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3. F ACTEURS EXPLICATIFS DU SUCCES DES ESPECES INVASIVES

3.1. Les hypothèses des sciences de la vie

3.1.3. Pression d’introduction de propagule : hypothèse ou prérequis ?

L’hypothèse de la pression d’introduction de propagules suggère que les capacités d’expansion géographique d’une espèce introduite et naturalisée dépendent de la quantité d’individus introduites dans un même milieu, une propagule étant définit comme toute partie d’une plante qui sert à la propagation de l'espèce incluant les plants adultes, les graines ou des fragments végétatifs. Cette hypothèse est parfois considérée comme l’un, voire le principal moteur des capacités d’expansion géographique des espèces (le Roux et al. 2013 ; Brooks & Jordan 2013 ; Ramula et al. 2015) à tel point que pour certains, il ne s’agit même pas d’une hypothèse, mais d’un prérequis à l’invasion (Colautti et al. 2006) .

La pression de propagules peut jouer un rôle à plusieurs étapes du processus invasif, en permettant d’outrepasser plusieurs barrières (Catford et al. 2009). Une haute pression de propagule augmente les chances que des propagules arrivent vivantes dans la zone d’introduction. En impliquant généralement une augmentation de la diversité génétique de l’espèce introduite, elle favorise les chances d’adaptation à son nouvel environnement. Une haute pression de propagule, d’autant plus si elle est répartie dans le temps et dans la mosaïque paysagère favorise aussi les chances pour l’espèce d’être implantée dans un milieu favorable à son établissement, d’un point de vue biotique et abiotique. En d’autres termes, la pression de propagule favorise la rencontre adéquate et optimale entre les caractéristiques biologique d’une espèce et les caractéristiques du milieu receveur.

27 3.1.4. Activités humaines : des éléments clés ?

A partir de ces hypothèses, aucune généralisation ne s’avère possible, les capacités d’expansion géographique d’une espèce invasive étant contexte-dépendant. Catford et al. (2009) proposent une classification de toutes les hypothèses précédemment présentées en fonction de trois composantes majeures pouvant jouer un rôle plus ou moins important en fonction des situations : des facteurs abiotiques (disponibilité en ressources, perturbations, …), des facteurs biotiques (traits d’histoire de vie de la plante introduite, capacités adaptatives, type d’interaction au sein de la communauté d’introduction, les relations trophiques, …) et la pression de propagule (types de propagules, fréquence d’introduction, …) (figure In-2).

Figure In-2 – Interactions des trois principales composantes biologiques expliquant les capacités d’expansion géographique d’une espèce introduite naturalisée.

Chacune de ces composantes peut être modifiée par les activités humaines (Adapté de Catford et al. 2009).

Dans les études modélisant et comparant les facteurs explicatifs du nombre et de la densité des espèces exotiques ou invasives, les variables liées à l’humain arrivent souvent en tête de liste. En effet, alors que le nombre d’espèces natives est largement expliqué par des facteurs naturels comme le climat et la végétation, le nombre d’espèces exotiques est majoritairement influencé par des facteurs sociaux tels que la densité de population (Guo et al. 2012). Dès 2001, Vilà & Pujadas ont identifié que les quantités d’importations et l’Index de Développement Humain, une estimation des Nations Unies sur la qualité de vie en fonction du PIB (Produit Intérieur Brut), du niveau d’éducation et de l’espérance de vie, étaient les facteurs qui

Humain

Humain

Humain

Caractéristiques abiotiques particulières Caractéristiques biotiques particulières Pression de propagules Succès invasif

