• Aucun résultat trouvé

On a pu dire que l’archéozoologie des périodes médiévales s’est mise en place au cours des 30 dernières années (Rodet-Belarbi et Forest 2010). Et en effet, alors qu’à proximité immédiate de notre zone d’étude, L. Rütimeyer posait dès 1861 les bases de l’archéozoologie de la Préhistoire pour les sites lacustres du canton de Zürich (Chaix et Méniel 1996), les premières grandes dates de l’archéozoologie médiévale en France devront, pour les contextes domestiques, attendre les travaux de T. Poulain dans les années 1970 (voir par exemple Poulain 1976) sur les sites de Brébières et de Carvin (Pas-de-Calais).

Quelques archéologues se sont cependant intéressés de longue date aux découvertes de restes animaux dans les tombes mérovingiennes (ou à leur proximité). En effet, sans doute interpellés par la composante symbolique et culturelle de ces vestiges, dans un contexte historique où, entre les conflits de 1870 et la seconde guerre mondiale, l’archéologie funéraire n’était pas une thématique neutre, face au pangermanisme notamment (voir par exemple Legendre 2008), E. Socley (1911, 1912 a et b ; Socley et Hue 1914) et É. Salin (1935 et 1939) se sont penchés précocement sur cette

problématique dès le début du 20e s.

Ce n’est toutefois qu’à partir de la fin des années 1980 que les données archéozoologiques altomédiévales et médiévales affluent de façon soutenue, provenant en quasi-totalité des fouilles de sites d’habitat. L’année 1986 voit le mémoire de J.-H. Yvinec (1986) sur l’archéozoologie de Villiers-le-Sec (Val d’Oise) et la thèse de F. Audoin-Rouzeau sur l’archéozoologie du monastère de La Charité-Sur-Loire (Nièvre).

S’ensuivent alors, de manière régulière et continue jusqu’à ce jour, une multitude de travaux, qu’il n’est pas possible de citer ici de façon exhaustive : l’étude de la boucherie médiévale et moderne en Val-de-Loire (Audoin et Marinval-Vigne 1987) ; les thèses vétérinaires de V. Forest sur les restes osseux en Rhône-Alpes (1987), d’A. Grenouilloux (1989) sur la faune d’Andone (Charente), de P. Migaud sur le cheval dans le haut Moyen Âge occidental (1993) ; les études des faunes de « la Grange du Mont » à Charny (Côte d’Or) (Bossard-Beck 1989), de la cour Napoléon du Louvre à Paris (Méniel et Arbogast 1989), du lac de Paladru (Isère) (Olive 1993), de l’alimentation en milieu ecclésial à Orléans (Marinval-Vigne 1993) ; la thèse de B. Clavel (2001) sur « l’animal dans l’alimentation médiévale et moderne en France du Nord », de nouveau des études sur la faune d’Andone (Guintard 2005b, Rodet-Belarbi 2009a), …

Deux citations, utilisées en guise de préambule, nous permettent d’ouvrir une réflexion sur ce que l’on peut attendre de l’archéozoologie des périodes historiques, tout en introduisant la présentation détaillée de notre problématique.

En 2011, F. Mitterrand, alors Ministre de la Culture, déclarait au journal Le Nouvel Observateur : « Il y a quatre ans, nous avons décidé de refaire le musée (de Blérancourt). Comme toujours, la décision de départ était bonne, mais la réalisation abandonnée aux soins de l’administration, qui gonfle le budget, et qui a un projet trop coûteux ; puis l’archéologie préventive est venue, a creusé des trous pour rechercher trois os de poulets mérovingiens, qu’elle n’a pas trouvés. » (Drillon 2011). Cette boutade émise envers l’archéologie préventive par son Ministre de tutelle de l’époque nous interpelle, puisqu’elle met en relief un déficit d’intérêt envers les découvertes mineures (« trois os de poulets », de surcroît « mérovingiens »).

Relisons aussi les considérations et interrogations de R. Fossier (1996, p. 75) : « la connaissance des temps écoulés ne peut-être laissée à la seule histoire pourvue de textes, ou à l’archéologie qui n’en possède pas. On ne trouve pas de coquilles d’œufs et à peine d’arêtes de poisson sur des sites fouillés ; où sont-ils passés quand les textes nous citent, en étonnantes quantités, les livraisons en œufs, en gelines ou en harengs que les maîtres exigent de leurs hommes ? En d’autres termes, les deux voies d’accès doivent être conjointement empruntées : l’histoire, au sens commun, et l’archéologie, sont deux faces de la même recherche ; elles sont sœurs et siamoises ; sans les textes l’archéologie n’est que du terrassement ; sans les fouilles l’histoire est un exercice de rhétorique. » (Fossier 1996).

