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Chapitre 2 : Étude bibliographique sur la photocycloaddition [2+2]

II. B. d) 1) Principe

Avant d’effectuer une réaction de photocycloaddition, il est important de connaitre l’état d’excitation singulet ou triplet de la molécule à irradier. En effet, une molécule fluorescente excitée dans son état singulet va revenir à l’état fondamental très rapidement (10-9 à 10-6 s) et n’aura pas forcément le temps nécessaire pour réaliser la photocycloaddition. À l’inverse, excitée à l’état triplet, elle retournera dans son état fondamental par un processus plus lent de phosphorescence (10-3 à 1 s) ce qui lui laissera le temps de réagir pour la photocycloaddition. Si une molécule n’est pas excitée dans son état triplet par irradiation directe, elle peut y accéder par transfert d’énergie d’une autre molécule photoexcitée, appelée photosensibilisateur. Connus pour passer rapidement à l’état triplet une fois excités, les photosensibilisateurs sont capables de fournir leur énergie à l’état triplet de la molécule d’intérêt par un mécanisme d’échange d’électrons de Dexter (Figure 20).49h)

Figure 20 : Principe de la photosensibilisation par mécanisme de Dexter. P : photosensibilisateur, S :

substrat

Un bon photosensibilisateur doit posséder un niveau d’énergie T1 élevé. Il doit passer rapidement de l’état singulet à l’état triplet une fois excité par croisement intersystème. L’état triplet du photosensibilisateur doit être plus haut en énergie mais relativement proche de celui du substrat, et sa longueur d’onde d’excitation différente pour éviter d’irradier directement la molécule d’intérêt. De nombreux photosensibilisateurs sont connus et répertoriés, se différenciant par l’énergie de leur état triplet et leur longueur d’onde maximale d’absorption.93 Les plus courants sont des cétones aliphatiques ou aromatiques (Tableau 5).

Molécule Acétone Acéophénone Benzophénone

ET

(kcal/mol) 79.4 74 69

λmax (nm) 280 319 333

Tableau 5 : Longueur d’onde maximale et énergie de l’état triplet de photosensibilisateurs classiques

93 Dilling, W. L. Chem. Rev. 1969, 69, 845–877.

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La photosensibilisation permet d’initier la photocycloaddition [2+2] sur des composés possédant une longueur d’onde maximale très basse. Elle s’effectue généralement en présence d’acétone comme solvant84,94 ou d’acétophénone, benzophénone en quantité catalytique95 ou stœchiométrique.96 Après s’être intéressé à la catalyse au Cu(I) (Tableau 3), le groupe de Mattay a étudié la cycloaddition de tétraènes éthers par photosensibilisation à l’acétone.84 Cette fois encore, les composés 81 et 82 de simple cycloaddition sont obtenus majoritairement avec un rendement de 88% et une proportion de 34% et 58% repectivement après 3 h d’irradiation. En présence de benzophénone, cette même photocycloaddition conduit aux produits 81 et 82 avec un rendement de 50% dans un ratio 1 : 1.97

En 2009, le groupe de Mykhailiuk a décrit la photocycloaddition [2+2] intramoléculaire de l’amino acrylate 100 en présence des photosensibilisateurs benzophénone et acétophénone en quantités catalytiques dans le cadre de la synthèse totale du 4-fluoro-2,4-méthanoproline (Schéma 57).95a)

Schéma 57 : photocycloaddition [2+2] intramoléculaire de l’amino acrylate 100 en présence de

benzophénone et d’acétophénone

En 2014, le groupe de Aitken a rapporté la photocycloaddition [2+2] intermoléculaire de l’alcool allylique avec l’anhydride maléïque en présence du photosensibilisateur acétophénone (Schéma 58).95b) L’anhydride maléïque possède une longueur d’onde maximale d’absorption très basse, de 208 nm, et une énergie de son état triplet de 71 kcal/mol. L’acétophénone, d’énergie triplet légèrement supérieure, de 74 kcal/mol a donc été choisie comme photosensibilisateur.98 Celle-ci a permis l’hétérodimérisation quantitative formant les produits cyclobutaniques exo cis 101 et endo cis 102 dans un ratio 4 : 1.

