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UTILISATION ET AMELIORATIONS DU THERMOMETRE

2.4 LES PREMIERS POINTS FIXES

L'échelle d'un thermomètre est établie à partir de températures obtenues lors de changement d'état de certains corps. Celles-ci sont constantes et facilement reproductibles. Ces points marqués sur le tube du thermomètre sont appelés "points fixes". La détermination des "points fixes" d'un thermomètre est capitale car la graduation en dépend. Les recherches effectuées par les savants à propos des "points

fixes" constituent l'âme de l'histoire des thermomètres. Toutes les finesses, tous les essais réalisés sont compris lorsqu'on connaît les vicissitudes qu'il y a eu autour des points fixes.

La graduation du thermomètre s'effectue soit à l'aide de deux

"points fixes", soit avec un seul. Connaissant deux points de repère et le nombre de degrés qui les sépare, la division du tube en parties égales donne en théorie l'espace d'un degré. La loi de dilatation apparente doit être linéaire et le diamètre interne du tube constant. Connaissant un point de repère et la loi de dilatation du liquide, ou l'augmentation en volume pour chaque degré, l'addition du volume de liquide correspondant à l'augmentation de volume pour un échauffement d'un degré permet de graduer la colonne du thermomètre. De forme simple, le thermomètre est fixé sur la rainure d'une planchette. Celle-ci dispose d'un évidement suffisant au niveau du réservoir. Les degrés ne sont plus marqués sur le tube, comme le faisaient les florentins, mais sur la

planchette. Cette différence est un facteur d'importantes erreurs : risque de décalage entre le thermomètre et les graduations, risque d'utiliser la même planchette pour deux thermomètres différents. Pour l'un d'eux l'échelle ne correspond pas.

C'est à SANCTORIUS que l'on doit la détermination des premiers "points fixes". Son échelle à l'origine dotée de trois points, fut quelques années plus tard décimale (31).

Peu après, SAGREDO (lettre du 16-02-1615) proposa de noter zéro au thermomètre là où la liqueur s'arrêtait, lorsque ce dernier se trouvait dans un mélange d'eau de glace et de sel marin (soit environ -21°C). Le but était de rechercher la température la plus basse possible afin de n'avoir que des degrés positifs. Cette température était regardée comme le plus grand froid qui puisse exister.

Les thermomètres scellés qui apparurent à partir de 1650 n'ont rien changé à cette philosophie. La préoccupation principale des savants en ce domaine est la recherche de mélanges dont la température soit constante et reproductible. Le choix de la graduation est du second ordre en cette seconde partie du XVIIè siècle. En Angleterre, en France, et plus généralement en Europe, le thermomètre de Florence est introduit et reproduit par les savants.

Robert HOOKE (1635-1703) réalisait des thermomètres très concordants pour la Société Royale de Londres. En octobre 1663, les membres de cette Société acceptèrent de prendre un des thermomètres de Robert HOOKE comme étalon. Les autres thermomètres devaient être réglés suivant cet étalon (32). HOOKE en 1664 conserva zéro au point bas, mais le détermina, là où l'eau "commence à geler" (point de congélation). C'est la première réalisation connue pour placer ainsi le zéro du thermomètre (33). HOOKE publia sa "Micrographia" en octobre 1664 dans laquelle il décrit les essais sur les thermomètres scellés.

Pour obtenir ce point, les savants plaçaient un vase plein d'eau dans un vase plus grand contenant de la glace mêlée à du sel. Le thermomètre plonge dans le vase rempli d'eau. Au moment où l'eau commence à geler, la température du thermomètre était supposée égale à zéro. L'eau dans le vase n'était pas agitée. Des gradients existaient entre la périphérie et le centre. Suivant que de la glace était placée sous le vase rempli d'eau ou que seuls les côtés étaient entourés de glace, les résultats pouvaient être différents. Parfois la température de l'eau devenait négative, celle-ci restant liquide. Le phénomène de surfusion était encore inconnu (34).

L'Académie Del Cimento a essayé plusieurs points de repère différents. Elle a finalement retenu la température de l'eau qui "commence à geler" pour le point bas, et la plus forte chaleur des rayons du soleil d'Italie en été pour le point

haut. La division des thermomètres florentins était décimale. La différence thermique entre deux points fixes n'était pas forcément un multiple de dix. La description du thermomètre florentin date de 1667 (35), et son utilisation est antérieure de quelques années. Ces points de détail ne seront repris que bien plus tard par les savants, notamment lorsqu'ils établiront une échelle décimale qui n'est autre qu'une division décimale.

