• Aucun résultat trouvé

Parce que fumer, boire de l’alcool et jouer de l’argent sont en France des activités populaires mais qu’elles causent aussi de nombreux dommages, il est apparu intéressant d’évaluer le niveau de soutien des Français face aux règles édictées par l’État pour encadrer ces consommations et en réduire les dommages. Avant de détailler les hypothèses de cette recherche, il convient d’exposer la problématique.

Section 3.1 - Problématique

La présente étude vise à compléter les études antérieures en examinant et en cartographiant les positions des Français de façon détaillée, concernant les politiques de contrôle de l’alcool, du tabac et des jeux de hasard et d’argent. Elle a été réalisée en France.

En France, comme dans la plupart des autres pays, les perceptions de la population sur le fait de fumer, de boire de l’alcool ou encore de jouer de l’argent sont généralement négatives (Orford, Griffiths, Wardle, Sproston et Erens, 2009).

L’Échelle de contrôle du tabac (ECT) introduite par Joossens et Raw (2006) est un outil quantitatif qui permet une évaluation précise des efforts des pays pour limiter la consommation de produits nocifs. Le score ECT de la France est de 57 (sur 100), ce qui place ce pays à mi-chemin entre le Royaume-Uni (81) et l’Autriche (33) (Lidón- Moyano et al., 2018).

En France, si la publicité et la promotion du tabac ont été en grande partie interdites (score de 10 sur 13), si les hausses de prix par le biais des taxes sont plus élevées, les produits du tabac n’ont pas encore atteint le niveau recommandé (score de 21 sur 30). Les restrictions sur le tabagisme dans les lieux publics peuvent encore être améliorées (score de 15 sur 22) et l’aide à l’arrêt des fumeurs dépendants est à poursuivre (6 sur 10). Côté négatif, l’information des consommateurs reste nettement insuffisante (score de 2 sur 15), les étiquettes de mise en garde sur la santé doivent encore être améliorées (4 sur 10). En comparaison avec le Royaume-Uni, il reste beaucoup à faire en France, même si son classement est 4e sur les 35 pays européens. En ce qui concerne les politiques de contrôle de l’alcool et les politiques de contrôle des jeux de hasard, la France est dans une position similaire.

La plupart des personnes en France, surtout de gauche, considèrent que le gouvernement est directement mis en cause chaque fois que la santé de l’utilisateur d’une substance addictive se détériore. La responsabilité perçue du gouvernement est seulement légèrement atténuée lorsqu’existent des campagnes d’information systématique ou quand le niveau de consommation de la personne est démesuré. Du point de vue des Français, ce serait seulement dans le cas hypothétique d’une interdiction totale de toutes les substances que le gouvernement pourrait être perçu comme dégagé de toute responsabilité (Camus, Lhermite, Muñoz Sastre, Sorum et Mullet, 2016).

La présente étude emprunte une technique de scénario qui a déjà été utilisée dans divers domaines controversés, où les positions des personnes étaient supposées diverses et contradictoires (par exemple, Camus, Muñoz Sastre, Sorum et Mullet, 2014 ; Kamble et Mullet, 2016 ; Kpanake, Patassi et Mullet, 2013). Les mesures des politiques de contrôle peuvent être regroupées en trois catégories : des mesures préventives, des mesures de réglementation et des mesures répressives (Macdonald, Stockwell et Luo, 2011 ; Moskalewicz, Wieczorek, Karlsson et Österberg, 2013). Les scénarios ont été composés en faisant varier les modalités de ces trois grands facteurs. Les participants ont été invités à évaluer le degré d’acceptabilité de chaque stratégie de politique de contrôle résultant du croisement de ces niveaux de facteurs.

Section 3.2 – Hypothèses

En première approximation, les positions de la population peuvent être présentées sur un continuum allant (a) de la considération que la prise de risque est une question de responsabilité personnelle, auquel cas les politiques publiques de contrôle sont malvenues, (b) à la considération que certaines prises de risque sont perçues négativement par les individus car elles affectent l’ensemble de la société, auquel cas les politiques de contrôle de toutes sortes sont absolument nécessaires (Branson, Duffy, Perry et Wellings, 2012 ; Niederdeppe, Bu, Borah, Kindig et Robert, 2008). Par conséquent, plusieurs attitudes, qualitativement distinctes, sont attendues.

Premièrement, la position très attendue serait celle qui exprime un rejet complet de tout type de politique de contrôle (Branson, Duffy, Perry et Wellings, 2012). Dans ce cas, tous les niveaux d’acceptabilité seraient faibles.

Deuxièmement, la position opposée correspondrait à l’idée que les politiques de contrôle les plus acceptables sont celles qui établissent des mesures contraignantes (par exemple, des campagnes de prévention agressives associées à une réglementation stricte et sanctions sévères). Cette position serait proche de celle des « prohibitionnistes progressistes » au sujet des drogues illicites, suggérée par Goode (1998). Dans ce deuxième cas, les niveaux d’acceptabilité varieraient considérablement en fonction des trois facteurs.

Troisièmement, les positions, qui pourraient être attendues parmi les personnes se livrant à un ou plusieurs comportements potentiellement addictifs, correspondraient soit au point de vue que (a) si les contrôles sont nécessaires, les plus modérés seraient les plus acceptables, soit (b) si une forte réglementation est nécessaire, alors les sanctions pour violation seraient modérées (par exemple, Schmidt et al., 2018). Cette position est proche de celle des « libéralistes du libre-échange » proposée par Goode (1998). Dans les deux cas, les niveaux d’acceptabilité varieraient également considérablement en fonction des trois facteurs, mais à l’inverse du cas précédent.

Quatrièmement, selon les personnes qui ne croient pas en l’efficacité de la prévention et de la réglementation, seules les politiques de contrôle qui établissent des sanctions sévères, pour cause de violation des mesures de réglementation seraient acceptables. Cette méfiance vis-à-vis de la réglementation et de la prévention est évocatrice de la position des « conservateurs culturels » décrite par Goode (1998). Ce point de vue équivaudrait à considérer que a) les comportements à risque sont des problèmes personnels et relèvent de la responsabilité de chacun, mais que b) la société doit être protégée contre les individus contrevenants qui mettent les autres en danger.

Cinquièmement, les positions pourraient varier en fonction du type d’activité récréative (tabac, alcool et JHA). Par exemple, pour un même groupe de personnes, en ce qui concerne la consommation abusive d’alcool, des mesures de contrôle très contraignantes pourraient être considérées comme acceptables en raison des risques encourus, comme l’alcool au volant qui a des conséquences sociales très négatives, alors que ces mêmes mesures contraignantes ne seraient pas considérées comme

acceptables concernant les JHA, leurs conséquences négatives étant perçues comme moindres voire inexistantes (Buykx et al., 2015).

En résumé, sont attendues différentes positions qui pourraient être qualifiées de « rejet total de toutes politiques de contrôle », de « politiques de contrôle fort », de « politiques de contrôle faibles/modérées », de « sanctions modérées » ou de « sanctions sévères ». Elles tiendraient compte des philosophies des participants et des habitudes de consommation. De plus, ces positions pourraient, pour les mêmes participants, varier en fonction du produit potentiellement addictif considéré, à savoir le tabac, l’alcool et les jeux de hasard et d’argent (Diepeveen, Ling, Suhrcke, Roland et Marteau, 2013). Il importe désormais d’exposer le cadre méthodologique de cette étude.

Documents relatifs