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Chapitre 1 : Cadre théorique et présentation de l’étude

2. Problématique

Les études venant de la littérature scientifique ainsi que les enquêtes sociologiques qui ont pu être menées, poussent à questionner le travail à la maison sur ses aspects inégalitaires. Deux types d'inégalités ressortent : scolaires, c'est à dire entre élèves de niveau différent et sociales, c'est à dire entre élèves d'origine sociale différente.

Quelles sont alors les conditions et les contraintes qui influent sur la travail à la maison, c'est à dire qui le favorisent ou au contraire peuvent l'empêcher? Qu'est-ce qui déterminent la manière dont les élèves s'engagent dans ce travail à réaliser hors de la classe ?

Ces éléments à identifier peuvent se situer à plusieurs niveaux. Pour cela, nous allons utiliser la structuration par niveaux définie par Yves Chevallard (2002) suivant une échelle de niveaux des conditions didactiques appelée échelle de codétermination didactique

Humanité ↓↑ Civilisation ↓↑ Société ↓↑ École ↓↑ Pédagogie ↓↑ Système didactique

Chaque niveau de cette échelle est le lieu d'origine de certaines conditions qui apparaissent souvent comme des contraintes aux autres niveaux (Chevallard, 2009). Le travail à la maison peut-être regardé raisonnablement à partir du niveau de la société jusqu'à celui du système didactique.

Les conditions venant de la société, « sociales » sont étudiées par les sociologues de l'éducation et par diverses études socio-économiques. Ainsi, l'OCDE a publié en 2014 une

On y trouve par exemple des informations faisant le lien le temps consacré aux devoirs à la maison et le milieu socio-économique de l'élève. De manière générale, toutes matières confondues, les élèves de 15 ans passent en moyenne (en 2012) près de 5h par semaine à faire leurs devoirs. Mais cette étude révèle aussi que « les élèves issus d'un milieu socio- économique favorisé consacrent davantage (+1,6 h) de temps aux devoirs ou autres leçons donnés par leurs enseignants que les élèves issus d'un milieu défavorisé ». Et ce temps d'étude varie également en fonction du type d'établissement qu'ils fréquentent.

« Ainsi, les élèves scolarisés dans un établissement dont l’effectif d’élèves est majoritairement favorisé et les élèves scolarisés dans un établissement situé en milieu urbain ont indiqué consacrer davantage de temps aux devoirs que les élèves scolarisés dans un établissement dont l’effectif d’élèves est plus défavorisé ou dans un établissement situé en milieu rural »

L'étude relève également l'impact du temps passé sur la réussite scolaire :

« Le temps que les élèves consacrent aux devoirs est lié à leur performance individuelle et à la performance de leur établissement dans l’enquête PISA : les élèves qui consacrent davantage de temps aux devoirs obtiennent en général de meilleurs scores aux évaluations PISA, tout comme leur établissement. Lorsque l’on compare des élèves issus de milieux socio-économiques similaires et scolarisés dans des établissements dotés de ressources similaires, ceux qui fréquentent un établissement où les élèves consacrent davantage de temps aux devoirs obtiennent de meilleurs résultats en mathématiques que ceux qui fréquentent un établissement où les élèves consacrent moins de temps aux devoirs »

Cependant le critère temps est à relativiser. Anne Barrère (1997, citée par Rayou et Bautier, 2009) montre que « la réussite scolaire n’est pas nécessairement liée à la quantité de travail

fourni ». D'ailleurs Patrick Rayou et Élisabeth Bautier (2009) précisent qu'« il existe certes des corrélations entre la réussite scolaire et l'effectuation du travail hors la classe. Mais il est impossible de savoir si les élèves sont bons parce qu'ils s'en acquittent régulièrement ou s'ils font leurs devoirs parce que ce sont de bons élèves (Cooper et al, 2006). »

En tous les cas, une des conclusions du rapport de l'OCDE est que « les devoirs représentent

une possibilité supplémentaire d'apprentissage ; toutefois, ils sont susceptibles de creuser les inégalités socio-économiques dans les résultats de l'élève. »

Ainsi, le milieu social et familial de l'élève influerait sur l'engagement de l'élève dans la travail à la maison. Philippe Meirieu (2000) considère que le travail maison renvoie systématiquement aux inégalités sociales et familiales : « inégalité de logement, mais aussi et surtout de l'environnement familial et culturel » expliquant :

« Celui qui dispose d'un bureau, peut faire appel à un frère ou un ami, solliciter des parents qui ont lu le livre qu'il doit étudier, consulter une encyclopédie ou un atlas, échanger des méthodes de travail avec son entourage...celui-là n'est nullement à égalité avec celui qui travaille dans une pièce où la télévision est allumée en permanence, sans interlocuteur en cas de difficulté, sans soutien en cas de découragement, sans autre conseil que l'exhortation rituelle : « Travaille ! ».

