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ET IL NE S’EN PRIVE PAS»

Dans le document SAVOIR ALLEZ (Page 50-53)

MENTIR

ET IL NE S’EN PRIVE PAS»

L’

un est chef de police, l’autre est commissaire et né-gociateur en situation de crise. Tous les deux sont des policiers aguerris qui ont de longues heures d’interrogatoires derrière eux. Olivier Guéniat et son collègue Fabio Benoit ont récemment publié en-semble un ouvrage intitulé Les secrets des interrogatoires et des auditions de police. On y découvre un savant mé-lange de criminologie, de polar, de situations vécues et de conseils pour réussir ses interrogatoires.

Le livre, destiné avant tout à la formation des collègues, nous ouvre les portes des commissariats suisses. Comment les policiers font-ils parler les criminels ? Quelles sont leurs méthodes ? Ont-ils des points communs avec Columbo ? Oli-vier Guéniat et Fabio Benoit racontent. Tant et si bien que l’ouvrage est rapidement devenu un best-seller en Suisse, mais aussi en France, et il a dû être réédité.

Plongée dans cet univers fascinant avec Olivier Gué-niat pour guide.

Un interrogatoire, c’est d’abord une affaire d’am-biance. A vous lire, on découvre que le décor doit  être très froid…

Oui. Il faut que l’attention du suspect soit entièrement tour-née vers le lien que nous essayons d’établir avec lui. On doit donc éviter de lui offrir une échappatoire, par exemple une fenêtre tournée vers l’extérieur. Et on supprime tous les élé-ments perturbateurs : les téléphones sont éteints, personne n’entre dans la salle d´audition. Le décor doit être glacial, parce que cette froideur favorise la chaleur dans la rela-tion que les enquêteurs cherchent à établir avec le prévenu.

Le décor est clinique, mais l’interrogatoire doit com- mencer chaleureusement. Vous recommandez la poi-gnée de main, le sourire, et vous conseillez même de  prendre des nouvelles de la famille…

Parce que nous voulons favoriser l’empathie avec le sus-pect. Et après ces débuts, on entre dans une phase plus tactique, où nous allons alterner les stratégies, tout en es-sayant de rester dans cette relation respectueuse. Parce que, quand l’atmosphère devient extrêmement tendue, l’enquêteur s’épuise et le prévenu n’a pas envie de se confier et de raconter des choses intimes. On cherche donc à l’éviter.

Vous conseillez d’installer le suspect sur une chaise  qui n’est pas attachée, pour qu’il puisse bouger. Vous  n’avez pas peur qu’il utilise ce meuble comme une  arme ?

Nous prenons le risque, parce que ça nous permet de mieux observer ses réactions, et parce que la violence survient très rarement quand on pratique le respect. Dans la partie d’échecs qui se joue entre le suspect et nous, l’em-pathie est la première des armes, même si c’est une arme douce. Si on arrive à établir un lien de confiance avec la personne interrogée, il y a peu de risque qu’elle réponde avec de la violence. Ça n’arrive pratiquement jamais.

On découvre dans votre livre que vous n’utilisez pas  certaines méthodes que l’on voit beaucoup dans les  films ou à la télévision. Vous ne donnez pas de coups  sur la tête avec un bottin de téléphone, comme dans 

« Les Ripoux ». Vous ne braquez pas de lumière crue  dans les yeux en criant : « Nous avons les moyens de  vous faire parler ! »…

C’est exact. La violence est inadmissible, et nous essayons de l’éradiquer de l’interrogatoire. Nous nous interdisons aussi certaines méthodes utilisées aux Etats-Unis, qui consistent à toucher la personne, à tourner autour, à la pres-ser physiquement en entrant dans sa sphère intime. Nous ne nous approchons pas du suspect en le postillonnant.

© Twentieth Century-Fox Film Corporation / The Kobal Collection

C’EST DU CINÉMA En Suisse, on ne

braque pas une lampe dans les yeux d’un suspect (extrait de

"Train to Alcatraz").