94 Hoffmann, N.; Buschmann, H.; Raabe, G.; Scharf, H.-D. Tetrahedron 1994, 50, 11167-11186.

95 a) Tkachenko, A. N.; Radchenko, D. S.; Mykhailiuk, P. K.; Grygorenko, O. O.; Komarov, I. V. Org. Lett. 2009, 11, 5674– 5676. b) Hernvann, F.; Rasore, G.; Declerck, V.; Aitken, D. J. Org Biomol Chem 2014, 12, 8212–8222.

96 a) Roscini, C.; Cubbage, K. L.; Berry, M.; Orr-Ewing, A. J.; Booker-Milburn, K. I. Angew. Chem. Int. Ed. 2009, 48, 8716– 8720. b) Sakamoto, M.; Kato, M.; Aida, Y.; Fujita, K.; Mino, T.; Fujita, T. J. Am. Chem. Soc. 2008, 130, 1132–1133.

97 Wender, P. A.; Correia, C. R. D. J. Am. Chem. Soc. 1987, 109, 2523-2525.

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Schéma 58 : photocycloaddition [2+2] de l’alcool allylique avec l’anhydride maléïque en présence du

photosensibilisateur acétophénone

La photosensibilisation peut également montrer une réactivité différente par rapport à l’irradiation directe. En effet, le groupe de Booker-Milburn a exploité la photocycloaddition du composé maléïmide 103 dans différentes conditions (Schéma 59).96a) Alors que l’irradiation directe donne un mélange des composés 104 et 105 issus de la [5+2] et photocycloaddition [2+2] respectivement, avec un rendement de 20% et 75%, la photosensibilisation en présence de benzophénone conduit exclusivement au composé de cycloaddition [2+2] 105 quasi quantitativement.

Schéma 59 : Photocycloaddition du maléïmide A-1 avec et sans photosensibilisateur

II. B. d) 2) Transfert d’énergie par catalyseur photoredox

Comme vu précédemment,49e),g-h),92),99 les catalyseurs photoredox se sont montrés très efficaces pour initier les réactions de cycloaddition [2+2] par transfert d’électrons photoinduits. Ils possèdent une grande capacité à capter ou donner un électron, une fois excités à de hautes longueurs d’ondes, dans le domaine du visible. Ils sont donc réduits ou oxydés en présence d’une oléfine, par mécanisme de SET (« single electron transfert ») (Figure 21 voies A et B).100 Cependant, le haut niveau d’énergie de leur état excité leur confère également des propriétés de photosensibilisateurs (Figure 21, voie

99 a) Reckenthäler, M.; Griesbeck, A. G. Adv. Synth. Catal. 2013, 355, 2727–2744. b) Tucker, J. W.; Stephenson, C. R. J. J.

Org. Chem. 2012, 77, 1617–1622.

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C).100,101 En effet, ils vont être capables de transmettre de l’énergie à une oléfine pour initier la cycloaddition [2+2] par mécanisme de photosensibilisation.100,102

QR = quench reducteur. QO = quench oxydant. QE = quench d’énergie. AE = accepteur d’électrons. DE = donneur d’électrons

Figure 21 : Mécanisme de transfert d’électrons (voie A et B) ou d’énergie (voie C) par le catalyseur

photoredox Ru(bipy)32+ une fois excité par la lumière visible

En 1986, le groupe de Kutal s’est servi du transfert d’énergie de Ru(bpy)32+ pour induire la cycloaddition [2+2] du norbornadiène substitué 106 en quadricyclène 107 avec un rendement de 56% (Schéma 60).102a) Dans ce processus, le mécanisme de SET n’est pas possible car le potentiel d’oxydation (E1/2+1/0 = +1,82 V vs SCE) et de réduction (E1/20/-1 = -1,39 V vs SCE) de 106 ne permet pas le quench oxydant ou réducteur de Ru(bpy)32+ (E1/22+*/+ = +0,77 V vs SCE et E1/22+*/3+ = -0,81 V vs SCE). De plus, l’irradiation directe de 106 dans l’acétonitrile n’entraine que la photoisomérisation.

