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Le problème de l’utilisation de modèles en aide à la décision

4.6 Acquis et problèmes de modélisation intégrée de systèmes de production

4.6.5 Le problème de l’utilisation de modèles en aide à la décision

Nos travaux concernant les modalités d’utilisation des modèles en aide à la décision ont été, jusqu’à présent, extrêmement limités. Si une première expérience a été réalisée (cf. projet PVGI, §4.5.1) à l’aide d’un SIG pour décider de traiter sur place les lisiers de Grand Ilet puis, avec le tableur Macsizut, pour aider au choix d’un procédé de traitement, nos modèles de simulation dynamique (Magma, Approzut, Biomas) n’ont pas encore été testés pour élaborer véritablement des stratégies de gestion avec des acteurs agricoles si l’on excepte :

– les essais préliminaires de Magma e¤ectués avec deux éleveurs en 200036;

– l’étude réalisée avec Approzut sur le cas de la future unité de traitement de Grand Ilet, basée sur les préférences exprimées par nos partenaires (FRCA), et l’utilisation des conclusions de cette étude par le service instructeur de la demande d’aide du porteur de projet.

Le déphasage entre le temps des chercheurs et le temps des acteurs de terrain explique, en partie, cet état de fait (cf. §4.5.1). Cependant, des causes plus profondes doivent aussi être recherchées dans notre incapacité à appréhender correctement les jeux d’acteurs dans ce processus collectif. De fait, si les questions relatives au choix d’un procédé de traitement (n 1 et 2, cf. §4.5.1) ont été traitées à Grand Ilet au sein de groupes de travail associant toutes les catégories d’acteurs concernés (éleveurs, institutions professionnelles et politiques), cette dynamique collective s’est interrompue dès lors que le dossier en a été con…é à l’un des partenaires institutionnels (FRCA). Dans ce contexte, échappant à une rationalité purement technique, on peut se demander dans quelle mesure la prise de décision nécessite encore le support d’un modèle ?

Néanmoins, le travail réalisé avec Magma (cf. §4.1.3) puis, avec Approzut (cf. §4.5.1), nous a permis de poser les jalons d’une démarche de simulation pour concevoir des stra-tégies de gestion d’un système de production (Paillat, Guerrin, Médoc et Aubry, 2003). Le protocole est conçu selon une logique expérimentale : construction d’un scénario de base correspondant à la situation actuelle, évaluation et analyse de cette situation par si-mulation, introduction de modi…cations graduelles permettant de concevoir itérativement de nouvelles stratégies de gestion. Cette démarche, qui paraît a priori conforme à celle d’un agriculteur ou d’un conseiller agricole, reste à valider en situation de gestion avec des acteurs dans un cadre collectif.

La production de documents permettant de représenter la démarche de l’utilisateur et de capitaliser les connaissances acquises par simulation (trace de simulation, synthèse) est, pour l’instant, réalisée manuellement au fur et à mesure des simulations, sous une forme « papier » . Le recours à des outils plus élaborés, tels que mind maps ou concept maps (Cañas et al., 2003; Mackenzie et al., 2006), permettant de mieux organiser cette information multimedia (textes, graphiques, données,...), devrait être envisagé en relation avec les souhaits qui seront exprimés, à l’expérience, par les utilisateurs « profanes » de nos modèles (chercheurs thématiciens ou acteurs agricoles).

Si la simulation de cas réels d’exploitations est intéressante dans une optique de conseil à l’exploitant individuel, le raisonnement sur des cas types d’exploitations pourrait s’avé-rer utile, à des …ns d’appui à des conseillers agricoles ou à des décideurs professionnels ou publics. Dépasser la diversité de cas particuliers, dont les données précises sont souvent

di¢ ciles à obtenir, peut, en e¤et, permettre d’élaborer des alternatives de portée géné-rale. Concernant la gestion des e- uents d’élevage, les problèmes et les stratégies de gestion génériques à chaque type d’exploitation pourraient, ainsi, être caractérisés par l’analyse sys-tématique des cas décrits dans la typologie élaborée par Paillat, Aubry et Médoc (2003). Il serait intéressant de comparer alors ces simulations à celles réalisées sur des cas réels ho-mologues et d’en véri…er les conclusions par enquête auprès des exploitants correspondants. Cela permettrait de valider, à la fois, la typologie et le modèle employés. Connaissant les types d’exploitations présentes sur un territoire, il serait alors possible, par extension, de procéder avec Magma ou Biomas à des évaluations à l’échelle micro-régionale.

La plupart de ces questions doivent être abordées dans la thèse de J.-M. Médoc sur la zone du Petit Tampon-Grand Tampon (cf. §4.5.2). Celles relatives à la place des modèles dans un processus de décision d’acteurs et au mode de capitalisation des connaissances issues des simulations nécessitent, à la ré‡exion, d’envisager une collaboration, à plus long terme, avec des chercheurs en sciences de gestion, des ergonomes ou des spécialistes d’in-génierie des connaissances. C’est la raison pour laquelle ces questions ne …gurent pas, à l’heure actuelle, dans mon projet de recherche personnel présenté dans le chapitre 5.