28 expliquaient le mieux la densité des plantes exotiques. A l’échelle plus régionale, Spear et al. (2013) ont mis en évidence que la densité de population humaine était le facteur qui expliquait le mieux la richesse en espèces exotiques et invasives, animales comme végétales, dans les aires protégées en Afrique du Sud parmi une douzaine de variables dont la date de création de la réserve, la surface du parc, le nombre de routes, de rivières, richesse en espèces indigènes et des variables climatiques. A une échelle encore plus fine, Gavier-Pizarro et al. (2010) ont montré que le nombre de maisons à moins de 1 km de leurs parcelles de suivi de la végétation était la variable la plus fortement associée à l’abondance des espèces exotiques dans les forêts du Midwestern (US). Dans les milieux insulaires, Kueffer et al. (2010) ont montré, à partir d’une étude comparative sur 30 groupes d’îles répartis dans quatre régions océaniques, que le développement humain (PIB) prédit significativement le nombre d’espèces invasives avec la diversité d’habitats, l’âge de l’île et la région océanique considérée.

Les activités humaines peuvent interagir sur chacune de ces composantes et tout au long du processus, de l’introduction à l’expansion géographique.

3.1.4.1.Le rôle des humains dans la zone d’origine

Depuis que les humains cultivent, ils sélectionnent volontairement des plantes pour les adapter à ses besoins. Les choix de sélection varient en fonction des usages de ces plantes, dans la majorité des cas agricoles ou ornementaux. Dans le cas des espèces horticoles par exemple, une germination importante, une belle floraison et donc une belle fructification peuvent être des traits sélectionnés par les cultivateurs. Chrobock et al. (2011) ont ainsi comparé les capacités de germination entre des espèces natives et des espèces cultivées exotiques pour des raisons ornementales proches taxonomiquement. Sans surprise, les espèces cultivées germent mieux que les espèces sauvages. Puisque la germination rapide et abondante est souvent associée à la grande capacité d’expansion des espèces introduites, les résultats des chercheurs suggèrent que l'introduction de cultivars sélectionnés par les humains peut augmenter le risque que ces espèces deviennent invasives.

Outre la sélection intentionnelle des espèces, les espèces « sauvages » peuvent aussi s’adapter aux pratiques humaines sur le milieu et notamment à la nature et à la fréquence des perturbations (Lockwood et al. 2007). Ainsi, selon Suarez & Tsutsui (2008), une cohabitation et une association anciennes entre les humains et une plante peuvent conférer à cette dernière des préadaptations aux environnements perturbés, et donc favoriser l’expansion géographique dans les autres endroits perturbés où elle sera introduite. Selon Crooks & Suarez (2006), une

29 association avec les humains augmente aussi les chances de transport, de façon volontaire ou involontaire, à travers une grande variété de vecteurs.

3.1.4.2.Le rôle des humains dans l’introduction

Depuis des milliers d’années, les humains se déplacent et transportent avec eux tout un ensemble d’organismes avec eux à travers le monde (Pons et al. 1990 ; Mack 1991 ; Di Piazza 1995 ; McNeely et al. 2001 ; Pascal et al. 2006 ; Harris et al. 2007 ; Gildenhuys et al. 2013). Les introductions d’espèces n’ont cessées d’augmenter, d’abord pendant la construction des grands Empires Coloniaux et des jardins d’acclimatation puis, plus récemment, de façon exponentielle avec le commerce national et international et la plus grande circulation des humains partout dans le monde, de plus en plus nombreux et de plus en plus rapides (Mack 2001 ; Henderson et al. 2006 ; Harris et al. 2007 ; Larrue 2008 ; Ööpik et al. 2013). Dans la première période, elles ont surtout été intentionnelles, tandis que dans la période plus récente, elles sont souvent involontaires, bien que les introductions volontaires persistent notamment pour les plantes économiquement intéressantes (agriculture, sylviculture, horticulture, …). A titre d’exemple, une étude conduite sur les îles Antarctiques et portant sur le transfert de propagules par les touristes et scientifiques met en évidence la présence de graines dans respectivement 20% et 45% des cas, et des lichens ou bryophytes dans 11 et 20% des cas, et cela malgré les précautions prises par ces acteurs et leur forte sensibilisation (Huiskes et al. 2014). Outre ce cas atypique des îles Antarctiques, Kueffer et al. (2010) montrent que plus l’activité économique d’un pays ou d’une île est importante, plus la magnitude des introductions est élevée comparativement à des endroits moins développés économiquement.

