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1) Principaux résultats et confrontation avec la littérature :

i. Le temps :

Il apparait après analyse thématique des notions de temps sur plusieurs échelles.

Le temps personnel est exprimé souvent et rapidement. De manière assez intuitive, les médecins généralistes refusent de consacrer du temps en dehors du travail pour des procédures judiciaires, estimant celui-ci déjà assez réduit.

Ce temps personnel restreint est mis en perspective par l’enquête emploi de l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) qui retrouve un temps de travail de 50 heures pour les femmes généralistes et de 58 heures pour les hommes généralistes en 2000. (24)

Le temps médical retrouvé dans notre verbatim est également retrouvé par deux études menées en Champagne-Ardenne en 2012 et 2013 (25), qui montrent une surcharge de travail actuelle. Ainsi le système de soins actuel ne permettrait pas de libérer un temps judiciaire pour les médecins généralistes.

Le temps de la violence elle-même fait apparaitre une forme de sidération du médecin victime devant la soudaineté et la rapidité de l’évènement.

Sidération également retrouvée dans la thèse de Robert de Saint Vincent C. (26) dés lors qu’une situation vécue au cabinet est en lien avec une procédure judiciaire : « on ressent un grand vide », « un stress intense », ou bien « une sidération » « ça fait peur parce qu’on sait pas ce qui va nous arriver ».

Le temps judiciaire enfin est mentionné. Une réputation de lourdeur décourage les médecins. Ils y associent donc l’absence d’outil rapide et adapté pour porter plainte et un aveu de méconnaissance des circuits judiciaires.

D’autant plus que les exemples de délai entre la prise en charge et la plainte sont courants lorsqu’il s’agit d’une plainte du patient contre le médecin. En effet, toujours dans la thèse De Robert de Saint Vincent C. (26) : « La plainte arrive en effet 2 ans après la dernière consultation. »

50 ii. La peur :

L’analyse thématique fait également apparaitre une notion de peur sur plusieurs échelles.

La peur de l’aggravation de la violence apparait en premier lieu. La notion de représailles par le patient ou son entourage est décrite notamment.

Cette possible aggravation des violences suite à la judiciarisation est également identifiée dans l’étude de Robert de Saint Vincent C. (26) alors même que la plainte est de l’initiative du patient lui-même : « Parfois le plaignant se manifeste avant même que les instances aient sollicité le médecin. Dans deux affaires les médecins ont eu à faire face à des patients très en colère. Ils ont parfois eu peur de subir de la violence physique tout en se laissant atteindre par les propos très violents des patients à leur égard. »

La peur de l’inutilité de la démarche judiciaire revient très souvent aussi. Les sujets dénonçant une absence attendue de sanctions envers le sujet violent ou de protection apportée à la victime.

Comme dans la thèse de Mabilais A. (27) qui décrit un patient roi : « En parallèle de ces évolutions notables, le droit poursuit sa lancée dans un mouvement en nette faveur des patients. La Justice n’ignore pas ces évolutions et adopte des jurisprudences favorables aux patients victimes, au détriment des médecins généralistes. »

iii. Le modèle OPE : Organe Personne Environnement :

L’analyse thématique nous a permis de faire apparaitre un modèle Organe Personne Environnement. Ce modèle est une présentation pratique du concept de diagnostic de situation, formulée par J.F. Massé et L. Levy (22), qui consiste non seulement à observer une personne dans son contexte, mais aussi à en réaliser une approche systémique qui apprécie simultanément ses dimensions organique, relationnelle et environnementale, et leurs interactions.

Ce modèle se divise en 3 plans.

Le plan organique, ou norme biomédicale apparait à travers une notion de gravité associée aux conséquences de la violence. Celle-ci ne semble en effet jamais assez grave pour porter plainte :

- Soit elle est seulement verbale et non suivie de violence physique

- Soit elle est physique mais non suivie d’ITT, d’ESPT, de blessure, de préjudice esthétique etc.

51 Donc le médecin de ville ne porterait pas plainte tant que les conséquences de la violence ne l’empêchent pas d’exercer. Nous n’avons pas retrouvé dans la littérature de référence à cette norme biomédicale, mais elle semble bien ressortir de nos entretiens.

