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a) le problème de généricité, de porosité des genres

La question du genre dans les récits océaniens :

Le concept de « genre », appliqué à la diversité des discours, trouve une double assise théorique (aristotélicienne) dans la rhétorique gréco-latine et dans la théorie des genres littéraires. La diversité des théories sur le genre montre, si besoin, la complexité de cette

question : les dénominations sont multiples et leur liste est longue depuis Gérard Genette jusque Jean-Michel Adam501. Quand bien même leur identification et leur classement demeureront toujours problématiques, les genres de textes existent néanmoins, en tant que « configurations possibles des mécanismes structurants de la textualité502 ». Ils restent donc, malgré les critiques qu'on a pu faire, les cadres obligés de toute production verbale, comme l'a montré Mickaël Bakhtine. L'article de ce dernier intitulé « Les genres du discours », publié en 1984 pour sa traduction française, peut d'ailleurs être regardé comme le premier manifeste en faveur d'une linguistique des genres différentielle et non universalisante.

Dans son Introduction à l'architexte, Genette a clairement mis en évidence la nécessité de distinguer les tentatives de classement des textes en genres de celles fondées sur leurs « modes d'énonciation ». Il montre que les genres se définissent au croisement d' « un certain nombre de déterminations thématiques, modales et formelles relativement constantes et

transhistoriques503 ». Pour lui, les genres sont des entités hétérogènes ne pouvant faire l'objet d'un classement stable. De nombreux théoriciens se sont appuyé sur cette étude pour pouvoir identifier les grands genres fondateurs universels. Le croisement de ces catégories « détermine(...) comme la réserve de virtualités génériques dans laquelle [l']évolution [du champ littéraire ] fait son choix »504. Gérard Genette s'appuie sur la notion d' « architexte » pour désigner la relation des textes à des archétypes littéraires définis par des traits énonciatifs, thématiques et formels spécifiques. Le genre des textes est, en somme, un dialogue entre un héritage culturel et les variations qui en découlent. La notion d'architextualité de Genette renvoie à une organisation de textes préexistants.

Dans son article intitulé « La question du genre dans le récit océanien contemporain », Stéphanie Vigier s'est interrogée sur la relation à un architexte pour les littératures océaniennes. Elle part de l'idée que la réception des œuvres océaniennes par des lecteurs occidentaux montre qu'ils les interprètent à la lumière de leur propre héritage culturel, tandis que les écrivains océaniens s'attachent à déconstruire les codes traditionnellement liés aux genres canoniques européens :

L'interprétation européenne de récits océaniens en transforme le contenu thématique dès lors qu'elle les assimile à des genres exogènes. De façon inverse, la déconstruction de ces mêmes genres doit permettre un redéploiement et une relecture de ces contenus thématiques d'un point de 501 J. M. Adam oppose « genres » et « types de textes » (1999) ; J.P. Bronckart oppose « genres de textes « et « types de discours » (1996) ; D. Maingueneau distingue « types de textes », « hypergenre » et « genre de discours » (1998) ; P. Charaudeau distingue « genres et sous-genres situationnels » et à l'intérieur des variantes de genres de discours (2001).

502 Jean-Paul BRONCKART, « Les Genres de textes et leur contribution au développement psychologique », in

Langages, revue trimestrielle, mars 2004, n°153, p. 105.

503 Gérard GENETTE, Introduction à l'architexte, éd. du Seuil, Paris, 1979, p. 83. 504 Ibid.

vue océanien.505

Elle s'appuie sur J.M. Schæffer, qui affirme que l'architexte n'existe pas car il reste un modèle théorique, un « texte idéal » reconstitué a posteriori par « projection rétrospective » : « on doit dire que tout texte modifie son genre506 ». Ainsi, Stéphanie Vigier postule que les textes océaniens s'écrivent dans un dialogue avec les autres textes, mais aussi avec les grands genres. Ils s'enrichissent d'héritages multiples qui en font leur originalité : ce serait dans la renégociation des frontières entre les genres que s'écriraient les littératures d'Océanie.

