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Chapitre 4 Présentation des données

4.1 Les composantes de la définition de réflexivité du point de vue des participantes

4.1.1 Prendre de la distance et mettre en mots

En ce qui concerne la prise de distance, rappelons d’abord que cette composante signifie prendre un recul par rapport à sa pratique et aux situations d’intervention rencontrées. Les intervenantes rencontrées ont nommé cette composante de la réflexivité chacun à leurs façons. Pour elles, de manière générale, il s’agit de poser un regard sur leur pratique, de « prendre un pas de recul » et aussi d’évaluer leurs actions. Elles visent ainsi à faire mieux lors d’une prochaine intervention et par conséquent à améliorer leur pratique. D’autres y ont ramené l’aspect éthique, soit de prendre une distance face à ses actions afin d’en voir la cohérence avec l’éthique, ainsi qu’avec le code de déontologie qui régit la profession. L’extrait suivant illustre ces deux aspects, soit évaluatif et éthique :

09 : « Je dirais réflexivité, ben c’est ça d’analyser notre pratique, d’évaluer nos actions, en fait. Souvent ça va se faire par après là, d’après moi là. […] Ben dans le fond y’a un côté éthique à ça aussi je pense là la réflexivité. Dans le sens j’ai tu agis comme je pouvais, au mieux que je pouvais? Ben dans un sens je me dis que sur le terrain quand on fait quelque chose, c’est sûrement ce qu’on pensait qui allait être le mieux. »

Prendre une distance signifie aussi de prendre le temps de se poser devant la complexité d’une situation ou à la suite d’une intervention. À ce sujet, l’une des participantes dit ceci :

05 : « En général, réflexivité pour moi, c’est de prendre le temps de. C’est comme ça que je le définis. Prendre le temps de prendre le temps de réfléchir. Je le dis deux fois, parce que réflexion demande un certain temps. Tu peux pas dire je prends deux minutes pour réfléchir parfois, mais pour moi ça demande plus. Pis je mets l’emphase là-dessus parce que personnellement j’ai de la difficulté à utiliser ce moment-là de réflexivité face à une situation. »

En lien avec ce dernier extrait, la participante énonçait aussi que le fait de prendre le temps lui permet d’envisager les différentes options possibles afin d’orienter l’action et pour faire état à la personne de ces options qui s’offrent à elle, de manière à qu’elle puisse faire des choix.

Maintenant, en ce qui a trait à la mise en mots, je rappelle qu’il s’agit dans un premier temps de la prise de conscience des réflexions qui sous-tendent les actions et d’arriver à les nommer. À ce propos, une personne interrogée énonce ceci :

01 : « Prendre conscience qu’on pense-là! […] Chaque situation est unique pis c’est là faut aller rechercher, tsé de un notre savoir expérientiel, ce qu’on connait des situations typiques, mais aussi d’aller voir l’unicité de la personne en soi pis, tsé ça amène (silence), tsé de façon inconsciente là une réflexion, oui à se remettre en question. Pis des fois de, tsé quand ça marche pas, ça veut pas dire qu’on a pas bien fait le travail ou que la personne est réfractaire, mais des fois c’est juste pas le bon moyen qu’on a mis en place […]. »

Dans le feu de l’action, le raisonnement qui conduit à faire telle ou telle intervention n’est pas nécessairement explicite. Il faut donc prendre conscience de ces pensées ayant guidé l’action. Donc, une autre personne y va de manière plus précise ici :

06 : « Je définirais ça par l’action mentale de se pencher sur une question ou des enjeux, souvent des enjeux sont souvent pas évident, souvent complexes là et c’est pas là, on va dire gris là que j’utilise encore, qui va faire en sorte que peu importe le problème, que ce soit social, mathématique, logique, peu importe le thème, il va y avoir une action qui va se faire parce qu’il faut tenter de résoudre le problème. Mais ça se fera pas facilement comme par exemple, ce sera pas mécanique. »

Cette même personne poursuit en exprimant que la mise en mots est l’expression de l’articulation entre l’analyse d’une situation et les actions. Ceci revient à identifier la logique sur laquelle s’appuient les actions posées en intervention. Voici son propos :

06 : « Mais quand tu développes cette réflexivité, tu te mets à, OK, c’est pour ça qu’on agit comme ça et ses brides (ou ça s’hybride) à l’analyse. C’est pour ça qu’on va intervenir de telle manière, que je prends telle décision parce qu’il y a des enjeux du fait que la personne sera pas nécessairement d’accord ou les proches autour. Fait que c’est là que quand on développe une réflexivité, y’a un certain argumentaire, pas dans le but d’avoir raison, mais de démontrer son (mot inaudible) ou que aux autres qui comprennent pas nécessairement voilà ce que je veux vous expliquer, pour vous faire réfléchir à votre tour et vous allez avoir votre propre réflexion des choses, mais mon casse-tête, je veux que vous voyez ma photo, pour que vous pouviez savoir où je m’en va avec ça. »

La mise en mots conduit à identifier et à nommer la logique qui sous-tend les actions. Elle permettrait aussi de mettre en lumière ce qui se cache derrière des réactions que l’intervenante peut avoir face à la personne qu’elle aide, face aux idées ou aux volontés de cette dernière. Ces réactions de l’intervenante peuvent être de l’ordre d’un malaise ou de l’ordre d’émotions ressenties lors de l’intervention. L’une des participantes y va ainsi :

07 : « Pis là, c’est de se requestionner : pourquoi je me suis sentie de même, j’ai ressenti un malaise? »

Donc pour cette praticienne, il s’agit d’identifier l’émotion qui l’habite, par quoi elle est suscitée, afin d’éventuellement la gérer de manière à ce que ceci n’interfère pas négativement dans l’intervention. Il y a la préoccupation de ne pas être envahie par ce ressenti, au point de nuire à l’intervention.

En terminant cette partie, je retiens que la prise de distance permet d’évaluer ses interventions pour bien s’ajuster, tout en faisant le poids des enjeux éthiques ou autres qui émergent des situations d’intervention. Elle permet donc d’envisager les différentes options qui s’offrent à soi dans l’intervention pour poursuivre, mais aussi pour les transmettre à la personne afin qu’elle y fasse ses propres choix. Quant à la mise en mots, elle permet de reconstituer la chaîne des actions et la logique qui la sous-tend. Elle permet aussi d’identifier des émotions, un ressenti par exemple, de les mettre des mots. Ce travail sur soi a comme objectif d’agir de manière à ce qu’il n’y ait pas d’impacts défavorables dans l’intervention ou du moins à limiter ces impacts. Pour d’autres participantes, ceci réfère à agir de façon éthique.