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CHAPITRE 6 : LES RENCONTRES DE GROUPE AUPRÈS DES ECOUTANTS :

6.10 Les principales difficultés rencontrées par les répondants dans l’accomplissement de

croient pas posséder les connaissances nécessaires pour répondre

adéquatement aux besoins des appelants

L’analyse des transcriptions a permis de constater que les répondants ressentent des difficultés à l’intérieur des interventions téléphoniques qu’ils réalisent auprès de neuf types d’appelants différents : les appelants dits « réguliers », les appelants présentant des problèmes sexuels, les appelants présentant des problèmes de santé mentale, les appelants manifestant une attitude narcissique, les appelants silencieux, les appelants colériques et agressifs, les appelants suicidaires, les appelants intrusifs, les appelants présentant une déficience intellectuelle, et les appelants désirant dénoncer une situation d’abus.

C’est ainsi que dans la totalité des groupes de discussion, la principale source de difficulté mentionnée par les participants dans l’exercice du rôle d’écoutant résidait dans leur sentiment d’impuissance et d’incompétence qu’ils ont éprouvé tôt ou tard, et de manière plus ou moins intense, à l’intérieur de leurs interventions téléphoniques réalisées auprès des appelants réguliers. Selon les groupes, les interactions avec ce type d’appelant sont susceptibles d’amenuiser progressivement leur sentiment d’être réellement utile pour autrui alors que ce sentiment constituait leur principale source de motivation à poursuivre leur engagement en tant qu’écoutant. Les groupes se sont exprimés ainsi sur cette question.

« Ça pourrait être… une poupée gonflable et ça serait pareil là… Des fois tu as l’impression qu’ils sont là pour appeler… c’est juste une présence, d’écouter respirer… Tu as tout dit, ils t’ont tout dit, ça tourne en rond… C’est avec ça que j’ai de la misère. Aujourd’hui… mais quand j’ai commencé ces appels réguliers là, je les prenais un peu sous mon aile, j’étais contente et tout ça. Et là c’est comme je ne sais pas là… La braise s’éteint… je le sais pas comment là… ce n’est pas tout eux, c’est peut-être moi dans ma vie ce qui se passe et tout ça, je les trouve plus difficiles ceux-là. » (F2, #11, p.9)

« Je vois la différence d’une soirée de rappelants et d’une soirée… Il peut y avoir un rappelant là, ça je l’accepte, un, mais pas toute la soirée, c’est des gens que déjà je sais d’avance… Et on a beau les ramener et avoir les techniques là, c’est une déception. Vous parliez de déceptions… » (F4, #11, p.12)

Les participants estiment que deux principaux facteurs sont à l’origine de ce constat : 1) l’incapacité de l’écoutant à appliquer les règles rattachées à la philosophie d’intervention généralement « rogérienne » ou « centrée sur la personne » prônée par leur centre d’écoute en recadrant son rôle par l’application des limites qui lui sont associées; 2) l’incapacité de l’organisation des centres d’écoute à assouplir leur philosophie d’intervention privilégiée afin de permettre aux écoutants d’utiliser des outils d’intervention plus adaptés aux besoins des appelants réguliers. Ces deux positions sont explicitées dans les passages de transcription suivants.

« Parce qu’on donne pas de conseils, on donne pas de suggestions, ainsi de suite, on fait seulement entendre et on écoute. Je le sais que c’est sage parce

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que… pour pas se mettre les pieds dans les plats parce qu’on n’a pas de suivi avec eux autres, ainsi de suite, mais je serais beaucoup plus rendu au stade avec l’expérience que j’ai acquise et tout ça, même si j’en ai encore des choses à apprendre, à des contacts directs et avoir un échange comme on fait ce soir. Mais je sais qu’il y a d’autres groupes de formation parmi notre centre ici qui font ça un moment donné et je pense que je serais plus rendu là que de faire uniquement de l’écoute téléphonique, faire des reflets… hanhan, hanhan, hanhan, quand tu connais l’histoire pratiquement d’avance ou des choses du genre. Mais on parle de sports là, celui-là je me sens moins coupable, mais les autres comme… on nommera pas de nom, un moment donné tu as pas le droit d’aller plus loin avec eux autres et si je vais plus loin une journée, je me sens coupable de l’avoir fait envers l’organisation. Ce n’est pas que je trouve les réguliers plates, parce que j’ai du fun avec là, sauf une certaine madame là, que quand tu t’en attends pas, elle te rentre dedans et elle te descend comme un rien, mais ça c’est plus difficile à accepter et dépendant comment tu « feel » cette journée-là. Si tu « feel » bien et que tu es en contrôle, ça coule comme l’eau sur le dos d’un canard, mais si tu es vulnérable un petit peu, ça fait mal, tu dis… comment ça se fait qu’elle me dit ça aujourd’hui là? » (F3, #12, p.7)

« C’est comme si un moment donné on en arrive à… il faut se faire notre propre petite affaire là, il y a l’organisation, tout ça, on respecte les règles, mais c’est comme s’il faut se faire notre petite enveloppe à nous parce que sans ça on arrêterait. Et moi regarde depuis 2001 j’ai pensé plusieurs fois d’arrêter, mais je me dis… je vais continuer un petit peu, je vais continuer un petit peu… Mais des fois je viens que ce n’est pas le fun, cela ne me tente pas. » (F3, #14, p.8)

« Bien c’est ça! Mais ce n’est pas là ce soir, mais j’en ai déjà parlé avec elle et je n’ai pas été capable d’avoir gain de cause non plus, c’était très rigide. Et je me suis dit… ferme ta boîte ou bien va t’en, c’est ça que je me suis dit, ferme ta boîte et fais comme toi tu penses. Parce que je fais rien de mal, je ne donne pas mon nom, je ne donne pas de conseils parce que moi ma plus grosse difficulté quand je suis arrivée ici c’était de ne pas donner de conseils. Une infirmière, ça donne des conseils, ça madame hein! » (F3, #21, p.27)

Par ailleurs, l’ensemble des groupes de discussion a soulevé les difficultés envers les appelants présentant des problèmes ou tenant des propos à caractère sexuel. Ces difficultés semblent provenir d’une frustration éprouvée par les écoutants et qui est générée par l’impression que ce type d’appelant abuse de leur accueil supposément inconditionnel en forçant la réception de discours sexuels explicites par l’introduction d’un sentiment de culpabilité dès qu’une contrainte à la libre expression de leurs expériences sexuelles réelles ou imaginées se voit imposer certaines limites par les écoutants. Les passages suivants illustrent cette réalité.

« Les déviants sexuels sont pas faciles. Ils ne sont pas faciles, d’abord ils veulent qu’on rentre dans leur jeu, ça fait qu’il faut les détourner et… Ils ne sont pas satisfaits de notre réponse. » (F1, #19, p.16)

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« C’est très choquant. Ce que je retiens c’est que ces gens-là, tellement bons manipulateurs, qu’ils nous ont par… ils nous parlent de leurs sentiments et là ils dérapent dans la description et c’est là qu’on se fait prendre. C’est juste là, parce qu’ils nous ont dans leurs sentiments, ils nous parlent de qu’est-ce qu’ils vivent dans leurs sentiments et d’un coup oups! Ça chire, ça chire et là ils sont en plein dedans et ils jouissent. C’est ça. » (F2, #18, p.16)

6.11 Les principales problématiques vécues par les appelants réguliers et les