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Imprimés, périodiques et communautés : perspectives théoriques

L’imprimé ainsi que les différents supports de l’écrit se sont grandement transformés au fil des siècles : leur matérialité tout comme leurs contenus ont changé et évolué. Leurs fonctions ont été tout aussi diverses : ils ont rempli – et continuent de remplir – différents rôles, lesquels ont émergé à des moments précis de l’histoire, tel que le souligne l’historien du livre Frédéric Barbier : « [L]es travaux de sociologie ont montré que ces besoins correspondaient aussi à des logiques de représentations, de distinction et, en définitive, de hiérarchisation sociale1 ».

Dans ce chapitre, nous réfléchissons aux fonctions du périodique et, de façon plus générale, de l’imprimé. Dans un premier temps, nous nous intéressons aux fonctions de l’imprimé en général à travers l’histoire. Ce survol historique nous amène à expliciter les différentes fonctions de l’imprimé, grâce notamment aux travaux d’historiens du livre tels que Frédéric Barbier, Roger Chartier, Robert Darnton, Henri-Jean Martin et Jean-Yves Mollier2. Dans un deuxième temps, nous définissons la

notion de périodique et insistons sur ses caractéristiques, ses spécificités. Enfin, nous nous penchons plus spécifiquement sur les fonctions du périodique au sein des communautés, quelles qu’elles soient. Mais tout d’abord, examinons l’apport que représente l’histoire du livre à notre objet d’étude.

L’histoire du livre : une approche globalisante

De toutes les perspectives théoriques et méthodologiques, celle que nous avons retenue et qui est sans contredit la plus adaptée à notre objet d’étude est l’histoire du livre, telle que définie par des chercheurs comme Frédéric Barbier, Roger Chartier, Robert Darnton et Donald McKenzie, pour ne nommer que ceux-ci. Par leurs nombreux travaux diversifiés, ces spécialistes ont montré que faire l’histoire d’un livre ou d’un imprimé, c’est faire l’histoire d’une unité à la fois matérielle, culturelle et sociologique. Il s’agit là d’une approche globalisante, pour ne pas dire totale, qui permet de rendre compte de toutes les dimensions (matérielles, intellectuelles, idéologiques, etc.) de l’imprimé.

1 F. BARBIER. Histoire du livre, 2e édition, Coll. « U - Histoire », Paris, Armand Colin, (1re édition : 2000) 2009, p. 7. 2 Les références complètes sont présentées en bibliographie.

Tout imprimé, quel qu’il soit, s’inscrit toujours dans une matérialité : il s’agit donc d’une « forme expressive3 » qui peut être définie en fonction de caractéristiques telles que le format, la

reliure, la typographie, les modes de découpage et de disposition du texte, le type de papier utilisé, la reliure, la typographie, etc. Ces éléments fixent l’identité d’un texte et participent au processus de production du sens ainsi qu’à l’interprétation globale du texte. Comme l’écrit Roger Chartier :

Organisés par une intention, celle de l’auteur ou de l’éditeur, ces dispositifs formels visent à contraindre la réception, à contrôler l’interprétation, à qualifier le texte. Structurant l’inconscient de la lecture (ou de l’écoute), ils sont les supports du travail de l’interprétation4.

Non seulement l’histoire du livre et la bibliographie analytique révèlent-elles les significations de telle ou telle caractéristique matérielle d’un imprimé donné : appliquées à des ensembles relativement considérables d’imprimés divers, elles deviennent également extrêmement utiles afin de constituer des typologies, de différencier les différents types d’imprimés étudiés et de cerner ce qui les distingue. L’examen de la matérialité, jumelé à l’analyse quantititative minutieuse et rigoureuses en fonction variables comme le nombre de titres publiés par année, le lieu de production, la langue de publication, le financement, le tirage, etc., est essentiel afin d’examiner objectivement un corpus d’imprimés, afin d’en proposer une radioscopie la plus complète et exhaustive possible.

L’un des apports majeurs de l’histoire du livre est de ne pas se limiter aux caractéristiques matérielles ou encore à l’analyse quantitative : l’histoire du livre permet aussi de considérer les imprimés comme des unités culturelles véhiculant des contenus, des informations, des opinions (qu’on retrouve dans des textes divers : articles, billets d’humeur, éditoriaux, dossiers spéciaux, lettres aux lecteurs, etc.) ainsi que des images et des représentations auxquelles des lecteurs peuvent se référer, voire s’identifier. Produites par des individus, mais aussi des groupes, des communautés, ces unités culturelles sont les lieux de la matérialisation d’une pensée vectrice d’idées, voire d’idéologies.