3.1.4.3. Le rôle des humains dans la zone receveuse

Il y a un certain consensus dans la littérature sur le fait que les perturbations facilitent l’établissement et l’expansion des espèces introduites et que les activités humaines en sont très majoritairement à l’origine (Rejmánek 1996 ; Chauvel et al. 2006 ; Hierro et al. 2006 ; Marshall et al. 2012 ; Nakamura et al. 2015). Aung & Koike (2015) ont ainsi récemment montré que l’invasion par Prosopis est bien plus élevée dans les paysages dominés par les humains et fortement perturbés que dans les forêts résiduelles. De nombreuses études ont trouvé une association positive entre le niveau d’invasion sur un site et le pourcentage de milieux urbanisés dans les paysages environnants (Borgmann & Rodewald 2005 ; Bartuszevige et al. 2006 ; Maheu-Giroux & Blois 2006). Manier et al. (2014), par exemple, ont ainsi montré que les infrastructures humaines (et notamment les routes) sont un facteur explicatif de la distribution

30 des espèces invasives en augmentant les perturbations et en créant des voies de dispersion dans le sud-ouest du Wyoming. Comme présenté plus haut dans la partie sur l’hypothèse de la niche vacante et de la chaise vide, l’invasion d’une espèce sera surtout favorisée si la nature, l’intensité et les conséquences des changements correspondent aux exigences écologiques (ex : lumière, pauvre en nutriment) et aux stratégies de reproduction de la dite espèce, qui sera alors compétitive dans les premiers stades de succession post-perturbation (Catford et al. 2009).

Au-delà de la sélection des espèces, des transports volontaires et involontaires, des perturbations générées par les activités humaines, ce sont plus globalement des modifications socio-culturelles qui agissent par l’intermédiaire de nouvelles pratiques comme les drivers des processus invasif par les plantes. Ainsi, par exemple, les changements d’usage des terres (nombre, trajectoire et direction des changements), de régimes de propriétés foncières (surface, gestion, …), ou encore l’arrivée de néo-ruraux à la campagne avec de nouvelles pratiques de jardinage (méthode, temps investi dans la lutte contre les mauvaises herbes) ont été identifiés comme des facteurs explicatifs de l’expansion rapide des espèces introduites et naturalisées à de maintes reprises (Mooney & Hobbs 2000 ; Vilà & Pujadas 2001 ; Head & Muir 2004 ; Robbins 2004 ; Domènech et al. 2005 ; Klepeis et al. 2009 ; Vilà & Ibáñez 2011 ; Jahangir Alam 2012). A travers une approche historique de 1956 à 2003, Domènech et al. (2005) ont montré que le pattern actuel de l’invasion par Cortaderia selloana en Catalogne (Espagne) peut s’expliquer par l’héritage historique de l’utilisation des terres entre mise en place de pâture, le nombre de modifications d’usages du sol, la subdivision des fermes, la durée d’abandon des terres et la pression d’urbanisation.

L’analyse de série de changement d’usage des sols montrent que de nombreuses invasions ont lieu après l’abandon des cultures (Vilà et al. 2003 ; Aragón & Morales 2003 ; DeGasperis & Motzkin 2007). Les changements d’usage du sol peuvent conduire à la fragmentation des habitats et à la création de nouvelles fenêtres de colonisation pouvant favoriser l’expansion des espèces introduites (Mooney & Hobbs 2000 ; With 2002 ; With 2004). Une même histoire des usages du sol peut bien sûr avoir des conséquences différentes en fonction du type de végétation et en fonction de l’espèce introduite (Nakamura et al. 2015).

Les capacités d’expansions géographiques des espèces invasives tiennent à la correspondance entre des caractéristiques biologiques et écologiques des espèces et des caractéristiques de l’environnement récepteur. Les humains peuvent jouer à toutes les étapes un rôle majeur.