Ici encore, nous sommes interpellé par le propos. Un peu de moins de deux décennies après cette déclaration, serait-il encore possible aujourd’hui d’affirmer que les coquilles d’œufs et les « arêtes » de poissons sont absentes des sites archéologiques ? Mais surtout, lorsque les textes sont absents ou qu’ils sont rares, comme c’est le cas à l’Antiquité tardive et au premier Moyen Âge, fouiller n’est-il vraiment que terrasser ?

Ces deux extraits, relativement récents, nous ramènent vers la problématique générale de notre recherche, qu’ils confortent, par effet de miroir. Est-il possible, par le biais de l’étude des restes animaux, de mettre en évidence un faisceau d’éléments qui pallie la rareté des sources écrites propres au premier Moyen Âge, ou du moins une certaine rareté des sources écrites ayant trait aux événements du quotidien, en proposant une approche systémique des relations homme / animal, c’est-à-dire une prise en compte environnementale (incluant l’aspect sanitaire), sociale, culturelle, sur le temps long, pour atteindre des champs rarement explorés par l’archéozoologie des périodes historiques ?

Cette problématique est explorée selon trois entrées, les contextes domestiques, les contextes funéraires, les dépôts animaux liés à la mortalité du cheptel (principalement bovin), qui sont utilisées pour analyser les sources ostéologiques et en extraire les informations. Le développement de ces trois axes de recherche suscite un certain nombre de thématiques sous-jacentes, et l’ensemble alimente une synthèse.

- L’étude archéozoologique des restes animaux livrés par les rejets alimentaires des contextes domestiques, qui prend en compte le choix et l’abattage des bêtes (bétail ou gibier), la consommation des viandes, la transformation et/ou le négoce des sous-produits de l’animal mort (peaux, os, cornes, autres), est-elle de nature à apporter des informations novatrices ?

Parmi ces données générales, est-il possible de mettre en évidence des différences environnementales et culturelles entre la« sphère culturelle franque du nord de la Gaule et de l’ouest du domaine germanique » (Passard et al. 2007), simplifiée ici en « espace alamanno-franc » (Austrasie) et l’« aire culturelle romano-burgonde, regroupant la Bourgogne, la Franche-Comté et la Suisse occidentale » (ibid.), simplifiée ici en « espace romano-burgonde » ? Est-il possible, par le biais de l’étude ostéologique de déceler des composantes sociales au sein des assemblages osseux ? - Dans le domaine funéraire, il s’agit de caractériser les témoins de la présence animale. Sont-ils des objets, des dépôts alimentaires, des animaux déposés à des fins non alimentaires ? Nous nous interrogeons sur les espèces en présence, sur la localisation de leurs restes dans les tombes, sur d’éventuelles combinaisons de dépôts animaux entre eux ou avec d’autres catégories de mobilier. Les données sont analysées, en recherchant une éventuelle logique dans la pratique des dépôts, qu’elle se réfère aux âges et aux sexes des défunts, ou encore à la richesse de l’appareil funéraire (architecture, mobilier). Des similitudes sont recherchées d’un regroupement funéraire à l’autre, et puisque, comme nous le montrons dans le chapitre 3, la pratique des dépôts alimentaires carnés n’affecte pas de la même façon l’espace alamanno-franc (et plus spécialement l’Alsace), la part romano-burgonde de la Neustrie, et la zone de contact entre la Neustrie et l’Austrasie (ici la Porte de Bourgogne et le Jura), nous nous interrogeons sur les raisons et sur l’époque d’apparition de cette différenciation.

- Dans l’axe de recherche sur les dépôts animaux, qui dans les cas que nous avons rencontrés concernent surtout le cheptel bovin, nous recherchons les informations que peuvent livrer ces cadavres et leur mode d’enfouissement. Il s’agit de prendre en compte la présence ou l’absence de toutes les parties du squelette, les âges et sexes des individus mis au jour, l’éventuelle présence de pathologies osseuses. Il convient ensuite d’interroger ces données, afin de tenter de différencier dans ces dépôts ce qui relève d’une mortalité naturelle des cheptels de ce qui est à imputer à une mortalité non habituelle, que nous nommerons par la suite « mortalité extraordinaire ». Une ultime étape consiste à envisager la possibilité d’imputer cette « mortalité extraordinaire » à des crises sanitaires, avant de poser la question de leurs conséquences sur la santé des populations et sur l’économie des sociétés médiévales.

Les données recueillies sous les trois entrées « alimentaire – funéraire –dépôts animaux » concourent donc à nourrir une synthèse globale, où les phénomènes sociaux et culturels sont abordés. Cette synthèse voit aussi l’émergence d’une thématique zoologique et zootechnique plus soutenue. La composante environnementale y est développée, en considérant la présence, les proportions respectives ou l’absence des différents taxons en fonction des caractéristiques environnementales des petites régions évoquées précédemment (chap. 1.1.1), mais aussi en cherchant à cerner les morphotypes animaux et leurs variations diachroniques.

Documents relatifs