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Prendre en compte l’interaction entre trajectoires technologiques de long terme et frictions de

3.2 P ROBLEMES POSES ET CAHIER DES CHARGES POUR UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DE

3.2.2 Prendre en compte l’interaction entre trajectoires technologiques de long terme et frictions de

Pour ce deuxième point, il faut revenir à la nature même de la croissance que les modèles décrivent. Schématiquement, celle-ci peut revêtir deux « formes » qui ne sont jamais rendues compatibles dans le paysage de la modélisation :

• une croissance de long terme stabilisée, pouvant correspondre à une trajectoire optimale (modèle type Ramsey-Koopmans) ou à une trajectoire résultant de comportements tous optimaux avec anticipations parfaites ;

• une croissance heurtée à court-terme, reproduisant des cycles d’activités, des oscillations irrégulières caractéristiques des ajustements permanents des agents économiques aux conditions économiques, avec des anticipations imparfaites et certaines inerties d’ajustement.

La très grande majorité des modèles qui traitent de l’induction du changement technique adopte ou bien une trajectoire de croissance économique prescrite (pour les modèles en équilibre partiel) ou

bien une description de la croissance stabilisée (pour les modèles macroéconomiques ou les modèles « bottom up » bouclés). L’argument habituellement avancé par les économistes travaillant sur les scénarios de long terme pour justifier de ne s’intéresser qu’à une croissance stabilisée est que, comme ce sont les tendances lourdes qui sont en jeu, il est inutile de s’occuper des écarts conjoncturels autour de ces tendances. Ce point de vue est en partie légitime au sens où, contrairement à une banque centrale qui doit tenir compte de la conjoncture boursière pour régler sa politique monétaire, le décalage est grand entre les aléas de cette conjoncture et les fondamentaux de l’économie qui seuls sont importants pour le problème de l’effet de serre. Mais en même temps, cette affirmation du principe de « neutralité » entre court terme et long terme ne tient que si l’on se place systématiquement sous une hypothèse d’anticipations rationnelles pour les agents économiques ou que, par un processus d’apprentissage, les erreurs d’anticipation initiales sont progressivement corrigées. Les doutes vis-à-vis de cette hypothèse, sans laquelle l’utilisation des modèles standards d’équilibre général devient problématique, ont été vite balayés par des prises de position telles que celle de Manne et Rutherford (1993) :

“Clairvoyance is an implausible assumption, but myopia seems even worse” (Manne et Rutherford (1993))

Cette prise de position renvoie à un soubassement idéologique sur lequel nous ne nous étendrons pas ici, à savoir une méfiance forte vis-à-vis de toute hypothèse qui pourrait légitimer une intervention « arbitraire » des administrations dans les mécanismes de marché. Nous préférons insister sur le fait quelle n’est techniquement tenable que dans un cadre de progrès technique exogène, mais qu’elle devient très problématique dans un modèle avec progrès technique endogène. Dans un cadre de changement technique endogène, les frictions ou aléas de court terme peuvent ainsi avoir des conséquences importantes à deux niveaux :

Premièrement, l’induction du changement technique par les conditions de marché rend les

trajectoires technologiques sensibles à des effets de bifurcation, pour lesquels la référence canonique reste Arthur (1989). Concrètement, le mécanisme est le suivant : si pour des raisons conjoncturelles une technologie A l’emporte à un instant donné sur une technologie B, elle bénéficiera d’un gain d’apprentissage qui renforcera son attractivité même si la technologie B possède, dans l’absolu, un potentiel de développement supérieur. Cet « aléa » peut provoquer l’apparition d’une « erreur d’anticipation » auto entretenue que seule peut corriger une information nouvelle et non controversée démontrant la supériorité de la technologie B, en d’autres termes, un retour à une situation d’anticipation parfaite.

Deuxièmement, l’essentiel du problème de l’évaluation du coût des politiques climatiques

revient à déterminer le coût d’un changement de trajectoire depuis la référence vers des scénarios de stabilisation. Ceci correspond donc à un problème de transition entre deux trajectoires. Or, les modèles de croissance stabilisée ignorent par construction ces coûts de transition, ce qui peut conduire à l’apparition de deux situations opposées :

• Les coûts des politiques peuvent être sous-estimés, puisque dans un monde où les agents formulent des anticipations imparfaites et déploient leurs décisions au sein de systèmes techniques et sociaux caractérisés par une inertie importante, le même changement de

trajectoire peut entraîner des coûts économiques bien supérieurs à ceux qui sont enregistrés dans un cadre où les anticipations sont parfaites.

• Les coûts de la stabilisation peuvent être surestimés en prenant comme référence un scénario économique de « premier rang », dans lequel est ignorée, par exemple, la possibilité que se répètent au XXIeme siècle, les jeux stratégiques autour du pétrole et du gaz qui ont marqué la fin du XXeme siècle. En effet, en choisissant pour base de référence des scénarios optimaux, on s’interdit de discuter des multiples « bénéfices ancillaires » des politiques climatiques qui, en fournissant un signal de long terme clair, peuvent conduire à éviter ou amortir certaines frictions transitoires survenant dans le scénario de référence. L’évitement de ces frictions se doit d’être compté positivement dans l’évaluation du coût de ces politiques.

Comme viennent de le rappeler Hallegatte et al. (2007) dans le cas de l’analyse des dommages climatiques, les implications sur le long terme de processus de court terme ne peuvent être négligées, et constituent en fait un élément central du raisonnement sur les politiques à mener. Il nous semble donc primordial de réintégrer dans les outils de simulation les deux visions court- terme / long-terme de la croissance. Cet objectif nécessite la construction d’un cadre de modélisation autorisant des erreurs d’anticipations conduisant transitoirement à une utilisation non optimale des facteurs de production, tout en associant des boucles de rappel qui garantissent un retour sur le long terme sur un sentier de croissance stabilisé.

3.2.3 Explorer l’impact des politiques climatiques sur la croissance de