• Aucun résultat trouvé

Les premiers imprimés produits avant l’apparition de la presse gaie moderne et

L’histoire gaie est une histoire qui se fait par le bas. Ross Higgins1

Avant les années 1970, l’homosexualité est généralement considérée comme un sujet tabou au Québec. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est totalement absente du discours social. Bien avant l’émergence d’une presse gaie autonome durant la décennie 1970, l’homosexualité a été abordée dans divers imprimés, que ce soit des œuvres littéraires ou encore des journaux généralistes : en effet, dès le XIXe siècle, des articles relatant l’arrestation d’individus accusés de s’être retrouvés

dans des lieux de débauche et de s’être adonnés à des activités sexuelles « illicites » paraissent dans les grands quotidiens. Assimilant souvent l’homosexualité au péché, à la tare sociale et à la criminalité, de telles publications présentent les relations entre hommes ou entre femmes de façon péjorative. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, période qui « représente une transition entre la clandestinité et l’émergence visible de la communauté qui va suivre2 », certains imprimés, à

commencer par les journaux à potins, adoptent un point de vue plus ambivalent qui ne condamne pas systématiquement l’homosexualité3. Comme le confirme Line Chamberland, ces journaux jaunes,

même s’ils assimilent l’homosexualité à la criminalité, ne brossent pas un portrait entièrement négatif :

[C]ette presse rend visible l’existence des sous-cultures gaie et lesbienne en faisant connaître les lieux de rencontre, les codes vestimentaires, les manières de se comporter, et ainsi de suite. Vigoureusement anticléricale, elle dénonce l’hypocrisie des bien-pensants et plaide à l’occasion pour plus de tolérance envers les personnes homosexuelles4.

1 R. HIGGINS. De la clandestinité à l’affirmation […], p. 9.

2 L. CHAMBERLAND. « De la répression à la tolérance : l’homosexualité », Cap-aux-diamants : la revue d’histoire du Québec,

no 49, 1997, p. 38. Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des réseaux de sociabilité se développent autour des

bars du centre-ville de Montréal et de la rue Saint-Laurent, notamment le Hawaiian Lounge et le Tropical Room. Dans ces lieux se crée une subculture homosexuelle, avec ses conventions, ses codes langagiers et ses techniques de drague.

3 R. HIGGINS et L. CHAMBERLAND. « Mixed Messages : Gays and Lesbians in Montreal Yellow Papers in the

1950s », The Challenge of Modernity : A Reader on Post-Confederation Canada, sous la direction de Ian McKay, Toronto, McGraw-Hill/Ryerson, 1992, p. 422-431.

Si les journaux jaunes sont explicites dans leur représentation de l’homosexualité, les physique magazines frôlent pour leur part avec l’homoérotisme. En effet, ces périodiques donnent à voir des modèles masculins presque nus dans des poses aguichantes. Généralement vendus par abonnement en tant que magazines de culturistes prônant l’exercice physique et un mode de vie sain, ils sont fort populaires auprès des homosexuels.

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux premiers imprimés qui abordent la question de l’homosexualité au Québec. De tels imprimés, dont les périodiques populaires, les journaux à potins et certains organes de presse généralistes, sont foncièrement distincts de la presse gaie, qui apparaît au Québec au début de la décennie 1970 et qui est généralement produite par et pour les gais. Ils n’en demeurent pas moins déterminants dans la transformation de l’opinion publique au sujet de l’homosexualité. Par qui ces imprimés ont-ils été créés et dans quel contexte ont-ils été diffusés? Existe-t-il des types d’imprimés en particulier qui traitent alors de la réalité homosexuelle? De quelles façons contribuent-ils à faire évoluer les discours sur l’homosexualité? Nous nous arrêtons en outre sur les enjeux – éditoriaux, mais aussi idéologiques et économiques – que ces imprimés soulèvent. Au cours de ce chapitre, nous montrons comment certains imprimés définissent l’homosexualité par rapport à l’hétérosexualité, délimitant du coup les comportements sexuels « anormaux » et « normaux » en société, mais aussi de quelles façons d’autres publications, même si elles ne sont pas nécessairement produites par des homosexuels, cherchent à la présenter comme légitime dans l’espace social, ou du moins à la dépeindre autrement qu’en des termes strictement négatifs. Mais avant de décrire la situation au Québec, le rappel de faits historiques en Europe, plus particulièrement en France, et dans une moindre mesure aux États-Unis, montre à quel point ces imprimés ont servi, de différentes façons, les transformations du discours social à propos de l’homosexualité. Le présent chapitre ne se veut donc pas une étude exhaustive de l’histoire de l’homosexualité tant au Québec qu’en Europe et aux États-Unis : il met plutôt en relief certains

imprimés et leurs rôles dans le changement de perception au sujet de l’homosexualité, faisant passer cette dernière du rang de perversion à celui d’une forme de sexualité proprement dite.

