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B. Modulations comportementales et physiologiques de l’attention en conduite

3. PEs et émotions

Le traitement d’une information émotionnelle semble causer des modifications pour l’ensemble des composantes des PEs. Par exemple, le traitement d’une image positive ou négative causera une plus grande amplitude du « Late positive potential » (LPP) qui est une composante similaire à la P3 (Codispoti, Ferrari, & Bradley, 2007). Grâce à une tâche de

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visionnage répétitif de mêmes images émotionnellement connotées ou neutres, Codispoti et al. (2007) ont pu mettre en évidence que cet effet perdurait même après un grand nombre de répétitions des stimuli émotionnels. Bien que les individus aient montré un phénomène d’habituation à ces stimuli, leur dimension émotionnelle entraînait toujours une amplitude de P3 plus importante. Pour ces auteurs, l’effet observé était dû principalement à l’arousal des images traitées car peu importe la valence de l’image émotionnelle, le pic d’activation était plus important que pour les images neutres. Il a parfois été avancé que plus les composantes sont tardives, plus un stimulus à fort arousal peut impacter leur amplitude (Rozenkrants & Polich, 2008). Des études visant à observer les effets de la valence et de l’arousal sur les PEs ont elles aussi montré que l’arousal impactait préférentiellement les composantes tardives telles que la P3 alors que la valence semble avoir plus d’effets sur les composantes précoces (Rozenkrants & Polich, 2008 ; Van Strien, Langeslag, Strekalova, Gootjes, & Franken, 2009 ; Xu, Zhang, Li, & Guo, 2015). Toutefois, l’effet de la valence n’est pas toujours observable, et ses effets semblent moins importants que ceux évoqués par l’arousal du stimulus (Rozenkrants & Polich, 2008). Il est intéressant de noter que cet effet observé pour le traitement de stimuli connotés semble être cohérent avec les effets obtenus pour l’arousal physiologique de l’individu. L’impact de l’arousal sur la P3 serait explicable grâce aux modèles de l’attention en tant que réservoir de ressources (e.g. Kahneman, 1973) stipulant que l’arousal détermine la quantité de ressources attentionnelles disponibles pour traiter une information (Polich, 2007). Dans un contexte de colère en conduite, il serait envisageable que les individus aient une réaction attentionnelle plus intense en apercevant des éléments pertinents pour la tâche de conduite que lorsqu’ils sont dans un état émotionnel calme. Cette idée pourrait faire écho à l’augmentation de l’activation du réseau attentionnel d’alerte tel que nous l’avons mesuré lors de l’étude précédente.

Afin d’éprouver ces différentes hypothèses, la seconde étude de cette thèse a été menée. Son objectif était d’observer l’influence de la colère sur la performance de conduite et le traitement de l’information en couplant des données physiologiques et comportementales.

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4. Problématique et objectifs

Comme nous l’avons vu dans la première étude, la colère, de par l’arousal élevé qu’elle véhicule, semble améliorer l’efficacité du réseau d’alerte (Techer et al., 2015). En conduite, cela pourrait se traduire par une réaction attentionnelle plus intense lors du traitement d’alertes telles que celles prodiguées par des systèmes d’alertes anticollisions. Contrairement à la tâche en laboratoire, la détection des informations en conduite se fait en parallèle de plusieurs tâches automatisées de contrôle du véhicule, correspondant au niveau opérationnel du modèle de Michon (1985). L’amélioration du réseau d’alerte pourrait donc être masquée par les autres facteurs intervenant dans cet environnement plus complexe, rendant plus difficile la mesure de la dynamique attentionnelle par le biais de mesures comportementales. Par conséquent, nous avons décidé de mener une expérimentation utilisant la méthode des PEs.

5. Méthode

a) Poste de conduite

Les mesures EEG étant très sensibles à l’activité musculaire, il a été nécessaire d’adapter un simulateur de conduite afin de limiter les manipulations manuelles (e.g. passage des vitesses), mais aussi les mouvements oculaires des participants.