3 D. F. MCKENZIE. La Bibliographie et la sociologie des textes, Préface de Roger Chartier, Traduction de M. Amfreville,

Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1991, p. 56.

L’approche de l’histoire du livre est donc plus que pertinente pour rendre compte des spécificités de l’imprimé (ou d’un corpus d’imprimés), puisqu’elle croise les points de vue quantitatif et qualitatif. À cela s’ajoute une réflexion approfondie sur le contexte de production, de diffusion et de réception des imprimés. Comme le rappelle à juste titre Claude Galarneau, l’imprimé est plus qu’une unité matérielle et culturelle : c’est aussi une unité sociologique5, c’est-à-dire un « [o]bjet

culturel conçu, écrit, fabriqué, diffusé et utilisé par un grand nombre de corps de métiers et de personnes6 ». Il s’inscrit donc dans un « cycle de vie7 », un « circuit de communication8 » qui

s’articulent autour de trois principaux pôles : la production (auteur, éditeur, imprimeur, papetier, relieur, infographiste, etc.), la diffusion (libraire, grossiste, importateur, marchand, colporteur, etc.) et la réception (lecteur, acheteur, bibliothécaire, critique, censeur, etc.). D. F. McKenzie ne dit pas autre chose dans La Bibliographie matérielle et la sociologie des textes lorsqu’il affirme que la sociologie des textes et l’histoire du livre s’intéressent

à la composition, à la mise en page et à la transmission des textes par les écrivains, les imprimeurs et les éditeurs; à leur diffusion dans les différentes communautés qui constituent une société par les libraires grossistes, les vendeurs de livres et les enseignants; à la façon dont ils sont conservés et classés par les bibliothécaires; à leur signification pour les lecteurs qui – il convient de ne pas l’oublier – les recréent en les lisant9.

Ainsi, l’histoire du livre est une discipline incontournable pour comprendre les conditions dans lesquelles l’imprimé a été produit, analyser les trajectoires des individus qui ont participé à la fabrication matérielle et à la commercialisation de l’objet, connaître l’étendue de sa diffusion et de sa distribution et en apprendre davantage sur sa réception auprès du lectorat. De plus, la production, la diffusion et la réception de toute forme d’imprimé, selon Robert Darnton, « concerne[nt] chaque

5 Les termes « unité matérielle », « unité culturelle » et « unité sociologique » sont empruntés à Claude Galarneau (cf. « C.

GALARNEAU. « Livre et société à Québec (1760-1859). État des recherches », L’Imprimé au Québec. Aspects historiques (18e-20e siècle), Coll. « Culture savante », Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1983, p. 127-144.

6 Ibid., p. 130.

7 R. DARNTON. Gens de lettres, gens du livre, Coll. « Histoire », Traduction de M.-A. Revellat, Paris, Odile Jacob, (1re

édition : 1990) 1992, p. 156.

8 Idem.

phase de ce processus et l’ensemble du processus au cours de ses variations dans l’espace et le temps et dans toutes ses relations avec les autres systèmes, économique, social, politique et culturel, du monde environnant10 » : l’histoire du livre, plus peut-être que n’importe quelle autre approche,

interroge donc les facteurs externes (conflits politiques, guerres, crises économiques, etc.) et parfois nombreux qui peuvent influencer le cycle de vie d’un imprimé.

En somme, l’histoire du livre est une méthodologie systématique qui permet d’analyser un imprimé (ou un ensemble d’imprimés) dans toutes ses composantes, qu’elles soient matérielles, culturelles/intellectuelles et sociologiques. En l’appliquant à notre corpus, nous rendrons compte de la diversité et de l’orginalité d’un objet éditorial jusqu’alors peu étudié et nous serons plus en mesure de mettre en relief les différentes fonctions qu’ont occupées et que continuent d’occuper les périodiques gais québécois. Ces fonctions générales de l’imprimé, comme nous le verrons dans les pages qui suivent, sont nombreuses et ont grandement évolué au fil des siècles.