« Le triomphe de la culture hétérosexuelle5 » : regard sur le XIXe siècleet la première moitié du XXe siècle

Europe/États-Unis

Durant tout le XIXe siècleet une bonne partie du siècle suivant, l’homosexualité est réprimée

par les pouvoirs publics, tant en Europe qu’en Amérique. En Allemagne, l’article 175 du Code pénal prévoit des peines d’emprisonnement et même la perte de droits civiques pour les homosexuels6. En

Angleterre, la situation est similaire : l’Amendement Labouchère, voté en 1885, modifie le Criminal Law Amendment Act, lequel ne concernait initialement que la prostitution juvénile. Désormais, « tout acte outrageant les mœurs entre personnes de sexe masculin s’expose à une peine pouvant s’élever jusqu’à deux ans de travaux forcés7 ». Aux États-Unis, la législation du « crime de sodomie » varie

d’un État à l’autre au tournant des XIXe et XXe siècles : dans la plupart des États, cependant, la loi,

souvent calquée sur le droit britannique, prévoit des peines d’emprisonnement de dix ans et la confiscation des biens de toute personne accusée d’avoir eu des relations homosexuelles8. Malgré ces

dispositifs législatifs contraignants, des lieux de sociabilité exclusivement masculins permettent aux hommes de vivre une certaine forme d’homosocialité parfois ouvertement assumée : aux États-Unis, par exemple, certaines fraternités étudiantes9 et les différentes cellules de la Young Men’s Christian

Association (YMCA) occupent une telle fonction.

5 Expression empruntée à Louis-Georges Tin (cf. L.-G. TIN. L’Invention de la culture hétérosexuelle, Coll. « Mutations/Sexe

en tous genres », no 249, Paris, Autrement, 2008, 201 p.).

6 F. TAMAGNE. « ALLEMAGNE », Dictionnaire de l’homophobie, sous la direction de Louis-Georges Tin, Paris, Presses

universitaires de France, 2003, p. 16.

7 F. TAMAGNE. « La répression de l’homosexualité dans les années 1920 et 1930 : étude comparative », Homosexualités :

expression/répression, sous la direction de Louis-Georges Tin et de Geneviève Pastre, Paris, Stock, 2000, p. 87.

8 V. L. EAKLOR. Queer America. A People’s GLBT History of the United States, Coll. « A New Press People’s History », New

York/London, The New Press, 2008, p. 16.

Les cas de la France et de l’Espagne sont quelque peu particuliers. En effet, après l’adoption des lois révolutionnaires de 1791 et du Code pénal en 1810, les relations entre personnes de même sexe ne sont plus condamnées par la loi en France10, ce qui entraîne une certaine tolérance durant la

Belle Époque et les Années folles. L’absence de dispositif législatif répressif ne signifie pas pour autant que l’homosexualité n’est pas l’objet de sanctions; au contraire, la volonté de contrôler et d’écarter les « corrupteurs de la jeunesse » est par périodes aussi forte en France que dans le reste de l’Europe et aux États-Unis. Sous le Second Empire (1852-1870), par exemple, les homosexuels, de plus en plus considérés comme des délinquants et des criminels, sont l’objet d’une surveillance assidue et d’arrestations fréquentes de la part des autorités policières11.

La situation est quelque peu similaire en Espagne, en ce sens où le Code pénal du pays, adopté en 1822, s’inspire du Code pénal français et ne prévoit pas de sanctions légales pour les actes homosexuels privés commis entre adultes. Les Codes pénaux de 1848, 1850 et 1870 adoptent les mêmes dispositions à l’égard des homosexuels. Cette relative permissivité n’équivaut pas à une absence totale de répression de l’homosexualité dans la société espagnole, bien au contraire. Ainsi, le Code militaire de l’armée, adopté en 1884, puis celui de la marine de guerre, promulgué en 1888, font de l’homosexualité un délit sévèrement puni12.

Au XIXe siècle, les discours juridiques, religieux, mais surtout médicaux sur les sexualités,

plus encore sur l’homosexualité, s’amplifient. Plusieurs scientifiques tentent alors d’expliquer l’amour pour le même sexe et de traiter cet écart à la norme sexuelle, à commencer par le médecin légiste

10 F. TAMAGNE. « La répression de l’homosexualité dans les années 1920 et 1930 : étude comparative », Homosexualités :

expression/répression […], p. 88.

