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Cette étude a permis de révéler un lien entre l’état de colère et les performances obtenues lors d’une tâche de détection de piétons couplée à une tâche de suivi de véhicule. Les résultats indiquent que les conducteurs détectent les piétons seuls (Condition A) depuis une plus longue distance lorsqu’ils sont dans un état de colère que les conducteurs dans une humeur neutre. De plus, les participants du groupe Contrôle ont obtenu un score de délai plus faible, indiquant une amélioration de la réactivité pour la tâche de suivi lors du second scénario expérimental. Cette amélioration de la performance de suivi n’a pas été obtenue pour les participants du groupe Colère. Cependant, nos hypothèses de départ n’ont pas été corroborées par les résultats obtenus. En effet, la colère n’a pas impacté les scores de cohérence et de modulus, et l’analyse des distances de détection ne révèle aucune indication concernant une éventuelle focalisation attentionnelle sur la source de colère.

Les résultats obtenus en termes de performance à la tâche de suivi de véhicule ne correspondent pas à la littérature suggérant que la colère entraîne des perturbations dans le contrôle de la vitesse et de la trajectoire du véhicule (Jeon et al., 2014 ; Stephens & Groeger,

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2011 ; Techer, Jallais, Fort, Chanut, et al., 2015). L’augmentation des variations de la position latérale obtenue lors de la deuxième étude n’a pas été répliquée ici. Cette apparente incohérence pourrait suggérer que lorsque l’environnement et la tâche deviennent plus complexes, les conducteurs dans un état de colère suivent une trajectoire plus rectiligne. En effet, la littérature suggère que la charge cognitive pourrait réduire la variabilité de position latérale (Cooper et al., 2013). Une raison à cela pourrait être que le contrôle de la trajectoire, une tâche peu coûteuse en ressources attentionnelles, est effectué de manière automatique par le conducteur (Logan & Crump, 2009). Ce mode de fonctionnement permettrait d’obtenir un haut niveau de performance en investissant un minimum de ressources. En ce qui concerne la vitesse de circulation, les résultats présents dans la littérature reposent sur des tâches de conduite libre plutôt que sur une mesure de l’aptitude à contrôler la vitesse du véhicule. Ainsi, les participants étaient incités à conduire tels qu’ils l’auraient fait dans un contexte naturel (e.g. Jeon et al., 2015), ou en imaginant qu’ils sont en retard pour un rendez-vous (Roidl et al., 2014). Selon Wilde (1998) le style de conduite adopté repose sur un équilibre entre le risque perçu et les objectifs de l’individu. Selon ces deux éléments, l’individu pourra modifier un ensemble de variables correspondant principalement au niveau stratégique de la conduite tel que défini par le modèle de Michon (1985). Le choix de la vitesse de circulation et de la fluidité des accélérations et freinages peut donc être modifié par l’individu pour atteindre un équilibre par rapport aux risques perçus. Cet équilibre peut être modifié par une sous-estimation des risques induite par la colère (Lazarus, 1991 ; Lerner & Tiedens, 2006), ce qui a pu provoquer une conduite dangereuse dans une tâche de conduite libre. Dans notre cas, l’objectif de la tâche étant de reproduire les changements de vitesse du véhicule à suivre, les participants n’avaient pas d’intérêt à rouler plus vite ou à freiner et accélérer de façon plus brutale. Le modèle de l’évaluation considère que la colère apparaît lorsque les objectifs d’un individu sont menacés et qu’il pense avoir les capacités pour affronter cette situation (Voir page 28). Or, durant le scénario expérimental, l’individu ayant pour consigne de suivre et ajuster sa vitesse à celle du véhicule, il ne percevait donc aucune menace pour ses objectifs. La différence de résultats obtenus pourrait donc provenir des différentes motivations générées par notre tâche expérimentale et les tâches utilisées dans la littérature. Pour répondre à cette hypothèse, notre étude pourrait être répliquée sans informer les participants

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de la nature de la tâche afin de mesurer leur comportement naturel en situation de suivi. Les résultats obtenus à l’aide des PEs lors d’une situation de suivi (Voir page 71) suggèrent une baisse de ressources attentionnelles investies dans le traitement d’un véhicule à suivre. Dans cette étude, l’absence d’amélioration du délai pour le groupe Colère pourrait être la manifestation comportementale de l’impact de la colère sur les PEs en suivi de véhicule. Toutefois, la situation de double tâche a pu accentuer cet effet constaté par des mesures physiologiques afin de le rendre observable par des variables comportementales.

En ce qui concerne la détection des piétons, nos hypothèses reposaient sur le fait qu’un stimulus générateur de colère pourrait capturer l’attention des conducteurs (Chan & Singhal, 2013 ; Harmon-Jones et al., 2013). De plus, les données de la littérature montrent que les conducteurs ayant été mis en colère par un véhicule gênant réagissent plus tardivement lorsqu’il s’agit d’éviter un danger atypique tel qu’un piéton traversant la route (Stephens et al., 2011). Cependant, Stephens et al. (2011) ont également constaté que les conducteurs, après avoir été induits en colère, cherchaient à éviter de se retrouver gênés par un autre véhicule. Ils tentaient donc de dépasser ou d’éviter tous les véhicules pouvant les mettre à nouveau dans cette situation. Et ce, même si le modèle de véhicule ne correspondait pas à celui utilisé pour l’induction. Un tel effet dans notre expérimentation pourrait expliquer que les deux types de véhicules n’ont pas provoqué de réaction attentionnelle différente pour les participants préalablement induits en colère. Toutefois, dans notre étude, la séparation entre les scénarios a pu pousser les conducteurs à faire une distinction entre les deux situations de conduite, considérant qu’aucun des deux véhicules n’était une source potentielle de colère. Lors du second scénario expérimental, en l’absence de source de colère identifiable, les participants ont eu la possibilité de mettre en place des stratégies de compensations pour ne plus être affectés par la source de colère. Cependant, les conducteurs de notre groupe Colère avaient été sélectionnés pour leur fort trait de colère en conduite. Selon la « State – Trait Anger theory » (Voir page 31) ils devraient donc avoir du mal à réguler leur colère de manière constructive. Il est également envisageable que l’humeur de colère ressentie ait été trop légère pour permettre une identification consciente de la source (Voir page 25). L’amélioration de la distance de détection constatée pour les piétons seuls ne signifie pas nécessairement que les conducteurs seront plus rapides à réagir en situation naturelle. En effet, selon leur gestion des

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risques, les conducteurs en colère pourraient être plus lents à prendre la décision d’éviter les piétons malgré une détection plus rapide. Cette hypothèse pourrait être testée par de futures expérimentations afin de différencier le temps requis pour la détection d’un danger, et le temps nécessaire pour adopter un comportement adapté afin de l’éviter.