort dans le houppier

Branches mortes Branches mortes (3 classes

de proportion du houppier : 10-25, 25-50 et >50%)

Branches mortes (3 classes de taille : 5-10, 10-30,>30cm)

Cime morte Squelette de houppier

(arbres morts uniquement)

Ensemble du squelette du houppier

Vestige de charpentière brisée

Excroissances

Agglomérations de gourmands ou de

rameaux

Balai de sorcière Balai de sorcière

Gourmands / Brogne

Loupes et chancres Loupe

Chancre Chancre Sporophores de champignons et Myxomycètes Sporophores de champignons perennes Polypore pérenne Carpophore de polypore (3 classes : 1-2, >3 carpophores, en cascade) Champignon Sporophores de champignons éphémères et Myxomycètes Polypore annuel Agaricale charnu Pyrénomycète Myxomycète Structures épiphytiques, épixyliques ou parasites Plantes et lichens épiphytiques ou parasites

Bryophytes Bryophytes Mousse

Lichens foliacés ou fruticuleux Lichen

Lierre ou lianes Lierre Lierre

Fougères Gui

Nids Nid de Vertébré

Nid d’invertébré

Microsols Microsol d’écorce Pourriture (?)

Microsol du houppier Fourche avec terreau

Exsudats Exsudats

Coulée de sève Eclatement noir avec sève ou

résine + Coulée de sève ou résine (2 types : faible, forte) Coulée abondante de résine

Tronc déchiqueté

7 formes 15 groupes 47 types 26 types 17 types*

Tableau 1 : Comparaison des différentes typologies utilisées dans ce travail. *6 autres types de cette typologie se réfèrent à des caractéristiques individuelles d’arbres (e.g. tortuosité) et ne constituent pas des microhabitats au sens de Larrieu et al. (2018).

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1.5.2 Mieux comprendre les facteurs d’influence des microhabitats à différentes échelles

Qualifiée de robustesse ou de portabilité, la capacité d’un indicateur à conserver le lien avec son indicandum dans diverses situations est un autre prérequis de validation (Niemeijer & de Groot, 2008). Il est donc nécessaire de comprendre quels sont les facteurs qui influencent, en premier lieu, l’indicateur potentiel, dans une optique d’applicabilité à la gestion et d’une contextualisation des niveaux atteignables en l’absence de gestion, par exemple. Dans le cas des microhabitats, les facteurs d’influence peuvent intervenir à au moins deux échelles : celle de l’arbre porteur de microhabitats et celle de la parcelle forestière, notamment en fonction du mode de gestion qui lui est appliqué. L’originalité de cette approche est de travailler sur un gradient de gestion forestière comprenant une part importante de peuplements peu ou pas exploités (réserves forestières intégrales). Ce gradient de maturité élargi permet de discuter des références pour la gestion forestière, en particulier des niveaux atteints en cas d’arrêt d’exploitation forestière. L’analyse de ces facteurs est l’objet du Chapitre 3 de la thèse et comprend deux articles.

Le troisième article de cette thèse (Paillet et al., preprint, Chap. 3, section 3.1) analyse l’influence des caractéristiques individuelles de l’arbre sur la richesse et l’occurrence des microhabitats. Sur la base des travaux antérieurs (Larrieu & Cabanettes, 2012; Regnery et al., 2013b; Vuidot et al., 2011), les hypothèses sont que les indices de microhabitats au niveau arbre varient avec l’essence considérée (avec notamment plus de microhabitats sur les feuillus que sur les résineux), le diamètre (plus les arbres sont gros plus ils portent de microhabitats) et la vitalité (les arbres morts portent plus de microhabitats que les vivants). En comparaison avec les études précédentes, l’originalité de ce travail a reposé sur la capacité d’analyser les interactions entre ces facteurs d’influence et d’intégrer des variables abiotiques (altitude, température, pluviométrie). Cette analyse a été rendue possible par l’utilisation d’un jeu de données issu de relevés effectués dans les réserves forestières à l’échelle nationale. Cette base de données comprenait initialement plus de 8000 placettes pour plus de 100 000 arbres, de laquelle un échantillon analysable d’environ 22000 arbres répartis sur 43 sites à l’échelle nationale a été extrait.

Le quatrième article (Paillet et al., 2017, Chap. 3, section 3.2) compare les densités observées de microhabitats entre zones forestières en réserve intégrale et zones exploitées pour la production de bois. Ce travail cherche à valider plusieurs hypothèses :

(i) Les densités de microhabitats sont plus fortes en réserves intégrales qu’en zone exploitée ;

(ii) Les densités plus fortes observées en zone non exploitée sont liées avant tout à l’abondance supérieure d’arbres porteurs (gros arbres vivants et arbres morts) en réserve, et ce malgré leur faible contribution à la densité totale ;

(iii) De même, l’abondance des microhabitats individuels (types) diffère entre forêt exploitée et non exploitée, certains types présentant des densités plus fortes en forêts exploitées et d’autres (plus nombreux) en forêt non exploitée ;

(iv) Les densités de microhabitats liées à l’arrêt d’exploitation, et donc l’abondance totale de microhabitats, croit avec la date depuis la dernière exploitation de bois (et inversement pour ceux liés à l’exploitation de bois).