11 P. ALBERTINI. « FRANCE », Dictionnaire de l’homophobie […], p. 179 : « Le Second Empire est surtout le moment où

redémarre l’action policière. » Notons par ailleurs que durant la France des XVIIe et XVIIIe siècles, les personnes accusées

d’avoir eu des relations homosexuelles s’exposent à diverses peines : l’incarcération, l’exil forcé, les galères, le gibet ou le bûcher. Pour de plus amples informations à ce sujet, lire P. HAHN. Nos ancêtres les pervers : la vie des homosexuels sous le Second Empire, Béziers, H&O, (1re édition : 1979) 2006, 216 p.; M. LEVER. Les Bûchers de Sodome : histoire des « infâmes »,

Paris, Fayard, 1985, 426 p.; P. CORRIVEAU. La Répression des homosexuels au Québec et en France. Du bûcher à la mairie, Sillery, Septentrion, 2006, p. 43-54.

français Ambroise Tardieu et son Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs (1857). Dans cette étude, Tardieu est le premier à nommer « le crime sans nom », l’homosexualité, qu’il associe au vice et à la criminalité et qu’il considère comme une forme d’onanisme débridé menant à une dégénérescence complète de la virilité de l’homme13. En 1886, le psychiatre autrichien Richard von Krafft-Ebbing

publie son essai Psychopathia sexualis (1886), dans lequel il associe clairement l’homosexualité à la pathologie. Il l’assimile également à une inversion de genre d’ordre congénitale, causée entre autres par une « hérédité morbide issue de la dégénérescence [de la] lignée familiale14 ». Les premières

recherches de Tardieu et de Krafft-Ebbing sur l’homosexualité ouvrent la voie à une pléthore d’autres scientifiques qui vont expliquer les causes de l’homosexualité (lire ici : condamner cette orientation sexuelle) par le biais de traités et d’articles parus dans des revues spécialisées. Leurs explications sont basées sur les récentes découvertes de la biologie (l’hypothèse de l’existence d’un « cerveau homosexuel » est émise par plusieurs scientifiques du XIXe siècle), de l’endocrinologie (la

présence d’hormones femmes dans les urines d’une personne de sexe masculin serait la preuve de l’homosexualité de cet individu), de la génétique, de la psychiatrie et de la psychanalyse15.

La prolifération de tels discours sur l’homosexualité n’est pas gratuite : invoquant la sauvegarde de l’hygiène publique, le maintien de l’ordre moral et social ainsi que la pureté des mœurs – notamment celles de la jeunesse –, les scientifiques de l’époque visent à nommer les perversions, à les hiérarchiser, à les caractériser et (peut-être surtout) à les contrôler. Naît ainsi l’opposition entre la normalité et l’anormalité sexuelles, mais aussi entre les concepts d’hétérosexualité et d’homosexualité,

13 P. SARASIN. « L’invention de la sexualité, des Lumières à Freud. Esquisse », Le Mouvement social, [En ligne], vol. 3,

no 200, 2000, http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=LMS_200_0138 (Page consultée le 6 septembre

2013).

14 L.-G. TIN. « Comment peut-on être hétérosexuel? », Cités : philosophie, politique, histoire, no 44, 2010, p. 94.

15 À la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant, en Espagne, des collections populaires de divulgation sexuelle,

basées sur les écrits de Krafft-Ebbing et d’autres sexologues, sont lancées et connaissent un succès retentissant. Certains des fascicules de ces collections, parmi lesquelles on retrouve Connaissances pour la vie privée (1894), de Vicente Suárez Casañ, et Singularités physiologiques et passionnelles (1905-1908), de Taimrens Drangs, traitent de la pédérastie et de « l’amour contre nature ». Pour en connaître plus à ce sujet, lire l’article de Jean-Louis Guereña, « Les premières collections populaires de divulgation sexuelle en Espagne (fin du XIXe – début du XXe siècle) », La Collection : essor et affirmation d’un

objet éditorial, sous la direction de Christine Rivalan Guégo et de Miriam Nicoli, Coll. « Interférences », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 131-144.