Selon elle :

Les littératures océaniennes contemporaines s'enrichissent d'héritages multiples, qui contribuent notamment à modifier la portée et le sens des « contenus culturels » dont les textes et les discours sont porteurs. Conscients de cette puissance opératoire du genre qui engage une réception et la « refiguration » du monde, les écrivains contemporains se sont attachés à en travailler les limites et les caractéristiques.507

Elle part donc de l'idée d'une recomposition d'un héritage culturel de la part des écrivains océaniens. Les emprunts sont multiples et les enracinent dans une origine et une histoire qui fondent leur identité océanienne.

Stéphanie Vigier s'appuie en particulier sur le récit de la Kaapo (ou Kabo / Kaavo), qui est un personnage issu de la tradition orale kanak. Kaapo représente la fille aînée du clan, et on retrouve sa légende dans de nombreuses tribus de la Grande Terre. Certains récits ont été transcrits par des auteurs comme A. Bensa et J.C. Rivierre508. Or on retrouve ce récit chez de nombreux auteurs, avec des modifications plus ou moins importantes, comme chez R. P ; Lambert, dans l'ouvrage Mœurs et Superstitions des Néo-Calédoniens, où il s'agit d'un roman d'aventures, Georges Baudoux dans une nouvelle intitulée « Kaavo », ou même chez Déwé Görödé, dans la nouvelle intitulée « Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier ». Au rythme d'une réinterprétation des traditions orales, Stéphanie Vigier montre que le personnage de la Kaapo traverse les genres : depuis la tradition orale kanak, l'histoire devient un roman d'aventures ou un conte merveilleux chez Lambert, puis une nouvelle complètement différente chez Baudoux ou Görödé. De nombreux écrivains océaniens transgressent donc les genres, en réadaptant comme ici une histoire de la littérature orale.

Pourtant, on peut se demander si toute littérature ne se construit pas, au fond, sur une subversion des genres, des frontières. C'est ce qu'a montré Jean-Michel Adam, qui a travaillé sur le conte de Perrault La Barbe bleue. Pour lui, le genre renvoie à un processus dynamique

505 Stéphanie VIGIER, ibid.

506 Jean-Marie SCHAEFFER, « Du texte au genre », Théorie des genres, 1986, p. 188. 507 Stéphanie VIGIER, op. cit., p. 273.

508 A. BENSA et J.C. RIVIERRE, Les Chemins de l'Alliance : l'organisation sociale et ses représentations en

de travail sur des orientations génériques (il préfère d'ailleurs parler de « généricité » au lieu de « genre »). Ce travail s'effectue sur les trois plans de la production d'un texte, de sa réception-interprétation et de son édition. En d'autres termes :

La généricité des textes résulte d'une interaction discursive, d'un dialogue continu entre les trois instances énonciative (auctoriale), éditoriale et lectoriale. Elle est, à la fois, un travail textuel de conformisation et de transformation, voire de subversion d'un ou de plusieurs genre(s) donné(s). Pour la plupart, les textes opèrent un travail de transformation d'un genre à partir de plusieurs (plus ou moins proches).509

Ainsi, un texte retravaille toujours un genre, jusqu'à le transformer, à travers le temps et l'histoire, comme l'ont fait des auteurs comme Perrault ou Grimm. Selon lui, un texte n'appartient pas en soi à un genre, mais il est en relation avec un ou plusieurs genres.

En quoi les littératures océaniennes contemporaines se distinguent-elles des autres œuvres occidentales ? En quoi leur écriture se rapproche-t-elle davantage d'un jeu de transgression des frontières pour parvenir à une hétérogénéité générique ?

La renégociation des frontières entre les genres:

Le détournement des genres traditionnels de la littérature occidentale se retrouve souvent dans la littérature postcoloniale. Comme l'a écrit Jacqueline Bardolph : « les genres adoptés ou détournés font aussi partie du projet de beaucoup d'écrivains de se ré-approprier la vision de leur monde »510. Ainsi, de nombreux récits de fiction océaniens se caractérisent par le non-respect des frontières entre les genres, le mélange des types de discours, comme si leur seule façon d'exister était d'être en rupture avec la littérature canonique :