Si ces propos sont à nuancer sur le caractère « systématique », il n'empêche que les conditions dans lesquelles l'élève étudie à la maison peuvent avoir leur importance de même que la présence d'une aide extérieure à la classe comme un membre de la famille, un professeur particulier ou encore dans le cadre d'études surveillées hors ou dans l'établissement. Glasman et Besson (2004) nous apprennent que :

« En France, 75% des élèves sont aidés par au moins un de leurs parents, on constate une variation selon le milieu social : plus de 90% des parents bacheliers aident leurs enfants contre 65% des parents non bacheliers (Géry, 2004). »

Cependant ils notent également que :

« au lycée, la tutelle parentale est beaucoup moins présente. Si les parents continuent de suivre leurs enfants, l’aide s’exerce de façon différente puisque beaucoup de lycéens témoignent de l’incapacité de leurs parents à les aider scolairement (Barrère, 1997). D'ailleurs si plus de ¾ des collégiens et des secondes travaillent à la maison, plus de 40% des élèves de terminale travaillent en étude. ». (Ibid)

Ils précisent que pour les élèves les plus fragiles, le travail donné par les enseignants à faire hors la classe gagnerait à se faire au sein de l'établissement scolaire avec des personnels aptes à aider les élèves. On peut s'interroger d'une part sur les lieux en établissement scolaire qui seraient dédiés à l'étude : CDI, salle de permanence, etc. Sont-ils vraiment adaptés pour que les élèves puissent étudier dans de bonnes conditions ? D'autre part, les aides potentiels (parents, personnels aptes) posent la question de l'efficacité didactique dans l'apprentissage de l'élève.

Corine Castela (2011) s'étant intéressée au travail personnel en mathématiques dans le supérieur et au lycée, postule que :

« les jeunes d'origine populaire, du fait de la position sociale de leurs familles relativement aux mondes de production et de transmission du savoir académique, sont particulièrement mis en difficulté par l'injonction paradoxale que représente le fait de devoir s'assujettir à une institution dont la fonction est l'organisation des apprentissages en se faisant lycéen ou étudiant tout en ayant à se poser comme autodidacte. Comme la plupart des didacticiens, je ne peux pas accepter de déléguer au parcours non scolaire l'entière responsabilité de susciter chez les enfants et adolescents le développement de capacités indispensables à la réussite scolaire ou universitaire. »

Les inégalités sociales existantes dans la société se répercutent au sein d'une l'école, faite à son image. Ces inégalités pèsent de fait sur l'apprentissage des élèves. La question du travail hors la classe et des inégalités produites par ce travail se réfèrent à des conditions qui se situent pour une part au niveau de la société, de l’école et de sa pédagogie. Mais elles trouvent également leur siège au niveau des systèmes didactiques (SDP, SDA).

L’étude qui va être présentée s’est donc intéressée au travail personnel des élèves hors la classe. En enquêtant sur les gestes de l'étude des élèves, nous souhaitons connaître les conditions et les contraintes qui influent sur le travail à la maison : quelles soient externes à l'institution comme le milieu social et familial, liées à l'établissement fréquenté ou venant du système didactique. A travers ce travail à la maison, des inégalités dans l'apprentissage et donc dans la réussite scolaire peuvent-elles se créer ou tout au moins être renforcées ? Les devoirs à la maison contribuent-ils à renforcer les inégalités voire à en engendrer ?

Nous émettons donc les hypothèses suivantes :

− le travail à la maison renforce les inégalités scolaires : les gestes de l'étude sont différenciés suivant la position de l'élève au sein du système didactique et ce dernier ne prend pas en charge l'étude personnelle des élèves. Le travail à la maison désavantage les élèves les plus en difficultés.

− le travail à la maison renforce les inégalités sociales : la position sociale de la famille et de l'élève en lien avec l'établissement fréquenté influe sur l'étude personnelle de l'élève. Le travail à la maison désavantage les élèves socialement défavorisés.

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