Le poste de conduite (Figure 8) était composé d’un siège automobile, un écran de 24 pouces, un pédalier et un volant. Afin de ne pas créer d’interférences avec le signal EEG, le véhicule simulé était équipé d’une transmission automatique, et l’expérimentation se déroulait dans l’obscurité. Le siège, ainsi que l’écran étaient fixés sur des rails afin de permettre au participant de choisir la distance siège/volant la plus confortable pour lui, et l’expérimentateur pouvait ensuite ajuster la distance œil/écran afin qu’elle soit fixée à 90cm pour tous les participants.

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La simplicité de ce simulateur a également permis l’observation des effets de la colère à un niveau intermédiaire de réalisme se situant entre la tâche de l’ANT-I et le contexte de conduite plus réaliste d’un simulateur de conduite complet.

La simulation de conduite était basée sur le simulateur de conduite développé par le Laboratoire Exploitation, Perception, Simulations et Simulateurs de conduite (LEPSiS) à l’IFSTTAR. L’environnement sonore de la conduite (e.g., bruit du moteur) était diffusé par des hauts parleurs, et le signal d’alerte anti-collision était traité par une carte-son et des enceintes dédiées. Cette séparation permettait d’éviter que la gestion du bruit de la scène routière par la carte-son principale ne cause des variations dans le délai de présentation de l’alerte. De plus, chaque stimulus cible présenté dans la scène routière était associé à une illumination d’une partie de l’écran non visible pour le participant. Une photodiode posée sur cet endroit de l’écran envoyait alors un signal électrique vers le dispositif d’enregistrement EEG. Cette architecture du matériel de simulation permettait d’obtenir les moments de présentation des

Figure 8 : Installation des participants lors de l’expérimentation sur simulateur réduit (les flèches blanches indiquent les éléments ajustables du poste de conduite)

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cibles qui soient le plus proche possible de la réalité sensorielle du participant, augmentant ainsi la validité de nos mesures de potentiels évoqués.

b) Electroencéphalographie et traitement des

potentiels évoqués

Le recueil de l’électroencéphalogramme (EEG) a été effectué en 34 points du scalp à l’aide du système Biosemi Active Two ® (www.biosemi.com). Trente-deux électrodes actives placées sur un bonnet extensible selon le système international 10-22 ont été utilisées. Deux électrodes additionnelles étaient placées sur les deux mastoïdes. Une électrode supplémentaire placée à la droite de l’œil droit a permis de filtrer les interférences causées par les activations motrices et les clignements des yeux. L’électrode de référence était placée sur le nez, permettant de recueillir un signal faiblement parasité par l’activité musculaire ou corticale. L’enregistrement a été mené avec un taux d’échantillonnage de 1024 Hz, et le signal était filtré afin d’exclure les signaux avec une fréquence supérieure à 100 Hz.

Le recueil des potentiels évoqués (PE) consistait ensuite à moyenner l’activité cérébrale entre - 200 ms et 800 ms pour chaque occurrence du stimulus cible. Après moyennage des PEs, un second filtre a été appliqué afin de conserver le signal dont la fréquence se situait entre 1 et 30 Hz. Le traitement des PEs ainsi que le filtrage digital ont été effectués grâce au logiciel ELAN (Aguera, Jerbi, Caclin, & Bertrand, 2011).

c) Recueil des pensées distractives

A la fin du protocole, les participants devaient indiquer sur une échelle de type lickert en sept points allant de « Pas du tout perturbé » à « Fortement perturbé », à quel point ils avaient été distraits par des pensées internes durant la conduite du scénario expérimental. En complément, ils devaient indiquer l’objet de ces pensées en choisissant la réponse la plus appropriée parmi les quatre propositions suivantes : « Des évènements personnels passés » ; « Des réflexions sur la situation expérimentale en cours » ; « Une planification d’actions futures » ; ou « Aucune des propositions précédentes ».

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