Les détecteurs de mensonge ne sont pas fiables (extrait de

"Le Jour où la Terre s’arrêta").

© Republic / The Kobal Collection

Nous ne lui hurlons pas dans l’oreille… D’abord parce que c’est interdit en Suisse, mais aussi parce que cela peut pro-voquer de faux aveux, car il y a des gens qui ne supportent absolument pas ces traitements. Ils sont en revanche ad-mis et pratiqués aux Etats-Unis pour mettre une pression gigantesque sur le suspect, le stresser et rompre sa non-collaboration. En Suisse, nous enseignons des méthodes plus respectueuses, et nous arrivons aux mêmes résultats.

Contrairement à ce qu’on voit souvent à la télévision,  vous ne négociez pas des arrangements avec les sus-pects en échange de bons tuyaux…

La police suisse ne peut pas le faire. Nous ne mentons pas aux suspects, et nous ne leur racontons pas d’histoire.

Nous ne pouvons donc pas faire de promesses à propos de la suite du processus judiciaire que nous ne maîtrisons pas. C’est dommage, parce que cette possibilité de négo-cier serait un outil intéressant dans certaines affaires, no-tamment de stupéfiants, mais c’est une méthode qui nous est interdite. Les Américains le font, pas nous. Enfin, pas la police. A noter tout de même que le procureur peut, dans certains cas, négocier la peine avec le prévenu.

Il n’y a pas non plus de détecteur de mensonge dans  vos tiroirs. Même pour un suspect qui demanderait à  subir un test afin de prouver sa bonne foi…

Non, parce que cette technologie n’est pas fiable. Certains suspects, comme les psychopathes, l’esquivent à mer-veille. Ils maîtrisent totalement leurs émotions, ils ne sont pas stressés, ne transpirent pas ou n’ont pas de battements de cœur mesurables. En revanche, nous voyons apparaître l’imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRM).

On lit de plus en plus d’articles scientifiques à ce sujet dans les revues spécialisées. Il semblerait que, quand un individu ment ou qu’il dit la vérité, les zones en activité

de son cerveau ne sont pas les mêmes. De tels systèmes, qui permettraient de prouver scientifiquement qu’un sus-pect ment, sont commercialisés aux Etats-Unis. Ils sont encore controversés, mais je suis absolument persuadé que, dans une vingtaine d’années, l’IRM sera un des re-cours de la police.

On l’a vu à la télé et vous le faites dans la vraie vie :  il vous arrive de jouer les naïfs comme Columbo…

Ça dépend de la personnalité qui se trouve en face de nous.

Lui laisser croire qu’elle est la plus forte est une tactique utile quand on veut la faire mentir. Protocoler des men-songes, c’est déjà un excellent résultat. On comprend que le suspect ment et on pourra adopter une autre stratégie dans la suite de l’enquête. Avec certains prévenus, cette technique donne des résultats merveilleux. Mais une mo-nostratégie, comme celle de Columbo, ne peut pas réussir à tous les coups, sauf si, comme lui, on a toujours affaire à des personnalités plutôt fortes, qu’on peut faire douter petit à petit.

Comme on peut le voir au cinéma, vous jouez au gen-til et au méchant flic…

Oui. Celui qui joue le gentil doit capter l’attention du sus-pect afin qu’il se tourne systématiquement vers lui. Le mé-chant l’agresse, et le gentil semble lui tendre des perches.

Ce jeu de rôle permet de pousser le prévenu dans ses re-tranchements. Parfois, ça marche. Il arrive qu’un suspect qui était fermé comme une huître s’ouvre au gentil.

Et comme dans les vieux films français, vous répétez  inlassablement les mêmes questions…

Oui, c’est un rapport de force. Avec cette pratique, on si-gnifie au suspect que nous n’acceptons pas sa réponse et nous reposons la question très souvent. Le suspect a le

© Rue des Archives/RDA © Universal TV / The Kobal Collection

«DANS LA PARTIE

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