De nombreux récits de fiction océaniens sont caractérisés par l'éclatement de l'expérience du monde, du temps et de l'histoire. Celui-ci peut se manifester sur le plan thématique lorsque s'exprime le sentiment d'une fracture avec le passé, sur le plan générique, à travers l'éclatement des discours et des chronotopes qui y sont liés, ou sur le plan narratif lorsque la linéarité de l'intrigue est systématiquement brisée.511

Du point de vue de la critique postcoloniale, cette réappropriation des genres et des discours vise à ruiner une conception monolithique de la littérature. Dans leur essai, Éloge de la

Créolité, Jean Barnabé, Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau évoquent également cette

question de la subversion des genres : « L'objectif était en vue ; pour appréhender cette civilisation antillaise dans son espace américain, il nous fallait sortir des cris, des symboles (…), afin d'entrer dans la minutieuse exploration de nous-mêmes, (…) où se mobiliseraient

509 Jean-Michel ADAM, Ute HEIDMANN, « Des genres à la généricité ; l'exemple des contes (Perrault et les Grimm), in Langages, revue trimestrielle, mars 2004, n°153, p. 67.

510 Jacqueline BARDOLPH, Études postcoloniales et littérature, op. cit, p. 54. 511 Stéphanie VIGIER, La Fiction face au passé, op. cit., p. 204.

tous les genres littéraires (séparément ou dans la négation de leurs frontières)... »512.

Déwé Görödé et Chantal Spitz remettent en question de nombreux a priori, et dans leur quête de la vérité, ne respectent aucun code, aucune règle préétablie. Cela commence par le choix de la catégorie littéraire à laquelle leurs œuvres appartiennent. Le lecteur constate qu'il est très difficile de classer les livres de ces deux auteures océaniennes parmi les quatre grands genres de la littérature occidentale : roman, essai, poésie, théâtre. Selon Stéphanie Vigier, cet éclatement générique peut prendre plusieurs formes :

Il passe par le recours à des genres qui sont construits sur une stratégie de discontinuité, tels que les collections de textes ̶ recueils de poèmes et de nouvelles ̶ , la coexistence de thèmes et de registres divergents, ou même de genres discursifs différents à l'intérieur du même texte. 513

Ainsi, une très grande liberté d'écriture apparaît dans les travaux des deux auteures : tantôt, leur livre peut être assimilé à un roman, tantôt à un recueil poétique, mais tout en laissant le lecteur passer de l'un à l'autre.

Par exemple, dans L'Île des rêves écrasés, Chantal Spitz passe sans transition d'un genre à un autre : d'un récit mythique à un récit biblique de la création du monde, de la poésie au roman, voire à un apologue. Dès les premières pages, Chantal Spitz reprend le mythe polynésien de la création sous forme de vers libres et en reo mā'ohi. Il est suivi d'un extrait de L'Ancien

Testament, qui décrit la Création du monde par Dieu. La mise en parallèle de ces deux textes

surprend le lecteur, ainsi que la présence d'un bilinguisme reo mā'ohi/français. Puis, le Prologue qui suit contient un chant : le « Chant des Mā'ohi », cité par Tematua, qui annonce l'arrivée des Blancs en Polynésie, et qui est vécu comme un présage. Ce chant, qui ouvre le roman, peut être vu comme une parabole, c'est-à-dire un récit allégorique visant à dispenser une morale : il faudra que les hommes parviennent à cicatriser la blessure de la colonisation, afin de reconstruire un monde plus juste (« Hommes de demain, à la recherche des rêves de nos pères. Puissiez-vous bâtir sur le papa de Ta'aroa un monde nouveau sur notre Terre»514). L'histoire est évoquée sous la forme d'un récit prophétique et poétique. La forme de l'apologue, c'est-à-dire d'un récit à visée argumentative, peut apparaître lorsque le lecteur interprète la fin du roman à la lumière des paroles prononcées au début du livre. La fin tragique était prévisible, c'est pourquoi ce livre peut même être assimilé également à une tragédie. Il s'agit bien du récit d'une mort annoncée : celle de l'ingénieure Laura Lebrun, et de tous ceux qui se sont investis dans le projet des essais nucléaires et qui meurent tous de cancers inexpliqués. En d'autres termes, le lecteur était en quelque sorte prévenu dès le début du livre, dans les paroles poétiques prononcées, que les personnages subiraient un destin