Le point zéro obtenu soit par "congélation de l'eau" soit par la chaleur de la neige fut d'abord admis par plusieurs savants : HOOKE, LA HIRE, Robert BOYLE (1627-1691), Edmond HALLEY (1656-1742). Les précautions prises pour réaliser l'expérience de la congélation de l'eau, la qualité des thermomètres qui s'améliore ont déterminé ce point comme "étant compris entre des limites trop étendues" (36). Persuadés de cette affirmation sans pouvoir l'expliquer, les savants ont rejeté ce point(37).

Pour y remédier, HALLEY, du même avis que BOYLE, proposa comme point fixe le degré de chaleur des lieux creusés sous terre. Il avait remarqué que les effets du froid de l'hiver et de la chaleur de l'été n'affectaient pas cette température (38). Edme MARIOTTE (1620-1684), LA HIRE, et Giacomo Filippo MARALDI (1665-1729) assurèrent que la température des caves de l'Observatoire de Paris est la même en été qu'en hiver. Ainsi la température obtenue par la congélation de l'eau fut abandonnée au profit de celle des caves de l'Observatoire de Paris. Ce "point fixe" se trouve dans la plupart des thermomètres de la fin du XVIIè siècle (39).

Néanmoins, la constance de la température des caves profondes suscita la divergence entre les partisans de prendre cette température comme fixe, et ceux qui souhaitaient conserver celle de l'eau qui se congèle. A la recherche d'autre point fixe, BOYLE proposa d'utiliser la température à laquelle l'huile essentielle d'anis se fige (40).

Les thermomètres utilisés pour ces expériences étaient du type de ceux de Florence. Les réflexions auxquelles les savants sont arrivés confirmaient la précision déjà annoncée sur ces thermomètres. Les très faibles variations de la température des caves profondes (quelques dixièmes de degrés Celsius) ne sont pas encore perçues. La différence des températures, entre le point de congélation de l'eau et le froid de la neige (de l'ordre du degré CELSIUS), due aux conditions expérimentales est mise en évidence par les thermomètres.

En 1665 BOYLE proposa de standardiser les thermomètres. Il souligna l'absence de référence et l'impossibilité d'échange d'information thermique. Il a montré la nécessité d'avoir un degré plus exact afin d'échanger la notion de degré comme on mesure des grandeurs telles les distances, les poids et le temps (41).

"We are greatly at a loss for a standard whereby to measure cold. The common instruments show us no more than the relative coldness of the air, but leave us in the dark as to the positive degree thereof; whence we cannot communicate the idea of any such degree to another person. For not only the several differences of this quality have no names assigned them, but our sense of feeling cannot therein be depended upon; and the thermometers are such very variable things that it seems morally impossible from them to settle such a measure of coldness as we have of time, distance, weight, etc."

Traduction :

"Nous sommes fortement dans l'ennui par manque d'étalon pour mesurer le froid. L'instrument commun nous indique seulement le froid relatif de l'air, mais nous laisse dans l'obscurité quant aux degrés positifs; d'où nous ne pouvons pas communiquer l'idée d'un de ces degrés à une autre personne. Car non seulement les multiples différences de cette qualité n'ont pas de nom qui leur soit attribué, mais nos sens du tâtonnement ne peuvent en cela s'y fier; et les thermomètres sont des choses si variables qu'il semble moralement impossible pour eux d'établir une mesure de froid comme nous avons pour le temps, les distances, les poids, ect."

Christian HUYGGENS (1629-1695) reçu un thermomètre de HOOKE le 2 janvier 1665. Il écrivit le jour même à Robert MORAY (xxxx-1673) car il l'avait prié en novembre 1664 de lui envoyer un thermomètre. Dans cette lettre il proposait qu'une mesure universelle soit adoptée. Il fut le premier à proposer de prendre comme "point fixe" les points de congélation et d'ébullition de l'eau (42). Cet appel ne sera entendu qu'au début du siècle suivant.