101 a) Juris, A.; Balzani, V.; Barigelletti, F.; Campagna, S.; Belser, P. l; Von Zelewsky, A. Coord. Chem. Rev. 1988, 84, 85– 277. b) Wrighton, M.; Markham, J. J. Phys. Chem. 1973, 77, 3042–3044.

102 a) Ikezawa, H.; Kutal, C.; Yasufuku, K.; Yamazaki, H. J. Am. Chem. Soc. 1986, 108, 1589–1594. b) Lu, Z.; Yoon, T. P.

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Schéma 60 : photocycloaddition [2+2] du norbornadiène substitué A-1 par transfert d’énergie de

Ru(bpy)32+

En 2012, le groupe de Xiao a décrit la réaction de cycloaddition [2+2] de motifs indoliques 1 tolérant de nombreux substituants avec de bons rendements et d’excellents excès diastéréomériques par transfert d’énergie du catalyseur Ru(bipy)32+ (Schéma 61).100

Schéma 61 : cycloaddition [2+2] de motifs indoliques

Le mécanisme proposé pour cette transformation est le même que celui de la photosensibilisation où le catalyseur excité Ru*(bipy)32+ donne son énergie à l’état triplet du substrat 108 (Schéma 62). Celui-ci réagit avec l’état fondamental S0 d’une autre molécule pour donner un intermédiaire biradical, qui, après réarrangement, conduit au photodimère 109.

Schéma 62 : Mécanisme de la cycloaddition [2+2] par transfert d’énergie de Ru(bipy)32+ La même année, Yoon a rapporté la réaction de cycloaddition [2+2] intramoléculaire de diènes éther substitués 110 avec de bons rendements, utilisant des catalyseurs redox au ruthénium ou à l’iridium (Schéma 63).102b)

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Schéma 63 : cycloaddition [2+2] de diènes éther par transfert d’énergie

Par ailleurs, il a démontré toute l’importance du photosensibilisateur dans ses réactions de cycloaddition sur un exemple d’irradiation d’un diène tosyl amine 111. L’utilisation d’un catalyseur d’iridium comme photosensibilisateur donne après 15 h d’irradiation dans la lumière visible, un rendement de 90% du photodimère 112, alors que l’absence de photosensibilisateur n’aboutit qu’à de la dégradation à 254 nm (Schéma 64).

Schéma 64 : Cycloaddition d’un diène amine avec et sans photosensibilisateur

Conclusion

Nous venons de voir dans ce chapitre que la réaction de photocycloaddition [2+2] a été très étudiée à l’état solide comme en solution. De nature très complexe, elle entre souvent en compétition avec des isomérisations et réarrangements thermiques, et peut former une multitude d’isomères cyclobutaniques. Alors que l’irradiation directe en solution est connue pour favoriser l’isomérisation (Z/E) des oléfines, des techniques ont été développées pour avantager la cycloaddition. L’état solide a permis un contrôle de cette dernière, et a montré une grande régio- et diastéréosélectivité. Cependant, des critères assez sélectifs sont imposés. Hormis le fait que le solide doit être dans un état cristallin pour permettre une irradiation efficace, Schmidt a indiqué dans son postulat topochimique que l’arrangement moléculaire doit parfaitement aligner les deux oléfines parallèlement et à une distance comprise entre 3,6 et 4,2 Å. En version intermoléculaire, ces critères ont pu être respectés à l’aide d’interactions phényle - perfluorophényle, ou en utilisant une plateforme rigide liée à deux doubles liaisons C=C par liaisons non covalentes hydrogènes, halogènes ou par coordination avec un métal. Cela a été également possible en attachant par liaison covalente une plateforme de type [2.2]paracyclophane. En solution, la photocycloaddition [2+2] a été facilitée par l’utilisation de la catalyse au cuivre (I), de la photosensibilisation avec des sensibilisateurs classiques cétones ou catalyseurs photoredox, et du transfert d’électrons avec la photoredox.

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