512 Patrick CHAMOISEAU, Raphaël CONFIANT et Jean BARNABÉ, Éloge de la Créolité, éd. Gallimard, 1993, p. 22. 513 Stéphanie VIGIER, ibid., p. 207.

tragique selon leur choix de vie. De plus, dans l'épilogue du livre, l'auteure se lance dans l'analyse de la politique actuelle de son pays, et donne son point de vue sur l'état de la Polynésie. C'est, pour l'instant, le seul roman dans lequel le lecteur peut trouver un discours politique de la sorte chez l'auteure mā'ohi. Cela vient encore complexifier l'éventuel classement de l’œuvre dans un genre littéraire préétabli.

Pour Déwé Görödé, les livres fondent également une poétique de l'éclatement, car ils accumulent plusieurs genres ou sous-genres différents. Aussi est-il difficile de classer ses œuvres dans une catégorie littéraire précise. La multiplication des types de discours différents au sein d'une même œuvre semble même s'accentuer au fur et à mesure des publications de l'auteure, comme le montre son dernier roman, Tâdo, Tâdo, wéé !. Stéphanie Vigier propose de classer en deux modalités principales la façon dont des auteurs comme Déwé Görödé ou Albert Wendt dissolvent les frontières entre les genres : une modalité qui fonctionne par juxtaposition de discours, et une autre qu'elle nomme « syncrétique » ou « synthétique », lorsque l'écrivain mêle dans une œuvre des séquences de genres différents :

L’analyse montre que des écrivains tels que Witi Ihimaera, Albert Wendt ou Déwé Görödé explorent et dissolvent les frontières des genres selon deux modalités principales : l’une que l’on pourrait désigner comme synthétique ou syncrétique (The Sky Dancer ou Mango’s Kiss), l’autre qui fonctionne plutôt par juxtaposition (The Matriarch, L’Épave et Graines de pin colonnaire de Déwé Görödé).515

Ainsi, dans Graines de pin colonnaire, l'auteure kanak juxtapose des discours différents . Le livre est composé de séquences narratives qui alternent selon deux principes : des dates, faisant penser à un journal intime, ou bien des titres thématiques : « Boule de feu » ; « Petit papa Noël ». Dans cette première partie, chaque chapitre est composé d'abord d'une épigraphe, c'est-à-dire d'un court texte en vers qui en résume le contenu, et d'un texte en prose qui développe ces pensées esquissées. Cela semble illustrer la poétique de la dispersion, incarnée par ces graines de pin colonnaire semées au gré du vent :

Légères comme une plume, je vous livre aussi [ces histoires], avec ses poèmes, son journal et ses nouvelles, propres à se disperser et à pousser là où elles peuvent, telles les graines de pin colonnaire.516

Déwé Görödé exprime dans le prologue sa volonté de rendre compte d'histoires de femmes réunies dans une pension (Beautemps-Beaupré) qui accueillait les malades du cancer en cours de traitement. Elle se réfère à sa tante, qui partageait ses histoires avec elle et avec les femmes de cette pension. Sa tante écrivait des textes de tout genre, qui pouvaient être « de courts

515 Stéphanie VIGIER, « La question du genre dans le récit océanien contemporain », Littératures du Pacifique

insulaire, sous la direction de Sylvie André et Jean Bessière, éd. Honoré Champion, Paris, p. 278.

poèmes sans titre , de brefs récits titrés et d'autres petites odes à la vie quotidienne, sous forme de journal de ce temps-là517 ». Le mélange des genres est donc clairement annoncé à travers l'évocation des écrits de la tante. Pour Stéphanie Vigier :

Les voix et les genres se démultiplient de manière foisonnante, pour rendre compte du «vécu » et des «histoires personnelles » des femmes réunies dans une pension accueillant des malades en cours de traitement.518