Autour de l’imprimé et de ses fonctions

L’imprimé à travers les âges : fonctions et transformations

Durant l’Antiquité gréco-romaine, les livres se présentent souvent sous la forme de rouleaux, ou plutôt de volumina, composés de feuilles de papyrus11 enroulés sur des bâtons. Le papyrus est

ensuite progressivement remplacé par des matériaux plus résistants tels que le parchemin12,

généralement fait de peau animale. Au début de l’ère chrétienne, le codex13, « assemblage de cahiers

10 R. DARNTON. Gens de lettres, gens du livre […], p. 156.

11 Apparu au IIIe siècle avant Jésus-Christ, le papyrus est utilisé jusqu’au XIIe siècle de notre ère (cf. J.-F. GILMONT. Une

introduction à l’histoire du livre. Du manuscrit à l’ère électronique, Coll. « Céfal SUP », no 3, Liège, Éditions du Céfal, 2000, p. 20). 12 Selon Jean-François Gilmont, le parchemin aurait été inventé à Pergame (aujourd’hui Bergama, ville située en Turquie)

au IIe siècle avant Jésus-Christ. Son usage se répand progressivement du Ier au IVe siècle de notre ère. Le parchemin est

utilisé durant tout le Moyen Âge avant d’être remplacé par le papier, encore employé de nos jours (cf. Idem).

13 Le codex apparaît au IIe siècle de notre ère. Deux siècles plus tard, son usage est généralisé (J.-F. GILMONT. Une

cousus14 », se substitue au volumen et s’impose peu à peu comme le format le plus répandu. Plus facile

à manier que le volumen, plus facile à conserver et à entreposer, le codex, le plus souvent fabriqué à partir de parchemin, peut également donner à lire des textes au recto et au verso. Ce sont de tels supports que les auteurs utilisent alors pour conserver des traces écrites de leurs textes, essentiellement religieux et administratifs.

Au Moyen Âge, plus précisément durant le haut Moyen Âge, période durant laquelle le livre et les supports de l’écrit se retrouvent surtout dans les monastères, la conservation des codex manuscrits et des divers supports (animaux, végétaux) utilisés pour consigner l’écrit à l’époque de l’Antiquité gréco-romaine devient un enjeu capital. Ce sont les moines ainsi que les dirigeants des monastères qui contribuent en grande partie à préserver ce patrimoine culturel et philosophique. Ils le font de deux façons : d’une part, ils participent à la constitution de bibliothèques où se retrouvent les ouvrages de l’Antiquité15; d’autre part, les moines copistes retranscrivent certains livres, dont ceux

à caractère religieux : bibles, œuvres liturgiques, missels, psautiers, etc. Ils copient également des textes juridiques et des œuvres d’auteurs de l’Antiquité : Aristote, Platon, Cicéron et Pline l’Ancien. En fait, à l’époque moyenâgeuse, le livre est d’abord un instrument de production et (peut-être surtout) de transmission et de conservation de la culture, du savoir en général – une culture et un savoir qui, à l’époque, sont encore essentiellement religieux. Il constitue un moyen, d’après Henri- Jean Martin, « d’assurer la mémoire des sociétés16 » et de la préserver.

Au XIIIe siècle, les premières universités voient le jour sur le continent européen. Leur

création, qui coïncide avec l’apparition de nouveaux lecteurs, les professeurs et les étudiants, entraîne la nécessité de constituer des bibliothèques et de reproduire les ouvrages mis à l’étude le plus

14 J. MICHON. « LIVRE », Le Dictionnaire du littéraire, sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala,

Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 339-340.

15 Du moins, ceux qui, à cette époque, ont pu être retracés et qui n’avaient pas été abîmés, voire détruits, notamment lors

de guerres et de conflits.

16 H.-J. MARTIN. « LIVRE », Dictionnaire encyclopédique du Livre, sous la direction de Pascal Fouché, Daniel Péchoin et

Philippe Schuwer, vol. 2 : « E-M », Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2005, p. 789. Plusieurs de ces textes grecs ne seront redécouverts qu’après la chute de Constantinople.

rapidement possible (et en un nombre important d’exemplaires). Les moines copistes professionnalisent leur pratique et développent alors une nouvelle technique, celle de la pecia17, afin

de répondre plus rapidement à la demande. Dès lors, le livre représente une première forme d’accès au savoir, bien que ce savoir soit surtout religieux.

