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Etudier la transition entre changement technique induit et changement structurel induit

3.2 P ROBLEMES POSES ET CAHIER DES CHARGES POUR UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DE

3.2.1 Etudier la transition entre changement technique induit et changement structurel induit

Une des caractéristiques de la discussion méthodologique autour du changement technique induit est qu’elle mêle la notion de transformation du « panier » des techniques disponibles (a-t-on la possibilité d’induire une amélioration des offres énergétiques peu émettrices ?) et celle de changement structurel. La confusion est évidente pour le coefficient d’AEEE qui regroupe à la fois le mouvement vers une plus grande efficacité des équipements utilisateurs d’énergie et des tendances au découplage entre croissance des revenus et demande de services énergétiques. Ce découplage est la marque de changements structurels qui, en toute rigueur, devraient résulter d’interactions entre la structure de la demande finale, celle de la matrice interindustrielle et les gains de productivité dans chaque secteur. Or, il est peu probable que ces interactions restent inchangées en cas de mise en place de politiques drastiques de décarbonisation de l’économie, sauf à considérer, sans autre forme d’examen, qu’une telle décarbonisation peut s’effectuer par la seule transformation du système d’offre énergétique et sans modifier la structure de la demande finale.

Qu’ils soient fondés sur une approche « bottom-up » ou « top-down », les modèles multisectoriels présentent un traitement plus cohérent du changement structurel mais qui est limité par l’hypothèse fondamentale selon laquelle les fonctions de demande restent inchangées tout au long des trajectoires. En fait, les interactions entre transformation du panier technologique et changement structurel renvoient à des mécanismes plus complexes que Hourcade (1993) propose de traiter, en reprenant une conceptualisation de I. Sachs sur les modes de développement, comme résultant des interactions, au sein d’un triangle C-T-L, entre :

Styles de consommation (C)

Potentiels technologiques (T) Localisation des activités (L)

Les interactions entre ces trois pôles sont bien sûr d’ordre économique, mais elles dépendent aussi du contenu matériel qui leur est associé. Ainsi, une stratégie technologique misant sur des

économies d’échelle n’aura pas le même impact sur la distribution spatiale des activités qu’une stratégie misant sur la flexibilité et la minimisation des risques d’investissement qu’apporte une structure de production composée d’entités de petite taille (filière coke-oxygène vs réduction directe au gaz dans la sidérurgie, par exemple). De même, les potentiels d’amélioration technologique sont déterminants dans la transformation même des styles de consommation : la capacité de construire des résidences de type pavillonnaire à faible consommation d’énergie, couplée à des progrès rapides sur l’efficacité des véhicules automobiles seront des facteurs déterminants de la croissance de la demande de mobilité.

En d’autres termes, il y a donc bien co-induction entre changement structurel et changement des techniques, mais, pour la décrire, il faut adopter un cadre de modélisation en équilibre général qui permette en plus de descendre, dans la description de la croissance et de son contenu matériel, aux mécanismes déterminants sur le long terme - localisation des activités, dématérialisation, technologies disponibles, etc.. – et, logiquement, aux leviers d’action collective qui pourront permettre de les infléchir dans la direction souhaitée. Explorer de telles implications suppose de décrire les économies non seulement en termes de flux économiques mais en termes de contenu « physique » : surface du parc bâti, mobilité, équipement des ménages, structure des transports, technologies du secteur énergétique, besoins en transports de marchandises etc.

Une part de ces paramètres est prise en compte dans les modèles énergétiques mais avec un manque de mise en cohérence entre leur évolution et les principaux déterminants macroéconomiques, comme la distribution des revenus ou les contraintes de financement.

Dans les modèles macroéconomiques, l’usage de fonctions de production classiques et le caractère peu tangible de la notion de « capital » qui est égale, en toute rigueur, à la somme des investissements passés (modulo leur amortissement) mais qui est majoritairement interprétée comme la quantité d’équipements mis en jeu dans la production, rend très difficile une telle explicitation.

Dès lors, un traitement explicite des liens entre flux monétaires et substrat matériel devient nécessaire pour examiner les perspectives de « décarbonisation » de la croissance par d’autres moyens que la combinaison d’hypothèses exogènes. Ceci revient à ajouter à l’induction du changement technique par les politiques climatiques de possibles inductions touchant à la structure de la demande finale, soit via l’évolution des préférences, soit par la modification des besoins (infrastructures, saturations des besoins d’équipements, etc…). Pour répondre à la volonté de décrire de façon endogène les interactions entre les déterminants C-T-L du changement structurel, il est nécessaire de prendre en compte l’induction mutuelle des modifications dans ces trois catégories. Un exemple typique de ces interactions est celui de l’effet rebond entre l’efficacité énergétique et la demande d’énergie, qui peut être important dans le domaine des transports. Pour saisir ces effets et les obstacles ou opportunités qui y sont liés, il faut donc disposer d’un cadre endogène où les consommations énergétiques résultent des évolutions conjointes et inter dépendantes des trois types de déterminants C-T-L (par exemple, toujours dans le secteur des transports, la relative inefficacité des progrès de rendement des moteurs sur les émissions du secteur dans un contexte de développement accru des infrastructures routières).

Dans un tel cadre, qui suppose la mise en place de « modèles hybrides » en quantité et en prix, il devient possible d’inscrire trois éléments cruciaux au cahier des charges de la modélisation du changement technique endogène :

• L’évolution des préférences et des comportements, des infrastructures et des équipements, des technologies, en particulier celles qui sont « incorporées » dans des équipements installés, comporte des inerties parfois très importantes. La prise en compte de ces inerties, à travers des générations de capital ou le suivi des infrastructures et leurs effets d’induction sur la demande est cruciale pour évaluer de façon réaliste le coût des politiques climatiques.

• Ces inerties, conjuguées au caractère endogène du changement technique, peuvent induire des blocages dans des trajectoires non-souhaitables (lock-in). Ce risque est particulièrement visible dans les domaines des transports et du bâtiment, dans lesquels les choix d’organisation urbaine et de développement des infrastructures orientent la demande finale pour chaque mode de transport, modifient l’attractivité des différentes stratégies de R&D dans chaque filière et orientent durablement le développement de certaines filières techniques, éventuellement aux dépens des autres.

• Dans ces conditions, le rôle des politiques publiques, tant pour fournir des signaux de long terme stables sur les orientations collectives que pour mettre en œuvre des politiques d’infrastructures adaptées, est réaffirmé. De son côté, l’outil de modélisation doit permettre à la fois de déceler les possibles effets de système qui n’auraient pas été envisagés réduisant ou catalysant l’effet de tel ou tel signal et de tester l’efficacité de « stratégies combinées » pour atteindre un objectif de stabilisation. Nous entendons ici par « stratégies combinées » des instruments d’action mixtes qui allient une valeur donnée au carbone à des instruments sectoriels spécifiques touchant à un ou plusieurs pôles du triangle C-T-L (le prix de l’immobilier ou les plans d’urbanisme par exemple).

3.2.2 Prendre en compte l’interaction entre trajectoires