De plus, dans son dernier livre, Tâdo, Tâdo, wéé !, l'auteure kanak passe d'un genre romanesque à un autre, ce qui correspond pour Stéphanie Vigier à une approche cette fois « syncrétique » . Ainsi, le début de ce roman peut correspondre à un roman engagé voire historique sur la Nouvelle-Calédonie, alors qu'ensuite il s'agit de recueils de poèmes, ou des extraits de carnets, lorsque l'auteure évoque les rêveries de la narratrice à la fin du livre, et tout cela sans transition. Par exemple, le deuxième chapitre du livre s'ouvre sur la circulaire Messmer qui souhaite « noyer toute velléité de mouvement nationaliste519 », et le lecteur peut croire qu'il lit un roman engagé, une fiction politique, avec des références réalistes (« Messmer » ; « Jacques Chirac » ; « Giscard d'Estaing »520). Chaque chapitre retracerait une page de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie. Mais l'ensemble reste une fiction, malgré les références réalistes, et le lecteur suit davantage le destin de l'héroïne Tâdo, à travers l'histoire de son pays. La fin du livre Tâdo, Tâdo, wéé ! laisse le lecteur perplexe : à partir de la page 271, ce sont des carnets, ceux d'Alo, la sœur de Tâdo, qui sont ainsi livrés au lecteur, sans explication, et sans que l'histoire de Tâdo connaisse une véritable fin. Alo, atteinte du cancer, a consigné dans des carnets ses pensées, ses poèmes, ses rêves qui l'ont suivie tout au long de son traitement de chimiothérapie. C'est pourquoi on peut parler de porosité des genres, alors même que l’œuvre démontre un refus d'appartenir à une catégorie littéraire précise. Le lecteur suit donc dans ce roman à la fois l'engagement politique des personnages, quand chaque chapitre retrace un pan de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, et en même temps il suit les rêves, les pensées, les fantaisies de chacun d'entre eux. En somme, il n'est pas possible de classer le livre dans le genre des romans engagés, car la suite de l'histoire s'éloigne petit à petit du discours politique, pour rejoindre le genre biographique avec la présence des carnets d'Alo. Cela montre la volonté de la part de l'auteure ne pas figer l’œuvre dans un genre.

La littérature océanienne se construit donc sur des formes existantes, mais elle cherche des formes nouvelles pour exprimer un univers original. Cette « hybridité » générique est la preuve d'une recherche formelle au centre de la littérature contemporaine :

517 Ibid.

518 Stéphanie VIGIER, « La question du genre dans le récit océanien contemporain », op. cit., p. 278. 519 Déwé GÖRÖDÉ, Tâdo, Tâdo, wéé ! ou « No more baby », op. cit., p. 83.

En explorant et en remodelant les frontières entre les genres, en les mêlant, les écrivains océaniens s’inscrivent au cœur du principe même de l’activité littéraire : le genre n’est un enjeu que dans la mesure où ses frontières et ses caractéristiques sont appelés à être sans cesse renégociées 521. On peut alors s'interroger sur les enjeux de cette hybridité générique.

Le refus de toute forme de catégorisation :

Les livres de Déwé Görödé et Chantal Spitz témoignent de la volonté de transgresser les genres occidentaux préétablis, et s'inscrivent dans une poétique de la discontinuité, dans une très grande liberté d'expression. S'attaquer à la forme même du roman peut s'apparenter à une forme de contestation postcoloniale, dans la mesure où ce genre représente le genre littéraire contemporain dominant en Occident. Ce geste de déconstruction du roman traditionnel n'est pas anodin et pourrait signifier que l'on remette en question les valeurs et les choix exprimés à travers ce genre :

Déconstruire le roman traditionnel, perçu comme le genre littéraire dominant à l’époque contemporaine, se comprend donc comme la volonté de dénoncer les vérités, valeurs et conceptions du monde dominantes dont il a été le réceptacle pour laisser voix à d’autres manières d’être au monde.522

Pour autant, il ne faut pas voir dans cette renégociation des frontières entre les genres simplement un lieu de confrontation avec l'Occident impérialiste. Ce serait même une interprétation réductrice, et montrerait une lecture erronée des œuvres de ces auteurs. Ces enjeux peuvent dépendre de chaque auteur et de la société dont il est issu. Selon Jacqueline Bardolph, « certains écrivains refusent d'être définis comme appartenant à un ensemble postcolonial. Rushdie s'est exprimé là-dessus avec vigueur»523. Il est vrai que des auteurs