Chapitre 5

Projet de recherche

5.1 E¤et des facteurs de changement sur les systèmes de

production agricoles

5.1.1 L’enjeu du développement durable

Le caractère « durable » de la production agricole, vue sous ses dimensions environ-nementale, économique et sociale, est un enjeu majeur pour les acteurs agricoles et les décideurs publics. Par « durable » , on entend la capacité d’un système de production à contribuer positivement aux enjeux de développement dé…nis par le rapport Brundtland en 1987, que l’on peut résumer ainsi : « satisfaire les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs » .

Les questions posées à la recherche concernent les e¤ets des multiples facteurs de change-ment1auxquels sont confrontés les systèmes de production agricoles, les chaînes de causalité y conduisant, et les stratégies à mettre en oeuvre pour assurer, à la fois, leur viabilité, au sens de leur propre aptitude à vivre à court terme, et leur durabilité, au sens de leur capacité à permettre, à long terme, à d’autres de vivre (Boi¢ n et al., 2004). En e¤et, si la notion de durabilité dépasse la seule viabilité des structures, elle ne l’exclue pas. D’une part, il s’agit de garantir le présent : « Un développement durable, c’est d’abord un développement viable aujourd’hui » (Weber cité par Landais, 1998). D’autre part, les dynamiques actuelles des systèmes de production peuvent, dans une large mesure, conditionner l’avenir du dévelop-pement. La question de leur viabilité mérite donc, également, d’être posée. Mais elle ne doit pas l’être en termes de pérennité ou de résilience2, mais plutôt, dans l’esprit de la théorie de la viabilité (Aubin et al., 1998), en termes de capacité d’adaptation face aux facteurs de changement : « A quelles conditions les systèmes de production agricoles sont-ils capables d’évoluer dans leur cadre de contraintes de façon compatible avec leur survie ? » . Répondre à cette question nécessite, à la fois, de dé…nir plus précisément ce cadre de contraintes et son évolution, puis, de modéliser et simuler la dynamique de ces systèmes pour les évaluer. Si la première face de cette médaille est du ressort des agronomes, la seconde constitue mon propre champ de recherche.

L’introduction du critère de durabilité amène à repenser notre mode d’évaluation des stratégies simulées, dont j’ai déjà signalé qu’il ne concernait, jusqu’à présent, que l’unité de production ou son aval immédiat (cf. §4.6.4). Or, la durabilité se joue à de multiples

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Evolution des politiques agricoles, du climat, des techniques, de la disponibilité des ressources (eau, foncier, capital, aides...), des impératifs de rentabilité des exploitations, des activités concurrentes (habitat, tourisme, autre …lières agricoles), des attentes des consommateurs, des réglementations, etc.

échelles de temps et d’espace, pas toujours là où l’on croit. Si l’élevage à la Réunion a indéniablement des e¤ets locaux, il eût également des e¤ets distants : le boom de la culture du maïs destiné à la fabrication d’aliment pour l’élevage hors-sol réunionnais a provoqué une déforestation de grande ampleur dans le sud-ouest malgache, accompagnée d’un cortège de modi…cations écologiques et sociales (Fauroux, 2000). Il s’agit bien là d’un problème de développement durable lié à l’élevage, mais qui concerne l’amont d’une …lière de production, et non l’aval d’une exploitation ou d’un groupe d’exploitations. L’utilisation de méthodes d’évaluation environnementale du type « Analyse du cycle de vie » (ACV ; cf. Basset-Mens et van der Werf, 2005; Payraudeau et van der Werf, 2005), que nous envisageons en couplage avec nos modèles de simulation (de façon synchrone ou asynchrone), devrait remédier à ces défauts. L’ACV permet, en e¤et, d’évaluer un produit de l’amont à l’aval d’un système de production, selon plusieurs catégories d’impacts, exercés à di¤érentes échelles : consommation de ressources non renouvelables, eutrophisation, acidi…cation, réchau¤ement climatique, écotoxicité... La délimitation du système de production est donc cruciale pour la mise en oeuvre de cette méthode.

Par ailleurs, comme le montre l’exemple de la …lière lait à la Réunion (cf. ci-dessous), les adaptations structurelles et organisationnelles auxquelles doivent recourir les systèmes de production sont, de plus en plus souvent, raisonnées dans un cadre collectif en complémen-tarité avec d’autres …lières de production agricoles ou non-agricoles (Papy, 1999). Le cadre classique de l’exploitation, comme unité productive de base gérée par un décideur unique, tend donc à éclater au pro…t d’une organisation en réseau, faisant intervenir de multiples acteurs et unités de production. Dès lors, de nouvelles règles de gestion sont à inventer et une question générale se pose : « A quelle(s) échelle(s) un système de production agricole doit-il être évalué et représenté ? » . C’est, notamment, à cette question que nous voulons répondre dans le projet « Systèmes de production animale et développement durable » (SPA/DD), …nancé par le programme ANR-Cemagref-Cirad-Inra « Agriculture et dévelop-pement durable » (ADD) en 2007-20093. Ce projet vise à mettre au point des outils pour simuler le fonctionnement global des systèmes d’élevage, évaluer leurs impacts environne-mentaux, analyser leur interaction avec leur contexte économique et social, et construire, avec les acteurs agricoles concernés, des stratégies de gestion plus durables. Dans ce cadre, je suis surtout impliqué dans la modélisation intégrée des pratiques et des ‡ux de matière aux niveaux individuel (exploitation agricole) et collectif (organisations de producteurs).