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A. Alimentation

1. Prise alimentaire

La prise alimentaire est un processus complexe correspondant à la consommation périodique de nutriments. Elle permet à l’organisme d’obtenir des ressources énergétiques pour sa survie, et participe à plusieurs mécanismes homéostatiques tels que le maintien de la glycémie et la régulation du bilan énergétique. Selon Claude Bernard (Bernard 1856), la prise alimentaire, en permettant la stabilité du milieu intérieur, assure à l’organisme une vie autonome. Elle répond à un ensemble de stimuli, internes et environnementaux, régulant la fréquence de la prise, la quantité et le type de nutriments ingérés. Ces stimuli, comme la faim ou la satiété (Le Magnen 1982), témoignent d’un besoin ou d’une réplétion. La prise alimentaire comprend ainsi une phase préprandiale, caractérisée par la sensation de faim, une phase prandiale correspondant à la prise alimentaire et une phase postprandiale qui correspond à l’état de satiété.

Les principaux centres de contrôle du comportement alimentaire se trouvent au niveau de l’hypothalamus et du tronc cérébral, ou un grand nombre de neuromédiateurs et de récepteurs reçoivent des informations nerveuses et hormonales sur le statut énergétique de l’organisme (Figure 15). Ces hormones proviennent principalement de trois sites (Sam, Troke et al. 2012) : les cellules adipeuses, le pancréas et le tractus gastro-intestinal. D’autre part, les stimuli environnementaux, sociaux et psychologiques sont également des déterminants majeurs de la prise alimentaire, puisqu’ils influencent la prise des repas, ou encore le choix des aliments.

a) Régulation de la prise alimentaire

La régulation de la prise alimentaire peut se faire sur la quantité et la qualité des aliments ingérés, et sur la durée de l’intervalle entre deux prises alimentaires (Bellisle 2005). Les centres de régulation de la prise alimentaire sont l’hypothalamus, le noyau du tractus solitaire (NTS) et l’aire tegmentale ventrale (VTA).

Ainsi, au niveau de l’hypothalamus, le noyau arqué, richement vascularisé, est le senseur du glucose et des hormones lui parvenant. Il contient des neurones orexigènes définis par les neurones à neuropeptide Y (NPY) et les neurones à protéines liées à l’agouti (AgRP, « Agouti related protein ») (Gropp, Shanabrough et al. 2005) et des neurones anorexigènes définis par

61 les neurones à proopiomélanocortine (POMC) (Balthasar, Dalgaard et al. 2005). Le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus est impliqué dans le contrôle inhibiteur de la prise alimentaire, de par sa communication avec le tronc cérébral et avec le noyau arqué (Harrold, Dovey et al. 2012). Enfin, le noyau ventromédian de l’hypothalamus, sensible au glucose, contrôle les dépenses énergétiques et la prise alimentaire. Sa destruction entraîne une hyperphagie et une obésité (Shimizu, Oomura et al. 1987).

Les noyaux du tractus solitaire, dans le tronc cérébral, sont le premier relais central des informations provenant du système digestif, via le nerf vague. La stimulation de ces noyaux entraine l’arrêt de la prise alimentaire (Havel 2001).

L’aire tegmentale ventrale correspond à la composante hédonique entrant en jeu dans le comportement de prise alimentaire. Ce système, également appelé système de la récompense, peut lever l’inhibition présente sur les neurones orexigènes via la libération de dopamine (Tyree and de Lecea 2017).

Le système nerveux central modifie alors son activité grâce aux signaux afférents de régulation à court terme et à long terme qu’il reçoit.

Ainsi, le signal de faim repose sur les théories « glucostatiques » (Mayer 1953) et « lipostatiques » (Kennedy 1953). En effet, la prise alimentaire dépend des variations de la biodisponibilité cellulaire de glucose, détectée par les zones glucosensibles, grâce au principal récepteur du glucose : GLUT2. La baisse de la disponibilité cellulaire de glucose est reflétée par une baisse de la glycémie, induisant un signal de faim. D’autre part, le contrôle de la prise alimentaire est modifié en fonction des réserves adipeuses corporelles. En effet le tissu adipeux sécrète de manière proportionnelle à sa quantité, de la leptine à destination de l’hypothalamus, afin de réduire la prise alimentaire et maintenir des réserves adipeuses stables.

Avant le repas, la ghréline, est produite principalement par l’estomac, et stimule le noyau arqué et ainsi la prise alimentaire. C’est la seule hormone périphérique orexigène.

L’ingestion d’aliments induit différentes réponses. Les mécanorécepteurs gastriques et intestinaux sont activés. Les chimiorécepteurs sensibles à la présence des différents nutriments tels que les sucres, les acides gras et les peptides, présents dans le tractus gastrointestinal, sont également activés (Mei 1998). Ces signaux nerveux sont acheminés jusqu’au noyau du tractus solitaire via le nerf vague (Havel 2001) puis projetés au niveau de

62 l’hypothalamus. La présence de nutriments dans le tractus gastrointestinal stimule la sécrétion de plusieurs substances dans la circulation comme la cholécystokinine (CCK), le glucagon-like peptide 1 (GLP-1) et le peptide YY 3-36 (PYY3-36), qui ont un effet de rassasiement.

