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PRISE EN CHARGE EN SÉANCE ORTHOPHONIQUE

Les caractéristiques de la thérapie du langage que nous venons d’évoquer et par là, la grande liberté qu’elles confèrent à l’enfant, rendu acteur de sa prise en charge, ne sont pas pour autant synonymes d’une attitude laxiste privilégiant le statut d’« enfant roi ». Ces principes sont le reflet d’un courant théorique orthophonique, s’intégrant pleinement dans le cadre de la prise en charge. Les thérapeutes du langage en font même un principe inaliénable. En effet, la grande liberté accordée au patient pendant la séance ne se conçoit que par la présence de limites structurantes symbolisées par ce cadre.

B.1. Cadre de prise en charge

Même si bon nombre de pathologies rencontrées dans la profession touchent au domaine scolaire, nous l’avons vu, l’orthophoniste est un professionnel de santé, un thérapeute, et il « ne peut pratiquer son art que sur ordonnance médicale. »45

On ne parle pas de soutien scolaire mais de prise en charge (ou rééducation), tout comme nous ne parlons pas de « cours » ou « leçons » mais de séances d’orthophonie.

Le bon déroulement d’une prise en charge requiert une certaine stabilité.

En premier lieu, une stabilité de la part de l’orthophoniste : il donne au patient un « temps » qui lui est propre. Ses séances sont prévues à intervalles réguliers

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C. CHASSAGNY, cité par G. BASZANGER, L’échec en écriture, p.12

45Code de santé publique, article L4341-1, 1er

(généralement une à deux fois par semaine), à des heures précises et durent un temps déterminé.

En second lieu, une stabilité du côté de la famille. Elle est souvent mise à mal par le patient ou son entourage : retards et/ou oublis de séances deviennent fréquents, et c’est à l’orthophoniste de les souligner et de faire que la régularité s’établisse ou se rétablisse. Une prise en charge est un « travail » qui s’établit dans la durée, pour des mois, voire des années.

Une relation particulière se tisse alors entre le patient et son orthophoniste. La rééducation s’appuie sur la qualité de cette relation que l’on peut qualifier de « transférentielle ».

B.2. La relation transférentielle

La relation transférentielle est constituée de deux mouvements parallèles, considérés par LACAN comme « divisions théoriques d'un même phénomène de rencontre » :

• Le transfert…

• … et le contre-transfert

En psychologie, le transfert définit « le déplacement des émotions et des affects d’un objet sur un autre. »

Selon le Dictionnaire d’Orthophonie, il existerait dans toutes les relations humaines, mais dans la mesure où il n’y a pas de tiers pour le médiatiser et l’interpréter, il reste le plus souvent inconscient.

La théorie psychanalytique précise qu’il s’agit « d’un report des sentiments que le patient a éprouvés dans l’enfance à l’égard de ses parents, sur la personne de l’analyste ».

Cette notion a amené les physiologistes WEBER et KLEINPAUL à considérer le transfert comme « facilitateur d'une activité » et comme « la possibilité d’un passage du langage de geste et d'image à un langage de mots. »

Cependant, il faut également tenir compte des mouvements de contre-transfert. Initialement décrit par Sandor FERENCZI, Heinrich RACKER, reprenant ses propos, le définit ainsi :

« Tout comme l'ensemble des images, des sentiments et des pulsions de l'analysant envers l'analyste, en tant qu'ils sont déterminés par son passé, est appelé transfert, de même l'ensemble des images, des sentiments et des pulsions de l'analyste envers l'analysant, en tant qu'ils sont déterminés par son passé, est appelé contre-transfert. » 46

Ces sentiments de contre-transfert faciliteraient chez l'analyste la compréhension de la nature du conflit intrapsychique vécu par l'analysant dans son travail d'analyse et son interprétation dynamique en vue de l'amélioration de son état.

Avec des présupposés très différents de ceux de la psychanalyse freudienne, JUNGconsidère ainsi que transfert et contre-transfert sont indissociables ; ils participeraient à « la même dynamiquearchétypique de l'espace intersubjectif créé par la rencontre thérapeute-patient. »

Ces phénomènes existeraient donc dans toute thérapie, y compris celle du langage. Cependant, ces mouvements transférentiels n’étant ni objectivés ni analysés en orthophonie – comme nous l’avons déjà évoqué – il s’agirait plutôt d’une relation dite « de type transférentiel ».

B.3. L’espace transitionnel

La théorie de « l’espace transitionnel » créée par Donald WINNICOTT n’existe que par celle de « l’objet transitionnel » qui la précède.

Nous l’avons vu, l’accès au langage puise ses origines dans la vie du bébé, par les soins qui lui sont portés par la mère, et les expériences qui rythment sa vie. C’est le moment où l’enfant fait l’expérience des satisfactions et frustrations précoces.

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Unobjet transitionnelest un objet utilisé par unenfantà partir de l'âge de 4 mois pour représenter une présence rassurante absente, comme celle de la mère par exemple.

Pour WINNICOTT, lorsque l'enfant fait usage d'un objet transitionnel, nous assistons, écrit-il, « à la fois au premier usage du symbole par l'enfant et à la première

expérience de jeu. »47

Dans Jeu et Réalité, Winnicott parle d'un « voyage » qui conduit le petit enfant de la subjectivité à l'objectivité.

« Le petit bout de couverture est ce que nous percevons de ce voyage qui marque la progression de l'enfant vers l'expérience vécue. »48

L’objet transitionnel n’est donc que la forme visible des processus transitionnels qui organisent la psyché.

C’est pourquoi il sera plus tard désinvesti et l'espace transitionnel présent dès le début donnera alors accès au jeu et aux activités culturelles.

Cet espace transitionnel est défini par WINNICOTT par une « troisième aire », un « espace potentiel » nous dit Winnicott. Un espace qui va jouer un rôle essentiel dans les processus de représentation et de symbolisation et qui va permettre un premier décollement avec l’objet maternel, « un premier mouvement de l’enfant vers l’indépendance ». Il le définit comme un « espace paradoxal », parce que situé entre la réalité extérieure et la réalité interne, entre le dedans et le dehors.

Il existerait uneforme de symbolisation primairequi ne se conçoit que grâce à l'activité transitionnelle, à cette « aire intermédiaire » qui se situe entre le dedans et le dehors.

Or, si elle n’est ni dedans ni dehors, où est-elle ? Winnicott dira « entrele subjectivement conçu et l'objectivement perçu », un paradoxe à accepter comme tel selon René ROUSSILLON, paradoxe qui fera même l’objet d’un livre intitulé « Le paradoxe de Winnicott ».

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D. WINNICOTT, Jeu et réalité, p. 134

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Cependant, cette première forme de symbolisation pourrait échouer, soit du fait du sujet lui-même, soit du fait des objets car l'activité de représentation et de symbolisation primaire « est uneactivité intersubjective qui est subordonnée à certaines conditions

de l'intersubjectivité ».

Il serait alors possible de restaurer cette première forme de symbolisation primaire, dans une aire intersubjective en laquelle « coexistent, sans crise ni conflit, le déjà-là et le non-encore advenu, l’attente et le comblement »49 – aire que pourrait représenter la séance d’orthophonie – par la médiation du jeu qui permet la mise en route des processus de symbolisation et de représentation, nécessaires au développement du