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Premiers constats : Quelques particularités observées

PARTIE II Analyse des matériaux recueillis

1. Observations découlant de l’analyse des fiches de compte rendu d’entretien éducatif

1.1. Premiers constats : Quelques particularités observées

En première approche, on remarque une grande diversité relative au contenu des fiches et aux caractéristiques de leur forme énonciative. Nous avons notamment observé que le mode de renseignement des fiches et le moment auquel le compte rendu est effectué (cf. supra) influence considérablement le volume et le détail des informations fournies dans la rubrique dédiée à la restitution des échanges. Celle-ci est en général synthétique, lorsque le compte rendu est effectué en fin d’entretien, et beaucoup plus développée lorsque cette restitution est retranscrite entre deux rencontres.

Ce constat apparaît logique en raison du côté « chronophage de la méthodologie » comme l’ont souligné plusieurs des intervenants engagés dans la recherche. On observe en outre que si la restitution est rédigée dans un second temps, la partie réservée aux commentaires et avis du service13, qui est également à remplir avant la prochaine rencontre avec la famille, est moins fréquemment renseignée. Restitution et commentaires sont alors à écrire dans le même « entre- deux » et il y a le risque que les deux espaces d’écriture se confondent et que « la restitution soit privilégiée aux commentaires », comme l’a souligné un travailleur social.

Que le contenu des fiches soit synthétique ou développé, on relève des différences dans les caractéristiques de leur forme énonciative. Celles-ci sont présentées ci-après.

1.1.1. Discours rapporté - direct et indirect

Dans la partie réservée aux parents, on observe deux modalités de discours rapporté (direct et indirect).

À partir des consignes relatives aux modes de renseignement des fiches, tel qu’il est précisé dans le « Guide-Protocole », nous aurions pu nous attendre à trouver principalement dans les

13 Rappelons que les éléments figurant dans cette rubrique présentent la réflexion du travailleur social dans le

prolongement de l’entretien précédent, notamment en termes d’analyse, d’hypothèses de travail dans l’après-coup, éventuellement à l’appui d’échanges avec d’autres acteurs du service. Il s’agit de données subjectives que le travailleur social estime pouvoir être portées à la connaissance de la famille dans le cadre de cette démarche.

rubriques réservées à l’expression des parents, des énoncés formulés sur la base d’un discours rapporté direct. En effet, cette modalité de restitution d’un « discours autre », est a priori plus objective, sur le plan sémantico-énonciatif14.

Dans le cas du discours rapporté direct, la parole des parents est retranscrite le plus fidèlement possible, à la manière d’un procès-verbal :

« Je vais travailler sur moi-même au CMP adulte » Emploi de la première personne du singulier

« Ma priorité maintenant c’est Mathieu, sur le comportement et le mal-être qu’il doit avoir »

Emploi d’un adjectif possessif

Le discours rapporté direct, tel qu’il vient d’être présenté dans les deux exemples ci-dessus, avec l’emploi du pronom de la première personne du singulier (Je) ou d’un adjectif possessif (Ma, qui marque le lien avec le locuteur), n’est en aucun cas systématique, comme on aurait pu s’y attendre.

Dans les faits, lors d’une exploration intermédiaire des premières fiches en cours de recueil à l’occasion d’un comité technique, il a été constaté un recours important à une forme de discours rapporté indirect. Il y a là le même mécanisme que celui qui est à l’œuvre dans la rédaction des rapports écrits, comme l’a montré F. Sitri, en observant « le glissement, l’intrication entre des énoncés référant à des événements de parole et des énoncés décrivant un état des choses, s’étalant dans une durée présentée comme indéterminée, débordant le moment de l’entretien » (2008, p. 96).

Autrement dit, dans cet espace visant à restituer la parole des familles et des jeunes, c’est fréquemment l’éducateur qui, d’une certaine manière reprend parole, du moins la conserve. Dans ce cas, « le sens qui s'en dégage devient celui que le professionnel lui attribue. Les propos rapportés le sont sous une forme indirecte donnant lieu à une reformulation sémantique globale qui interfère directement sur leur sens ou leur contenu. La parole des parents n’est pas absente, mais elle est réinterprétée et elle devient seconde tendant à rendre inaudibles et, d’une certaine façon, invisibles ceux qui l’énoncent. » (Boutanquoi 2016, p.54). Nous en fournissons ci-après plusieurs illustrations, avec des extraits qui montrent que le recours au discours rapporté indirect s’appuie sur deux formes grammaticales distinctes.

A - Restitution des échanges B - Remarques de la famille Monsieur sait ce dont ont besoin ses enfants,

n’attend pas que après les services sociaux pour mettre en place ce qu’il faut

Il n’a jamais sollicité, ni obtenu une quelconque aide financière.

Emploi du pronom personnel

Nous observons, dans ce premier extrait, l’emploi du pronom personnel de la 3ème personne du singulier (il), comme anaphore du père nommé Monsieur dans la rubrique restitution.

-C- Commentaires et avis du service D- Remarques de la famille Constat que Christian se repose trop sur sa mère Madame confirme (…)

Emploi du substantif « Madame »

Dans l’exemple ci-dessus, le discours rapporté indirect se traduit par l’emploi du substantif féminin, (Madame) représentant le locuteur de la séquence orale durant la relecture des commentaires du service.

Dans les deux exemples qui suivent, le discours rapporté indirect implique le recours à un destinateur (ici le travailleur social) pour transmettre l’information produite ou fournie par le locuteur du discours oral initial (parents et enfants).

A - Restitution des échanges B - Remarques de la famille Madame B. [la mère] explique que le suivi au

CMP a été arrêté (…) Les Parents expliquent qu’ils n’ont pas eu la vision finale du courrier du CMP. A - Restitution des échanges B - Remarques de la famille

Jean [le fils] est très intéressé par le sport, fait du foot, de l’athlétisme, et aimerait devenir professionnel.

La famille est pour que Jean fasse le sport et devienne professionnel.

Autres exemples de discours rapporté

Ici, la forme indirecte génère un changement dans la désignation de la personne qui énonce l’information et qui en est la source, soit « Madame B. » qui devient « Les parents » et « Jean » qui se trouve remplacé par « La famille ».

Ce détour par l’étude des modalités d’énonciation observables dans les fiches de compte rendu nous montre que l’octroi aux familles de cet espace d’écriture ne va pas de soi. Rompus à une pratique langagière orale, le partage d’un espace scriptural avec les familles n’est pas toujours aisé pour les travailleurs sociaux. Cela peut même représenter une certaine difficulté, ainsi pour cet éducateur : « J’ai pu voir combien il était difficile pour moi de changer certaines routines dans mes pratiques professionnelles, bien ancrées. Celle notamment de lâcher le stylo pour le donner aux familles afin qu’elles puissent faire leurs propres commentaires ou qu’elles puissent ne serait que lire (la partie A) ».