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Période 2

Période 3

b) Informations à destination du grand public

a) Littérature spécialisée (d'expert à expert/amateur)

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3.2. Naissance du statut invasif de l’ajonc

L’ajonc est classé pour la première fois à l’aube des années 1980 parmi les espèces qui « accélèrent la dégradation des biotopes primitifs ou se substituent aux végétaux indigènes dans le peuplement de nouveaux espaces offerts à la colonisation végétale » ou encore parmi les « pestes végétales » 1 correspondant aux espèces importées dans l’île au grand pouvoir de dissémination et ayant une croissance rapide (Cadet 1977 ; Lavergne 1978, 1980 ; Dupont 1988-2000). Même si les auteurs à cette époque n’emploient pas le terme d’espèce invasive – ce néologisme n’existe pas encore – la définition attribuée à ces catégories est proche des définitions aujourd’hui attribuées à ces espèces dites invasives, avec la prise en compte de l’origine exotique et des effets – négatifs - sur la végétation indigène.

Jusqu’aux années 2000, le statut invasif de l’ajonc est assez silencieux dans l’espace public même s’il apparait dans certains documents parmi les 10 "pestes végétales" les plus importantes de l’île (Sigala 1999). Le taux de publication de documents de littérature spécialisée mentionnant l’ajonc invasif est faible, de l’ordre de un par an (figure 7-1). Ces documents sont à destination des acteurs de l’environnement et des botanistes amateurs.

3.2.1. Contexte international et régional sur les espèces invasives

Au niveau international, entre 1980 et 2000, une attention de plus en plus grande est portée sur la protection et la gestion de la biodiversité (Blandin 2009). La question des espèces invasives se diffuse notamment par le biais de la Convention sur la Diversité Biologique, en 1992 et de la création par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) de l’ISSG (Invasive Species Specialist Group) en 1993. Les espèces invasives, identifiées comme des menaces pesant sur la biodiversité, doivent être maitrisées et éradiquées. La prolifération des espèces exotiques dans les milieux insulaires fait particulièrement l’objet de vives attentions notamment du fait de la visibilité des phénomènes et de la richesse de ces territoires en espèces endémiques et menacées (MEA 2005). En France, le programme de recherche interdisciplinaire INVABIO est lancé en 1999 par le ministère en charge de l’environnement, relayé par INVABIO II en 2001. Pendant cette période également, au niveau national, le sujet se démocratise à travers la publication de quelques articles dans des revues de jardinages ou la presse nationale (Javelle et al. 2006).

1 Le terme de « pest » est également employé dans la littérature anglophone, et le terme de « peste végétale » a été employé au début du 20ème siècle par Perrier de la Bathie à Madagascar (Bathie, 1928). Pour autant, R. Lavergne revendique, en 1978 au congrès de la Sépanrite à l’Université de La Réunion, et aujourd’hui encore la paternité de cette terminologie à La Réunion.

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A La Réunion, en 1989, à la demande de plusieurs acteurs de l’environnement, le chercheur sud-africain Ian A.W. McDonald est invité par la région afin de conduire une expertise sur les effets des "Alien Plants Invasions" sur la végétation native de l’île. Son travail, publié en 1991 et co-signée avec plusieurs acteurs de l’île et un expert de l’UICN-WWF, constitue la première étude quantitative de l’île sur les espèces invasives (Macdonald et al. 1991). Son étude a permis de lister 67 espèces les plus envahissantes et mettre en évidence 33 espèces contre lesquelles la lutte est prioritaire. A partir de la fin des années 1990, d’importants efforts de recherche ont été réalisé sur cette thématique par l’Université de La Réunion, le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), le CBNM (Conservatoire Botanique National de Mascarin) dont certains dans le cadre des appels à projets INVABIO du ministère de l’environnement (Barbault & Atramentowicz, 2010). Ces travaux, portant par exemple sur le Raisin marron (Rubus alceifolius), le Troène de Ceylan (Ligustrum robustum), le Longose (Hedychium gardnerianum), l’Acacia (Acacia mearnsii) ont conduits à la publication de plusieurs rapports, thèses et publications scientifiques (Thébault 1989 ; Radjassegarane 1999 ; Lavergne 2000 ; Baret 2002 ; Tassin 2002). En parallèle, des actions de lutte contre les espèces invasives conduites par l’ONF se sont multipliées essentiellement en milieu naturel et dans les plantations sylvicoles (sur la période 1985-2003, sont recensés respectivement 41 chantiers couvrant une surface d’intervention de 500 ha et 40 chantiers couvrant une surface d’intervention de 469 ha), jusqu’à devenir un élément majeur de la gestion forestière publique dans les années 2000 (Hivert 2003).