Ces analyses reposent sur un plan d’échantillonnage comprenant 222 placettes forestières situées dans 17 sites répartis sur toute la France et qui comparent zones en réserve intégrale et zones exploitées pour la production de bois. Ce jeu de données est issu du projet « Gestion forestière, Naturalité et Biodiversité » associant Irstea, l’Office National des Forêts et les Réserves Naturelles de France (www.gnb.irstea.fr).

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1.5.3 Quantifier le lien avec la biodiversité

Le lien entre microhabitats et biodiversité repose essentiellement sur des bases empiriques expertes et naturalistes (Larrieu et al., 2018). Le lien quantitatif basé sur des approches statistiques solides est plus rare, notamment dans un contexte multitaxonomique. La quantification de ce lien est pourtant un des prérequis essentiels de la validation d’un indicateur de biodiversité (cf. Section 1.1.2.4). D’autre part, on peut supposer un lien causal entre mode de gestion (notamment mise en réserve intégrale, i.e. arrêt de l’exploitation de bois), arbres porteurs de microhabitats (vivants ou morts, notamment ceux de forts diamètres) et microhabitats. L’arrêt d’exploitation, en favorisant le développement d’éléments structuraux caractéristiques de vieilles forêts (Bauhus et al., 2009; Paillet et al., 2015b; Vandekerkhove et al., 2009), aurait un effet positif sur la densité et la diversité de microhabitats. Il pourrait également en découler un effet positif sur la biodiversité. Les microhabitats seraient alors vus comme des médiateurs de la mise en réserve et de l’augmentation des structures typique des vieilles forêts sur la biodiversité.

Ce sont ces hypothèses que j’ai testées dans l’article présenté dans le Chapitre 4 (Paillet et al., in press). Le cadre statistique formel des équations structurelles a été utilisé pour étudier le lien causal potentiel entre arrêt d’exploitation, éléments de structure forestière de grandes dimensions (gros arbres vivants et morts), microhabitats et diversité de trois groupes taxonomiques : chauves-souris, oiseaux et coléoptères saproxyliques. Cet article vient compléter au travers d’un exemple multitaxonomique à large échelle la synthèse de Larrieu et al. (2018, Chap. 2, section 2.1). Il repose sur une partie du jeu de données utilisé pour l’analyse des facteurs d’influence sur les microhabitats au niveau de la parcelle forestière (Chap. 3, section 3.2), complété par des relevés taxonomiques.

Le Tableau 2 résume les principales questions et hypothèses de cette thèse et les jeux de données mobilisés.

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Chapitre Questions Hypothèses Données mobilisées Article Chapitre 2 1. Comment établir

une liste de référence pour l’inventaire des microhabitats en Europe ?

Pas d’hypothèse spécifique Bibliographie et expertise Larrieu et al. Ecol. Ind. 2018 2. Les inventaires de microhabitats sont-ils soumis à un effet observateur ?

Effets forts des caractéristiques des observateurs (identité, expérience, familiarité), et de la durée sur la précision des inventaires

2 placettes de 0.5ha en forêt de Fontainebleau (106 arbres) 14 observateurs Paillet et al. Ecol. Ind. 2015

Chapitre 3 Quels sont les facteurs d’influence des microhabitats ?

A l’échelle de l’arbre : Effet positif du diamètre

Plus de microhabitats sur arbres morts Différence de réponse en fonction de l’essence

Différence de réponse en fonction des conditions biogéoclimatiques

2783 placettes réparties sur 43 sites à échelle nationale (22000 arbres)

Paillet et al. preprint

A l’échelle de la parcelle forestière : Densités de microhabitats plus fortes en réserves intégrales qu’en zone exploitée ;

Densités supérieures en réserve liées à l’abondance de gros arbres vivants et arbres morts ;

Différence d’abondance des

microhabitats individuels (types) entre forêt exploitée et non exploitée ; Augmentation des densités de microhabitats avec la date depuis la dernière coupe.

222 placettes comparant forêt exploitées et non exploitées, réparties sur 17 sites à l’échelle nationale

Paillet et al. For. Ecol. Man. 2017

Chapitre 4 Quel lien entre microhabitats et biodiversité de 3 taxons : chauves-souris, oiseaux et coléoptères saproxyliques ?

Existence d’un lien causal positif entre : L’arrêt d’exploitation ;

Les caractéristiques de vieilles forêts ; La densité et la diversité des

microhabitats ;

La biodiversité des 3 groupes taxonomiques.

213 placettes comparant forêt exploitées et non exploitées, réparties sur 15 sites à l’échelle nationale

Paillet et al. J. App. Ecol. 2018

Tableau 2 : Résumé des questions principales, des hypothèses, des données mobilisées et des articles correspondants dans ce travail de thèse.

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