ce dernier s’imposant au détriment d’autres termes tels que « pédérastie », « pédéraste » et « sodomite »16. En fait, c’est à cette époque que l’homosexualité devient une forme de sexualité à part

entière, avec les caractéristiques qui lui sont propres. Comme le confirme Michel Foucault dans le premier volume de son Histoire de la sexualité, intitulé La Volonté de savoir, la naissance de l’homosexualité remonte à l’article du psychiatre Carl Friedrich Otto Westphal sur les « sensations sexuelles contraires17 », paru en 1870. Foucault insiste sur la portée de cet article, qui s’avère un

véritable tournant dans la façon de comprendre l’homosexualité au XIXe siècle (et par conséquent de

la stigmatiser) : « Le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce18. » C’est

également durant cette même période que l’hétérosexualité devient une norme sociale qu’il ne faut pas transgresser. Dans L’Invention de l’hétérosexualité, Jonathan Katz écrit :

[V]ers la fin du XIXe siècle, la critique de l’homosexuel et du pervers constituait, pour

les médecins respectables de la classe moyenne, une défense camouflée de l’hétérosexuel qui, par son ambiguïté au regard de la procréation, était sujet à controverse. En parlant du pervers sexuel, les médecins n’avaient pas à prendre le risque de multiplier les éloges dithyrambiques de l’hétérosexuel19.

C’est donc à partir de la fin de ce siècle qu’est définie l’orthodoxie en matière de sexualité, ou plutôt l’ordre hétéronormatif : en effet, l’hétérosexualité devient la sexualité dominante et privilégiée au sein de la société, puisqu’elle favorise la procréation et contribue, par conséquent, au maintien de l’espèce humaine et du tissu social, au contraire d’autres formes de sexualité, dont l’homosexualité, qui sont perçues comme dangereuses et hors-norme.

Création de la science et du discours légal du XIXe siècle, la figure de l’homosexuel inverti,

dépravé et criminel intègre bientôt l’imaginaire populaire par le biais d’un nouveau médium éditorial, la presse de grande diffusion, qui est effervescente en France à partir de 1865 grâce à Moïse Millaud,

16 C. BONELLO. « Du médecin légiste à l’aliéniste : l’homosexualité sous le regard de la médecine au XIXe siècle »,

Homosexualités : expression/répression […], p. 69.

17 M. FOUCAULT. Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Coll. « Tel », Paris, Gallimard, (1re édition : 1976) 2009,

p. 59.

18 Idem.

19 J. KATZ. L’Invention de l’hétérosexualité, Coll. « Les grands classiques de l’érotologie moderne », Traduction de M. Oliva

inventeur de la presse de grande diffusion moderne avec Le Petit journal20. Bon marché, produite

rapidement grâce à l’apparition de la presse rotative21, diffusée largement, cette presse « ne s’adresse

plus seulement à ceux qui peuvent payer un abonnement, annuel ou semestriel, mais à toutes les classes de la population22 ». Son contenu accessible est surtout centré sur les manchettes

sensationnalistes, parmi lesquelles figurent les scandales homosexuels23, dont le procès intenté contre

Oscar Wilde. En 1895, l’écrivain d’origine irlandaise est condamné à deux ans de travaux forcés à la prison de Reading pour grossière indécence, outrage aux bonnes mœurs et sodomie24. Cet événement

« constitu[e] un tournant dans les représentations de l’homosexualité25 » : les nombreux articles

publiés à propos du procès et de la condamnation de Wilde non seulement entraînent une vague d’homophobie en Europe, mais ils contribuent aussi « à inscrire dans l’opinion publique un certain nombre de stéréotypes26 ». L’homosexuel n’est plus qu’un pervers : il est désormais assimilé à la

décadence27, voire à la dégénérescence. Qui plus est, des caricatures, de plus en plus nombreuses dès

20 C. BLANDIN. « JOURNAL », Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, sous la direction de Christian

Delporte, Jean-Yves Mollier et Jean-François Sirinelli, Coll. « Quadridge – Dico poche », Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 465.

21 F. BARBIER. « L’industrialisation des techniques », Histoire de l’édition française. Le temps des éditeurs. Du romantisme à la

Belle Époque, sous la direction de Roger Chartier et de Henri-Jean Martin, Paris, Fayard/Cercle de la Librairie, (1re édition :

1985) 1990, p. 57 : « [L]a rotative de Nelson à Édimbourg (1851) est la première rotative européenne et produit 10 000 feuilles à l’heure. »

22 C. BLANDIN. « JOURNAL », Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine […], p. 465.

23 J. JACKSON. Arcadie […], p. 33. Parmi les scandales sexuels qui secouent l’Europe au tournant des XIXe et XXe siècles,

mentionnons, en France, le procès du compte de Germiny, en 1876, de même que les arrestations de Louis-Marcel Voyer, ancien officier de l’armée, en 1880, et du baron Jacques d’Adelsward-Fersen, en juillet 1903. En Angleterre, le procès des deux travestis Boulton et Park (1871), l’affaire du château de Dublin (1884) et le scandale de Cleveland Street (1889-1890) font la une des journaux. En Allemagne, un autre « scandale » homosexuel défraie les manchettes de 1907 à 1909 : il s’agit de la liaison entre le prince Philipp zu Eulenburg, conseiller du roi Guillaume II, et le comte Kuno von Moltke, commandant militaire de Berlin (cf. F. TAMAGNE. « HIRSCHFELD, Magnus », Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes […], p. 246). Cette dernière affaire est à l’origine d’une crise au sein de la classe politique allemande au début du XXe siècle.