3.2.2. Des botanistes et naturalistes lanceurs d’alerte de l’invasion de l’ajonc à La Réunion

Les premiers lanceurs d’alerte sur l’expansion et les impacts de l’ajonc dans les habitats naturels de La Réunion sont des botanistes de terrain, tous adhérents à l’association de protection de la nature de l’île, la SREPEN (Société Réunionnaise pour l’Étude et la Protection de la Nature). Pour ces botanistes passionnés et militants, en s’étendant et colonisant rapidement de vastes espaces, l’ajonc, comme d’autres espèces exotiques, menace la végétation endémique et indigène. En effet, cette période correspond à un changement très rapide du visage de l’île avec un développement économique se traduisant par de nombreux aménagements, créations de routes, défrichements, qui favorisent des espèces introduites peu exigeantes au détriment des espèces natives : d’une sortie de terrain sur l’autre, les botanistes remarquent la différence. Cette période correspond également au moment où l’expansion géographique de l’ajonc dans la zone

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du Maïdo va de plus en plus vite et où de larges surfaces (aux alentours de 7000 ha) sont envahies dans les milieux agricoles de la Plaine des Cafres (CHAPITRE 6).

3.2.3. Peu d’alliances entre acteurs sur les impacts de l’ajonc sur la végétation indigène

Entre 1980 et 2002 il n’y a que très peu d’alliances au sein des acteurs de l’environnement spécifiquement sur la question de l’ajonc invasif et la question n’est que très peu relayée par les institutionnels prenant en charge la politique environnementale, elle n’est pas présente dans les arènes de débats publics. La seule alliance relevée relie un professeur de biologie de l’université de La Réunion et le directeur adjoint de l’ONF lors de la co-publication d’un article (Figier & Souleres 1991).

Une des explications du faible relais institutionnel du statut invasif pendant cette période s’inscrit dans la vision écologique dominante à cette époque des milieux dans lesquels l’ajonc se développe par les écologues et les gestionnaires : les milieux ouverts de l’étage altimontain, couvert d’une végétation éricoïde de type lande et de prairie humide (figure 7-2).

Figure 7-2 – Végétation altimontaine (au-dessus de 1800 m d’altitude) dans le secteur du Massif du Maïdo dans les zones indemnes d’ajonc (a et b) et dans les zones avec ajoncs (c et d) (Udo 2014).

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Selon les conceptions de l’écologie classique dominante à cette époque, il ne s’agit pas d’une formation climacique (Larrère & Larrère 2009), c’est-à-dire que la communauté végétale n’a pas atteint un état (théorique) d’équilibre stable et durable avec les facteurs édaphiques et climatiques du milieu. Dans son article de 1974, Cadet suppose en effet que la végétation altimontaine (au-dessus de 1800 m d’altitude) évoluera à plus ou moins long terme, vers une forêt hygrophile complexe. Les stades intermédiaires de la succession sont moins prioritaires dans la mise en place de mesures de protection que les milieux « à l’équilibre », tels que les forêts. C’est probablement pour cette raison, entre autres, que McDonald, en 1989, ne prospecte pas les milieux des hautes altitudes, n’insiste pas sur l’expansion de l’ajonc, et ne liste pas cette espèce parmi les 67 les plus envahissantes (McDonald et al. 1991). Pour l’ONF également, établissement gestionnaire du domaine forestier (statut départemento-domanial2) dans lequel l’étage altimontain est inscrit, ces milieux d’altitude ne sont pas intéressants car les conditions climatiques et pédologiques sont incompatibles avec la sylviculture.