Figure 15 : Convergence de multiples signaux du statut énergétique de l’organisme dans le système nerveux central.

Arc : noyau de l’hypothalamus arqué ; DMH : noyau de l’hypothalamus dorsomédian ; LH : noyau de l’hypothalamus latéral ; MBH : noyau de l’hypothalamus médiobasal ; PVN : noyau paraventriculaire ; VMH : noyau de l’hypothalamus ventromédian ; DVC : noyaux du tronc cérébral formant le complexe dorsovagal ; AP : aire postrema ; DMX : noyau X du nerf vague ; NTS : noyau du tractus solitaire ; CCK : cholécystokinine ; GIP : polypeptide gastrique inhibiteur ; GLP1 : glucagon-like peptide 1 ; PYY : peptide YY. Adapté de Blouet, 2013.

63 Les signaux de régulation à long terme reposent sur les réserves énergétiques, accumulées sous forme de graisse dans le tissu adipeux, qui joue alors un rôle essentiel.

L’insuline, synthétisée par les cellules β des îlots de Langerhans dans le pancréas, est une hormone hypoglycémiante sécrétée après la prise alimentaire. Elle permet, par sa fixation à son récepteur (IRS, insulin receptor substrate), le stockage du glucose circulant en glycogène ou en triglycérides, par les cellules hépatiques, adipeuses et musculaires. De nombreuses études ont confirmé le rôle de l’insuline cérébrale comme modulateur de la motivation à manger (Havel 2001). En effet, des récepteurs à l’insuline ont été identifiés au niveau du noyau arqué de l’hypothalamus. L’insuline périphérique est donc transportée à travers la barrière hémato encéphalique, pour, au niveau cérébral, refléter l’état des réserves énergétiques de l’organisme. Au niveau central, l’insuline potentialise l’effet anorexigène de la CCK.

La leptine, découverte en 1994 (O'Rahilly 2002), est sécrétée par le tissu adipeux en proportion de sa masse grasse. Elle est un autre facteur hormonal régulant la masse grasse corporelle. La leptine, comme l’insuline, inhibe l’activité des neurones dans le noyau arqué paraventriculaire de l’hypothalamus basomédian qui produisent le NPY et l’AgRP, substances orexigènes (Penicaud, Meillon et al. 2012). Elle a, en ce sens, un effet antagoniste à la ghréline. Les personnes obèses développent une résistance à la leptine, provoquant une importante leptinémie. En effet, la leptine peut moduler la plasticité synaptique dans l’hypothalamus, en réduisant les connexions excitatrices au niveau des neurones orexigènes NPY et AgRP et en augmentant les connexions excitatrices au niveau des neurones anorexigènes POMC, ce qui induit une diminution de la prise alimentaire (Pinto, Roseberry et al. 2004). Aussi, l’injection de leptine à des patients obèses diminue leur sensation de faim, et augmente la sensation de satiété (Halford, Wanninayake et al. 1998).

La résistine est une hormone également sécrétée par le tissu adipeux. Elle se fixe sur les récepteurs de l’insuline au niveau des adipocytes, hépatocytes et myocytes induisant une résistance à l’insuline. De plus, chez les personnes obèses, les taux de résistine sont augmentés (Steppan, Bailey et al. 2001), attestant du lien entre obésité et diabète, deux pathologies qui se développent fréquemment conjointement.

Malgré la sécrétion par le tissu adipeux d’hormones favorisant son expansion et les défauts métaboliques qui en résultent, comme l’inflammation, le tissu adipeux est également capable

64 de sécréter des hormones favorables à un maintien de l’homéostasie : c’est notamment le cas pour l’adiponectine et l’apeline.

L’adiponectine, hormone sécrétée par le tissu adipeux, augmenterait la sensibilité à l’insuline au niveau du foie en diminuant la production de glucose et au niveau du muscle en augmentant l’entrée de glucose et des acides gras libres (Li, Shin et al. 2009).

L’apeline, une autre adipokine, améliore l’utilisation du glucose dans les cellules musculaires et adipeuses (Dray, Knauf et al. 2008) en augmentant la fonction et le nombre de mitochondries. L’injection d’apeline chez l’animal diabétique améliore la sensibilité à l’insuline, l’hyperglycémie ainsi que la prise de poids (Attane, Foussal et al. 2012). Un essai clinique est en cours pour déterminer son efficacité chez l’Homme (Gourdy, Cazals et al. 2018).

La dérégulation d’un ou de l’ensemble des signaux régulant la prise alimentaire participe au développement de maladies métaboliques. La prise alimentaire, en plus d’être régulée intrinsèquement, est conditionnée par des facteurs sociaux et culturels construisant nos habitudes alimentaires.

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