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Chapitre 6: Conclusion

6.1. Principaux résultats et apports scientifiques

La méta-analyse effectuée au tout début du projet et présentée au chapitre 2 du présent ouvrage a permis de mettre en lumière certaines lacunes de la littérature actuelle concernant la cognition sociale chez les personnes souffrant de troubles anxieux. Elle nous a également permis d‟explorer les différences entre les différents diagnostics de troubles anxieux sur le plan des habiletés de cognition sociale. Ce travail aide donc à mieux caractériser la nature de chacun des troubles et à les différencier d‟un point de vue sociocognitif. Dans le cas précis du trouble d‟anxiété sociale, la méta-analyse a principalement permis de constater que deux domaines de la cognition sociale, soit la mentalisation et les connaissances sociales ont été particulièrement sous-étudiés. Les résultats qui en sont issus nous ont également permis, d‟ores et déjà, de constater que le style attributionnel semble être le domaine de la cognition sociale le plus influencé par la présence du TAS. Ces résultats permettent donc d‟offrir un premier appui aux théories cognitives postulant que les biais cognitifs sont une caractéristique centrale de la maladie et de son maintien.

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Dans un deuxième temps, en plus de contribuer à améliorer l‟état des connaissances relativement aux domaines ayant reçu moins d‟intérêt de la part des chercheurs chez les personnes souffrant du TAS, l‟étude comportementale présentée au chapitre 5 du présent ouvrage est la première, à notre connaissance, à mesurer l‟ensemble des domaines de la cognition sociale chez un même échantillon de patients souffrant du TAS. L‟ensemble des mesures de cognition sociale utilisées permettent de tracer un portrait plus juste et global des habiletés affectées et préservées chez ces patients et également de comparer l‟ampleur des difficultés retrouvées dans chacun des domaines afin, entre autres, de fournir une indication sur les domaines les plus critiques à aborder en thérapie.

Les résultats issus de ce projet montrent, comme il était attendu, que les personnes souffrant de TAS présentent une altération des habiletés de cognition sociale. Comme stipulé dans les hypothèses de départ, cette altération se traduit principalement par la présence d‟un biais d‟attribution et de difficultés de mentalisation. Le style attributionnel biaisé est caractérisé par un renversement du biais normal d‟externalisation, montrant une tendance chez les patients à attribuer des causes externes aux évènements sociaux positifs et à s‟attribuer les causes des évènements sociaux négatifs. Ces résultats vont dans le sens de la littérature actuelle dans laquelle des biais d‟attribution ont déjà été rapportés chez cette population. Par contre, cette étude est la première à avoir étudié ce type précis de biais chez les patients avec TAS.

Ces résultats fournissent un appui à certains modèles cognitifs-comportementaux de la maladie existant. En effet, dans ces modèles, il est postulé que l‟anxiété est entre autres maintenue à cause de la présence de certains biais cognitifs chez les personnes atteintes du TAS, les poussant à traiter préférentiellement les informations négatives qui vont alors venir teinter leur jugement d‟une situation (Clark & Wells, 1995; Rapee & Heimberg, 1997). Nos résultats viennent donc ajouter aux modèles en suggérant qu‟en plus des biais neurocognitifs, les patients présenteraient des biais d‟attribution qui ultimement pourraient jouer un rôle dans l‟interprétation des situations sociales et dans la persistance de l‟anxiété chez ces personnes.

Concernant les difficultés en mentalisation, les données obtenues suggèrent que seulement la mentalisation de premier-ordre serait affectée chez les patients. La mentalisation est une fonction cognitive complexe qui demande l‟intégration de plusieurs processus cognitifs, dont certains sont plus ou moins recrutés selon la tâche utilisée ou le type de mentalisation mesuré. Il est donc possible qu‟un type de mentalisation soit déficitaire alors que l‟autre sera préservé. Dans le cas du présent projet, les items de mentalisation de premier ordre utilisés étaient des histoires dites de «fausse croyance». Dans ce type d‟histoires, le participant dispose d‟une information qu‟il doit inhiber puisque qu‟elle n‟est pas connue du personnage auquel un état mental doit être attribué. À