"Il serait bon de songer à une mesure universelle du froid et du chaud; en faisant premièrement que la capacité de la boule eut une certaine proportion à celle du tuyau, et puis prenant pour commencement le degré de froid par lequel l'eau commence à se geler, ou bien le degré de chaud de l'eau bouillante, afin que sans envoyer des thermomètres l'on peut se communiquer les degrés du chaud et du froid qu'on aurait trouvé dans les expériences, et les consigner à la postérité."

(Tiré de VOLLMANN p1770-1771)

L'instruction de Robert HOOKE de 1667 plus complète que celle de L. ROOKE, comporte 7 paragraphes, chacun portant sur un domaine particulier de la météorologie. Le second paragraphe traite du degré de chaud et de froid de l'air. HOOKE précise que les degrés sont mieux observés au moyen d'un thermomètre fermé, calibré selon les degrés de dilatation, et ayant une relation connue avec la quantité totale de liquide. Le point de départ des divisions doit être donné par l'expansion

atteinte par le liquide lorsque le thermomètre est entouré d'eau qui commence à geler. Les degrés modérés ou de faible expansion doivent être marqués au-dessus ou au-dessous de cela. L'importance est donnée sur la nécessité d'utiliser des instruments ayant une échelle commune et de faire des observations dans des conditions identiques (43).

En 1670, LA HIRE plaça son thermomètre à 28 mètres sous terre dans les caves de l'Observatoire, il vit qu'il se maintenait à la division 48 en toute saison (44). Constatant la fixité de ce point, LA HIRE construisit un thermomètre ayant pour "point

fixe" la température de congélation de l'eau des champs, et

celle des caves de l'Observatoire de Paris (45). Le "Sieur" HUBIN travaillait pour LA HIRE (infra p 83).

DALEME est le premier à déterminer le point de fusion de la glace en 1688 (46). Les savants déterminent également ce niveau de chaleur par celle de la congélation de l'eau et celle de la neige. Les différences qu'ils trouvent sont attribuées à cette époque, faute de théorie connue, à la variabilité de ce point.

La graduation en un nombre de degrés définis entre deux points fixes apparut à la fin du XVIIè siècle : vers 1672, Sebastano BARTOLO (1635-1676) suggéra de diviser l'espace, entre la chaleur de la neige et celle de l'ébullition de l'eau, en 18 degrés (47). En 1692-1693, Isaac NEWTON (1642-1727) proposa une échelle duodécimale (48). Son thermomètre est décrit dans

les "transactions philosophiques" publiées en 1701. NEWTON fut le premier à utiliser la température du corps humain comme base pour la graduation d'une échelle de température (49).

En 1694, Carlo RENALDINI (1615-1698) propose de nouveau les deux points fixes de la congélation et de l'ébullition de l'eau (50). Il propose de diviser l'échelle en 12 parties. Les scientifiques, doutant de la constance de la température de ces deux points, rejetèrent la proposition de RENALDINI dans l'immédiat (51).

En 1699, HALLEY trouva que le degré de chaleur de l'eau bouillante était fixe et que la chaleur de l'eau n'était pas augmentée par une ébullition prolongée (52). Guillaume AMONTONS (1663-1705) précise en 1702 que le point d'ébullition de l'eau a une température fixe.

Au début du XVIIIè siècle, plusieurs points fixes sont retenus par les savants :

- Mélange glace et sel (proche -21°C)

- Point de congélation de l'eau (proche 0°C)

- Point de fusion de la neige ou de la glace (proche 0°C) - Température du corps humain (proche 37°C)

- Température de "l'esprit de vin" bouillant (proche 80°C)

- Température de l'eau bouillante (proche 100°C)

Les thermomètres construits au début du XVIIIè siècle utilisaient pour la plupart deux "points fixes" parmi ceux énumérés ci-dessus. Le nombre de degrés les séparant commence

à être défini par chaque constructeur. Les volumes de la boule et du tube n'avaient pas encore des rapports connus entre eux. Ces individualités instrumentales ne permettaient pas de comparer des observations faites avec des thermomètres différents. Ces deux éléments (choix de points fixes, et échelle thermométrique) conduisirent les savants à réaliser une multitude de thermomètres; l'objectif était la construction d'un thermomètre "universel". Il faudra attendre les réalisations de FAHRENHEIT et de REAUMUR publiées respectivement en 1724 et 1730 pour que l'uniformisation des thermomètres commence.

2.5 DES ECHELLES CENTESIMALES