Aux XIVe et XVe siècles, les livres d’heures18, essentiellement des recueils de prières et des

ouvrages de piété présentés dans une matérialité luxueuse (avec des enluminures, des illustrations, des lettrines, etc.), sont particulièrement prisés les membres de la noblesse et les catholiques laïcs. Ils constituent un domaine majeur de la production à la fin du Moyen Âge. Durant ces deux siècles, le livre est plus qu’un simple instrument utile à la pratique religieuse : il est en général « détenteur de valeurs symboliques et sacralisantes19 ». Comme l’écrit Henri-Jean Martin : « [L]a splendeur des

manuscrits enluminés du Moyen Âge ou celle des reliures de la Renaissance sont […] destinées […] à montrer la puissance du possesseur, mais aussi à glorifier l’auteur20. » En réalité, le livre, tant par sa

matérialité que par son contenu, apparaît alors comme un symbole de prestige et de distinction pour une certaine élite lettrée et cultivée et même comme un « objet symbolique, dont la possession même conf[ère] la propriété des connaissances et des idéologies21 ».

17 Jean-François Gilmont définit ce procédé en ces termes : « Un exemplaire d’un texte approuvé est déposé chez un

stationnaire [en italique dans le texte original]. Au lieu de le relier en une unité, il est réparti dans des cahiers calibrés qui peuvent être loués séparément. C’est ainsi qu’un exemplaire unique, l’exemplar, peut être reproduit simultanément par plusieurs copistes. » (cf. J.-F. GILMONT. Une introduction à l’histoire du livre […], p. 38) Ce procédé, peu coûteux, permet de multiplier les copies d’un même texte et d’éviter qu’un ouvrage soit monopolisé par un individu en particulier. Pour en connaître davantage au sujet de ce procédé et sur la production du livre universitaire au Moyen Âge, lire l’ouvrage publié par le Centre régional de publication de Paris, La Production du livre universitaire au Moyen Âge : exemplar et pecia, Paris, Éditons du Centre national de la recherche scientifique, 1988, 334 p.

18 Les livres d’heures sont nommés ainsi, puisqu’ils sont en fait de petits livres dans lesquels on retrouve les prières pour

chaque heure de la journée.

19 H.-J. MARTIN. « LIVRE », Dictionnaire encyclopédique du Livre […], p. 789. 20 Idem.

21 H.-J. MARTIN. Histoire et pouvoirs de l’écrit (avec la collaboration de Bruno Delmas), Coll. « Histoire et décadence »,

Préface de Pierre Chaunu, Paris, Perrin, 1988, p. 283. Aux siècles suivants, le livre est également synonyme de prestige et de culture : « Ainsi, au XVIe ou au XVIIe siècle, tout noble de robe tenait à posséder une bibliothèque de caractère

humaniste, symbole de la culture de sa classe. » (cf. H.-J. MARTIN. Le Livre et la civilisation écrite (avec la collaboration de Pierre Pelou), vol. III, Paris, École nationale supérieure des bibliothèques, 1970, p. 116)

Vers le milieu du XVesiècle, Johann Gutenberg met au point la première presse à imprimer et

les caractères mobiles en métal en Europe22. Cette « révolution gutenbergienne23 » se répand

rapidement et « bouleverse les modes de production du livre24 » et de l’imprimé de différentes façons.

Grâce à la presse à imprimer, le livre en général est édité plus rapidement et il est désormais plus facile de le publier en plusieurs exemplaires, et ce, à moindre coût. Le papier, qui remplace le parchemin, est plus aisé à manipuler et moins cher à produire, ce qui facilite également la publication du livre, ou plus précisément des premiers incunables – parmi lesquels on compte des bibles25 –, à

partir du milieu du XVe siècle26. L’imprimerie, comme le note Michon, fait entrer le livre « dans une

logique industrielle où c’est l’offre qui crée la demande27 » : puisqu’il est produit en un nombre plus

important d’exemplaires, il peut aussi éventuellement rejoindre un lectorat plus élargi. Enfin, le livre est alors plus diversifié qu’il ne l’était auparavant (livres de comptes, recueils d’indulgences, bibles, etc.) et se décline sous différentes formes imprimées28.

Durant les XVe et XVIe siècles, l’imprimé, davantage répandu, notamment par le biais de la

traduction, s’inscrit dans un marché de plus en plus structuré et sort du circuit monastique. Présent dans plusieurs pays européens29, touchant un lectorat davantage diversifié, l’imprimé est utilisé afin

de développer les savoirs, quels qu’ils soient, et de faire (re)connaître des idées nouvelles, dont les

22 Plusieurs ingénieurs et artisans travaillent alors sur cette découverte en Occident. En réalité, le papier et l’imprimerie,

comme l’indiquent Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, est une invention chinoise dont l’origine remonterait à la dynastie Chang (1765-1123 avant Jésus-Christ) (cf. L. FEBVRE et H.-J. MARTIN. L’Apparition du livre […], p. 102).