Le plan personnel / psycho-relationnel, ou norme intime apparait à travers la relation entretenue entre le médecin et son patient. De cette relation très spécifique découle en fonction des sujets un comportement préférentiel :

- Soit le médecin accorde son pardon au patient violent. Notamment si des excuses sont formulées par l’auteur des faits ou son entourage.

- Soit le médecin en appelle à sa conception de l’étique pour expliquer le non dépôt de plainte. Les sujets qui le mentionnent font appel aux notions de bienfaisance et non malfaisance.

Le médecin estimerait donc que sa fonction de soignant l’empêche de porter plainte contre son patient.

Cette dimension psycho relationnelle a bien été mis en évidence par une étude qualitative réalisée pour une thèse d’exercice par un médecin généraliste lyonnais Marc Chanelière (28), publiée ensuite dans le journal « La presse médicale ».Pour eux, l’impact de ces évènements indésirables le plus prégnant était plus psycho émotionnel avec survenue de sentiments tels que la culpabilité, le stress ou la colère.

Le plan environnemental, ou norme sociétale apparait également sur plusieurs échelles :

- Entre confrères par exemple, porter plainte contre son patient semble être tabou ou interdit. Ainsi le DEA de droit civil par Mélanie Goedert (29) met en évidence que le conseil de l’ordre et les confrères n’apparaissent qu’en dernier en tant que soutien possible dans une procédure judiciaire, loin derrière les avocats, les assureurs et les syndicats. Ce qui pourrait appuyer cette hypothèse. - A une échelle plus globale, beaucoup de sujets mentionnent une banalisation

de la violence à l’encontre du corps médical contre laquelle ils semblent désarmés.

Banalisation retrouvée dans le témoignage d’une consœur généraliste retranscrit par le conseil départemental du Val de Marne de l’ordre des médecins (30) : « Pour l’avoir vécu, les patients ne tolèrent plus le non ».

- Enfin, les entretiens font apparaitre une non reconnaissance du statut de victime à hauteur de ce qu’il devrait être au niveau judiciaire.

52 Ce qui est également décrit par la thèse de Mabilais A. (27) par l’évocation de jurisprudences en faveur des patients. A noter que dans cette thèse, il s’agit de plaintes du patient contre le médecin et non du médecin contre la patient. En somme le médecin ne peut porter plainte du fait de sa fonction sociale. iv. L’ambivalence :

L’analyse thématique fait enfin apparaitre une notion d’ambivalence sur plusieurs échelles. L’ambivalence est la tendance à éprouver ou à manifester simultanément deux sentiments opposés à l’égard d’un même objet. (31)

La première des ces ambivalences concerne la question de la répétition des violences. En effet, nombreux sont ceux qui affirment porter plainte en cas de récidive de laviolence. Mais ces mêmes sujets dénoncent une fréquence telle des violences (en particulier les moins graves), qu’elle est génératrice de lassitude.

Cette ambivalence se retrouve aussi dans le témoignage suscité du conseil départemental du Val de marne (30) : « J’ai été entendue par la police : main courante et non plainte car c’est la première fois. »

La seconde concerne la responsabilité réelle de la violence. Les médecins estiment que si violence il y a, il est possible que ce soit à cause d’un manque de temps, d’organisation ou d’une erreur médicale. En d’autres termes, le médecin de ville génèrerait lui-même la violence.

Ainsi, la thèse de Charon G. (32), traitant des causes d’erreurs en médecine générale, a mis en évidence des facteurs favorisants d’erreurs. Elles avaient lieu plutôt au cabinet médical, dans des conditions de travail défavorables.

La troisième concerne une acceptation de la violence, malgré le sentiment que celle-ci soit inacceptable.

Soit parce que le médecin prend en compte le contexte autour du patient violent qui expliquerait un tel comportement : les inquiétudes, la souffrance ressentie par celui-ci etc.

Soit parce que le praticien estime qu’il tire parti de cette violence. Celle-ci lui servira d’expérience pour de futures consultations difficiles.

Comme Radoman I. (15) qui identifie « une modification des pratiques par les médecins une fois la procédure engagée. »

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