l‟opposé, seulement une minorité des items mesurant la mentalisation de second-ordre nécessitait ce genre d‟inhibition. Il se pourrait donc que ce soit cette capacité à inhiber ses propres connaissances pour adopter celles des autres qui soit affectée chez les patients avec TAS. Cette hypothèse est d‟ailleurs abordée dans les modèles cognitifs de la maladie qui stipulent que les patients souffrant du TAS auraient de la difficulté à laisser tomber leur propre perspective pour prendre celle de l‟autre (Clark & Wells, 1995; Rapee & Heimberg, 1997). Cette difficulté de prise de perspective se manifesterait entre autres lorsqu‟ils doivent se représenter comment les autres les perçoivent au cours d‟une situation sociale. Les patients auraient alors tendance à utiliser leur propre représentation d‟eux-mêmes au lieu de tenter de prendre la perspective de l‟autre. Bien que d‟autres études soient nécessaires afin de comprendre d‟où viennent spécifiquement les difficultés des patients, ces résultats sont les premiers à suggérer la présence de difficultés de mentalisation chez les patients avec TAS, la seule autre étude ayant porté sur le sujet n‟ayant pas permis de trouver de différence significative entre le groupe de patients et le groupe contrôle. Notre étude est cependant la première à mesurer de façon distincte les habiletés de mentalisation de premier- et de second- ordre.

Les résultats obtenus en ce qui a trait au domaine des connaissances sociales vont, encore ici, dans le sens de l‟hypothèse de départ qui stipulait que les patients avec TAS ne présenteraient pas de déficit dans ce domaine. Par contre, l‟hypothèse selon laquelle le traitement des émotions serait intact a été partiellement infirmée par les données. Globalement, les patients ne présentaient pas de différence significative par rapport aux contrôles sur leur score à la tâche de traitement des émotions. En outre, l‟analyse des performances obtenues séparément sur chacune des émotions a révélé que le groupe de patients présentait une meilleure performance dans la reconnaissance des visages exprimant de la colère que le groupe contrôle. Ces résultats, autant au niveau des connaissances sociales que du traitement des émotions, vont dans le sens de la littérature actuelle qui ne démontre pas de déficits globaux des patients dans ces deux domaines. Cependant, cette étude est la première à utiliser une tâche créée et validée spécifiquement pour mesurer les connaissances sociales chez cette population de patients. De plus, les résultats obtenus à la tâche de traitement des émotions permettent de mettre l‟accent sur l‟importance d‟analyser séparément chaque émotion et permet d‟appuyer les théories stipulant que les patients souffrant de TAS présenteraient une modulation dans le traitement de certaines émotions seulement (Clark & Wells, 1995; Rapee & Heimberg, 1997).

L‟analyse des liens qu‟entretiennent les différents domaines de la cognition sociale avec certaines caractéristiques personnelles des patients montre aussi des résultats intéressants et novateurs. Premièrement, la sévérité des symptômes d‟anxiété sociale est négativement reliée à la

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performance en traitement des émotions, de sorte que les patients les plus anxieux montrent plus de difficultés. Bien qu‟il soit en ce moment impossible d‟établir une relation de cause à effet entre ces deux variables, ces résultats offrent un appui aux théories cognitives dans lesquelles le traitement des émotions joue un rôle primordial dans le développement et le maintien de l‟anxiété sociale (Clark & Wells, 1995; Rapee & Heimberg, 1997). Deuxièmement, les résultats suggèrent que le biais d‟externalisation est positivement corrélé avec l‟estime de soi, indiquant qu‟une meilleure estime serait reliée à un biais d‟externalisation plus prononcé. Ce résultat fournit une piste intéressante pour la thérapie puisque les patients présentaient une estime d‟eux plus faible que les contrôles. Il est donc possible de penser qu‟un traitement visant l‟amélioration de l‟estime de soi chez les patients pourrait engendrer des effets bénéfiques sur le style attributionnel et vice versa.

En somme, les résultats suggèrent que les patients souffrant de TAS présenteraient principalement des biais de cognition sociale plutôt que des déficits et que certaines caractéristiques personnelles seraient liées avec ceux-ci. Cette étude est la première à fournir un portrait aussi global du fonctionnement de la cognition sociale chez ces patients et offre un éclairage pertinent pour la mise en place de traitements mieux adaptés à la réalité de cette population clinique.

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