3.2.4. Des alliances sur la question des impacts économiques de l’expansion de l’ajonc Les lanceurs d’alerte précédemment évoqués sont les premiers à souligner les effets de l’expansion géographique de l’ajonc sur la végétation indigène, mais ce ne sont pas les premiers à attribuer des effets indésirables de l’expansion de l’ajonc. Dans les milieux agricoles, son statut public de plante nuisible de l’ajonc a été fortement publicisé entre 1980 et 2000 (CHAPITRES 6 ET 8).

Des alliances entre acteurs sont ainsi en place sur l’idée que l’ajonc est une espèce nuisible dans les espaces agricoles car il limite les surfaces exploitables. L’ONF, gestionnaires de zones agricoles mises sous concession, le Cirad, l’ARP (Agence Réunionnaise de Pastoralisme) tentent de comprendre le processus d’expansion de l’ajonc dans les milieux agricoles et cherchent à mettre au point des méthodes de contrôle (CHAPITRE 6). Dans les concessions agricoles du Piton de l’eau (propriété départementale, gestion ONF, location à des éleveurs), les éleveurs sont dans l’obligation de lutter contre l’ajonc dès les années 1990. Les ouvriers de l’ONF luttent autour des milieux agricoles, dans les espaces interstitiels non concédés, les sentiers et bords de pistes forestières, ainsi que sur des aires de pique-niques aménagées.

2 Le statut départemento-domanial est propre aux Départements d’Outre-Mer îliens (Antilles, Réunion). Il s’agit de l’ancien régime de la Colonie, passée sous ce statut en 1948. La nue-propriété revient au Département, mais l’Etat en conserve le droit d’usage. La gestion du domaine est sous l’autorité de l’ONF suivant les dispositions du Code Forestier.

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3.3. Premier essor du statut invasif dans l’espace public

A partir de 2000, la percée du statut invasif dans l’espace public s’affirme par rapport à la période précédente. Sur la période 2000-2009 le taux de publication moyen annuel de documents de littérature spécialisée passe à 3,5 par an, et le taux de parution d’articles de presse grand public est de 2 par an (figure 7-1). Parmi les rapports abordant l’ajonc invasif, plus de la moitié sont spécialement dédiés à l’ajonc, ce qui n’a jamais été le cas dans la période des lanceurs d’alerte. Cette période est aussi caractérisée par le premier arrêté préfectoral mentionnant l’ajonc en tant qu’espèce exotique envahissante (Arrêté n°3006 relatif aux Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales de La Réunion, 10 août 2006). Au milieu des années 2000, l’ajonc fait l’objet du plus gros chantier de lutte contre une invasive en milieu naturel à La Réunion, évalué à 500 000 euros sur 2 ans (financés par le Conseil Général et l’Europe) (Soubeyran 2008). Au cours de cette période donc, le statut invasif perce au niveau régional à la fois dans l’arène publique médiatique, dans l’arène publique juridique et administrative et dans l’arène politique. Il est aussi de plus en plus présent dans l’arène publique scientifique.

Géographiquement, les espaces agricoles envahis sont beaucoup moins mentionnés que les espaces naturels (4 contre 24 documents), alors qu’ils l’étaient tout autant dans la période précédente. Au sein des milieux naturels, le Massif du Maïdo a suscité un élan d’attention tout particulier (10 sur 24 documents).

Par rapport à la période précédente, le nombre d’acteurs régionaux impliqués tend à régresser, l’ONF devenant le seul acteur engagé sur la problématique. Parallèlement, la publication d’acteurs extérieurs à l’île augmente, en particulier des chercheurs.

3.3.1. Contexte international et régional sur les espèces invasives

Au cours de cette période, les politiques publiques internationales s’investissent de plus en plus sur la question des espèces invasives. A titre d’exemple, dans le traité international de la Convention de la Diversité Biologique en 2002 sont adoptés des « Principes directeurs » spécifiques afin d’aider les pays signataires à établir les priorités de leurs stratégies de lutte contre les espèces invasives. Au niveau scientifique, la courbe exponentielle de parution des articles scientifiques à partir des années 2000 rend compte de la montée en puissance de ce champ de recherche (Kühn et al. 2011, figure 7-3).

A La Réunion, les travaux sur les espèces invasives sont de plus en plus intégrés dans des documents de planification (ex : Orientations régionales forestières 2002, 2004 ; Stratégie