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Le problème d’identification

La régulation indispensable des manipulations de cours « à haute fréquence »

1) Le problème d’identification

Le problème d’identification de l’opération est double. D’abord parce que le domaine de la répression ne permet pas au régulateur de poursuivre tous les types de comportements illicites sur tous les marchés, ensuite parce que la détection d’une manipulation de cours « à haute fréquence » est une opération extrêmement complexe à appréhender.

Tout d’abord, il est possible de constater que le champ d’application de la répression des abus de marché en droit de l’Union européenne mais également en droit français est réduit. Il est réduit à double titre : sur le champ des marchés concernés et sur les types de comportements poursuivis. Effectivement, la directive abus de marché du 3 décembre 2002,

104 Vœux de l'Autorité des marchés financiers, La régulation financière plus que jamais nécessaire, Petites

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fixant un cadre minimum d’harmonisation au sein de l’Union Européenne dans la lutte contre les abus de marché n’impose pas l’instauration d’une répression pénale, ne vise que les marchés réglementés105 et ne réprime pas la tentative de manipulation de cours. Ainsi, avec le délit pénal de manipulation de cours, le droit français instaure un degré de protection supplémentaire par rapport aux exigences communautaire. Le délit ne vise lui aussi que les marchés réglementés106 mais va plus loin que la directive en ce qu’il punit la tentative de manipulation de cours. Quant au manquement administratif, à la différence des deux instruments susévoqués, il englobe les marchés réglementés mais aussi les systèmes multilatéraux de négociation organisés107. Il reste néanmoins en retrait en ce qu’il ne réprime pas la tentative. Au total, l’état du droit positif français est assez fragmenté. Ainsi, l’AMF rencontre un premier obstacle dans la répression des abus de marchés. Pour poursuivre une tentative, elle n’aura d’autre choix que de recourir au délit pénal, sachant que celui-ci est très difficile à caractériser du fait de la nécessité de l’élément intentionnel. Et tout au plus, le champ de son pouvoir sera limité aux marchés réglementés. En effet, si elle veut réprimer une manipulation sur systèmes multilatéraux de négociation organisés, elle n’aura d’autres choix que le fondement administratif, mais sera contrainte de renoncer à réprimer une tentative. Dès lors, un trader à haute fréquence peut tout à fait manipuler les cours sans crainte aucune en faisant en sorte d’être hors du pouvoir de sanction du régulateur.

Ensuite, si l’on admet que l’opération manipulatoire s’effectue sur un marché protégé par les textes, encore faut-il pouvoir la détecter. Voici donc qui soulève la question de l’efficacité des moyens du régulateur et de leur adéquation à la complexité des opérations à haute fréquence sur les marchés financiers108. Cette problématique nouvelle a été très amplement débattue au cours du dernier colloque de la commission des sanctions de l’AMF. Dans son intervention, Sophie Baranger, secrétaire générale adjointe à la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF revient longuement sur les difficultés d’identification de l’opération. Aussi note-t-elle une complexification inexorable des dossiers litigieux, avec notamment une augmentation croissante des vitesses de passation des ordres et de leur annulation, une diversification des valeurs manipulées, une multiplication des intervenants et la répartition des plateformes d’exécution sur différents pays. Parallèlement, les plus values réalisées sont de plus en plus faible mais très répétitives, ce qui rend d’autant plus difficile leur détection, puisqu’il est alors nécessaire d’examiner des périodes de manipulations discontinues dans le temps. Elle en conclut qu’ : « il est véritablement inconcevable de traiter,

ordre par ordre, l’ensemble des séances, le nombre d’ordres ayant fortement cru »109

.

Désormais, la manipulation de cours prend de nouvelles formes. Pour reprendre les mots très imagés de Jean Claude Hassan, président de la deuxième section de la Commission des sanctions de l’AMF : « oui, la manipulation des cours n’est pas seulement la manipulation «

105 Article 9 dir. 2003/6/CE, 28 janv. 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché 106 L465-2 CMF

107

L 611-1 RG AMF

108 Les gendarmes boursiers face au défi du trading de haute fréquence, Les echos n° 21036 du 12 Octobre 2011

p. 28

109 Intervention de Sophie Baranger au cours du 4ème colloque de la commission des sanctions de l’AMF du 5

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à la papa », où on travaille le marché pendant des heures pour obtenir un fixing sympathique et, ensuite, faire une application massive à 17h37, à 5 % de décalage du cours obtenu en fixing. Non ! Ce peut être aussi la manipulation du hacker, la micro-manipulation ou celle de l’homme à l’index agile, gagne petit mais répétée. » Plus encore, ainsi que le relève l’avocat

Eric Dezeuze lors du même colloque, celle-ci peut être adjointe d’une stratégie de brouillage des ordres, qui rendra l’identification encore plus périlleuse. Cet état de fait nécessite alors l’accès aux données de marché et la capacité de traitement de ces mêmes données. Pour le premier cas, ici encore, le bas blesse, l’AMF n’ayant un accès quotidien aux données de marché que pour la plateforme Euronext110. De plus, le défi est encore plus grand, parce que la plupart des plateformes ne conservent des données qu’à la seconde, alors que les opérateurs de THF interviennent à la microseconde. Partant, il devient impossible de recouper parfaitement les données qui émanent de différentes plateformes, ce qui laisse le champ libre pour les manipulations spatialement fragmentées. Pour le second cas, il est quasiment impossible pour l’AMF d’analyser toutes ces données, faute de moyen, mais surtout de temps. En effet, il est absolument nécessaire, sous l’impératif de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de rendre une décision définitive dans un délai raisonnable. Une telle exigence implique un traitement rapide dans les enquêtes et dans le jugement qui n’est pas compatible avec la nécessité de qualifier une manipulation qui peut être très complexe. Au final, la complexification des opérations sur les marchés conjuguée à la difficulté de récolter et d’analyser les données afférentes rend l’identification d’une éventuelle manipulation de cours par le régulateur très hypothétique111.