23 F. BARBIER. Histoire du livre […], p. 53.

24 J. MICHON. « LIVRE », Le Dictionnaire du littéraire […], p. 340.

25 Le premier livre imprimé connu est la Bible à 42 lignes, qui aurait paru en 1454 (cf. B. BLASELLE. Histoire du livre […],

p. 53).

26 Selon Jean-François Gilmont, le papier apparaît en Chine au Ier siècle de notre ère. Au XIIe siècle, il est introduit en

Europe par les Arabes. Son usage pour la production des livres se généralise dès la fin du XIVe siècle (cf. J.-F.

GILMONT. Une introduction à l’histoire du livre […], p. 20).

27 J. MICHON. « LIVRE », Le Dictionnaire du littéraire […], p. 340.

28 À partir de maintenant, nous utiliserons surtout le terme plus général d’« imprimé », qui englobe tous les types de textes

imprimés, y compris le livre.

29 Après son apparition autour de 1450, l’imprimerie se répand notamment dans plusieurs villes allemandes, dont

idées humanistes de la Renaissance30. Il est même lié à l’apparition de phénomènes sociaux et

religieux. Ainsi, l’imprimé diffuse largement, au XVIe siècle, les thèses de Luther et des Réformateurs

de l’Église catholique. À titre d’exemple, À la noblesse de la nation allemande, un pamphlet écrit par Luther lui-même, s’écoule à 4 000 exemplaires en l’espace de quelques jours31. En fait, l’impression et

la publication de bibles, d’essais, de pamphlets et d’autres ouvrages occupent un rôle clé dans le développement de la Réforme protestante à travers l’Europe et dans la création de mouvements religieux divers comme l’anglicanisme, le calvinisme et le luthérianisme32. L’imprimé est tout aussi

essentiel pour le développement des thèses de la Contre-Réforme et même pour la conversion d’individus à la religion catholique ou protestante. Il devient dès lors un véhicule idéologique par excellence.

Aux XVIe et XVIIe siècles, les pouvoirs établis, prenant conscience que l’écrit et ses multiples

supports représentent un véritable instrument de pouvoir qu’ils peuvent mobiliser, utilisent également l’imprimé à leurs propres fins. En réalité, l’imprimé peut être envisagé comme un instrument au service des pouvoirs établis, « un support d’encadrement et de contrôle social33 ». Il en

est de même pour la presse, qui en est alors à ses balbutiements34 : en France, la Gazette, créée par

Théophraste Renaudot en 1631, est « soumise à un régime de surveillance stricte35 » et « soutenue par

30 À ce sujet, Henri-Jean Martin soutient que le livre et l’imprimerie en général ont joué un rôle prépondérant dans le

développement de l’humanisme à l’époque de la Renaissance (cf. H.-J. MARTIN. Le Livre et la civilisation écrite, vol. I […], p. 130).

31 B. BLASELLE. Histoire du livre […], p. 78.

32 C’est ce que montrent les collaborateurs de l’ouvrage Le Livre et la Réforme, publié sous la direction de Rodolphe Peter et

de Bernard Roussel, Bordeaux, Société des bibliophiles de Guyenne, 1987, 278 p. D’ailleurs, le livre religieux s’impose rapidement comme le principal type d’ouvrage produit à l’époque.

33 F. BARBIER. L’Europe de Gutenberg. Le livre et l’invention de la modernité occidentale (XIIIe XVIe siècles), Coll. « Histoire &

société », Paris, Belin, 2006, p. 296.

34 L’un des premiers périodiques à voir le jour sur le continent européen est Nieuwe Tydinghen (Les Nouvelles récentes), créé

au Pays-Bas en 1605 (cf. J.-N. JEANNENEY. Une histoire des médias des origines à nos jours, Coll. « Histoire », Paris, Seuil, (1re

édition : 1996) 2015, p. 31). Les ancêtres de la presse sont les occasionnels, qui relatent des grands événements militaires, diplomatiques et/ou officiels, les canards, récits de faits divers criminels, catastrophiques ou merveilleux, ainsi que les pamphlets et les libelles, plus polémiques.

35 G. PINSON. La Culture médiatique francophone en Europe et en Amérique du Nord, de 1760 à la veille de la Seconde Guerre

l’État[,] qui en fait une tribune de propagande36 » au service du pouvoir royal. Ce premier titre ouvre

la voie à d’autres périodiques spécialisés, dont Le Journal des savants, fond par l’Académie des sciences

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