24 Les faits reprochés à Wilde concernent sa liaison avec lord Alfred Douglas, le fils du marquis de Queensbury, et sa

fréquentation de prostitués à Londres.

25 F. TAMAGNE. « WILDE Oscar », Dictionnaire de l’homophobie […], p. 429. 26 Ibid., p. 430.

27 L’un des préjugés répandus à l’époque est que l’homosexualité serait l’apanage de l’aristocratie, dont les mœurs seraient

dissolues. D’ailleurs, Wilde lui-même a été surnommé « Grand Prêtre des Décadents » dans un article du National Observer du 25 mai 1895 (cf. F. TAMAGNE. « WILDE Oscar », Dictionnaire de l’homophobie […], p. 430).

la fin du XIXe siècle, assimilent l’homosexualité tantôt à l’efféminement, tantôt à la bestialité28. Au

sein de l’opinion publique, l’homosexuel passe désormais pour un corrupteur de la jeunesse qui menace l’intégrité de la société.

En plein essor au XIXe siècle, et ce, jusqu’à la Belle Époque, la littérature populaire relaie à

son tour cet imaginaire péjoratif. Des titres tels que Le Vice à Paris (1888), de Pierre Delcourt, Paris vivant. La corruption à Paris (1989), d’Ali Coffington, L’Armée du vice (1889), de Jules Davray, et Les Invertis : vice allemand (1896), d’Armand Dubarry, promeuvent auprès du grand public l’idée que l’homosexualité est un vice répandu dans toutes les couches de la société et qu’elle représente un danger pour l’ordre public29.

Toutefois, dès le XIXe siècle, « [l]a répression de l’homosexualité […] nourri[t] la

détermination de l’exprimer30 » autrement que par des termes injurieux. Aux discours

discriminatoires, voire carrément homophobes, des homosexuels opposent ce que Foucault nomme des « discours en retour31 », dans lesquels ils se définissent selon leurs propres termes, font valoir leur

différence sexuelle et promeuvent leur mode de vie, leur identité. Des intellectuels et des scientifiques vont alors tenter d’expliquer l’homosexualité selon une approche qui ne vise pas à condamner les sujets concernés. En Allemagne, Karl Heinrich Ulrichs, par ses nombreuses brochures, conteste les lois prussiennes qui condamnent l’homosexualité et lutte pour l’abrogation des sanctions pénales à

28 F. TAMAGNE. « EULENBURG-HERTFELD, Philipp zu, ou l’affaire Eulenburg », Dictionnaire de l’homophobie […], p. 150.

Dans la presse, les homosexuels caricaturés sont souvent représentés sous les traits de chiens et de cochons.

29 Durant les premières décennies du XXe siècle, d’autres romans populaires du même type dressent un portrait similaire

de l’homosexualité, tant masculine que féminine : Lucien (1909), de Gustave Binet-Valmer, La Garçonne (1922), de Victor Margueritte, L’Ersatz d’amour (1923), de Willy et Ménalkas, et Les Androphobes (1930), de Charles-Noël Renard. Nous tenons à spécifier que nous ne recenserons pas de façon exhaustive tous les romans (populaires ou plus littéraires) qui véhiculent des préjugés et des stéréotypes à propos de l’homosexualité. De même, il sera impossible, dans le cadre de cette thèse, de dresser une liste complète des romans, essais et autres ouvrages qui présentent cette orientation sexuelle sous un jour plus favorable. Nous ne mentionnerons que quelques exemples probants afin de montrer que la littérature en général a fait évoluer, au même titre que les périodiques et d’autres formes d’imprimés, les discours sur l’homosexualité.

30 D. ÉRIBON. Réflexions sur la question gay, Paris, Fayard, 1999, p. 19.

31 M. FOUCAULT. Histoire de la sexualité, vol. I : La Volonté de savoir […], p. 133 : « Le discours véhicule et produit du

Documents relatifs