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Chapitre 1. Genèse et histoire des reformatorios du XIXe siècle à la Guerre civile

L’Espagne a longtemps fait figure de précurseur dans le domaine de la prise en charge de l’enfance dangereuse et en danger. La première institution comparable aux tribunaux pour mineurs a en effet été créée en 1337 à Valence, par le roi Pierre IV le Cérémonieux30. Doté d’une autorité et d’une juridiction propres, le Pare d’Orfens parcourt les rues et les places pour recueillir les orphelins et les jeunes vagabonds pullulant dans les rues. Il juge également les enfants ayant commis des faits délictueux31. Dès la fin du XVIIe siècle, des hospices et des maisons de miséricorde remplissant peu ou prou les mêmes fonctions sont ouverts. L’exemple le plus connu est celui des Toribios de Séville : fondé en 1724, cet hospice accueille des enfants turbulents, polissons, chapardeurs ou délinquants, abandonnés ou nés de parents inconnus, pour redresser leur caractère et leurs mœurs perverties. Mais ces institutions pionnières sont oubliées pendant une période relativement longue et, jusqu’au milieu du XIXe siècle, rien n’est fait pour les jeunes délinquants. Ces derniers sont considérés comme des petits hommes, dont la responsabilité et la culpabilité ne sont pas différentes de celles des adultes. A ce titre, on leur applique les mêmes dispositions pénales. Les enfants abandonnés, vagabonds et orphelins sont quant à eux accueillis dans des maisons de bienfaisance et de miséricorde, dans des orphelinats ou des hospices.

Cette phase d’indifférenciation constitue le point de départ de notre étude, qui a pour but de préciser l’ascendance des maisons de redressement et des tribunaux pour mineurs de la période franquiste. Il s’agit de se pencher sur un moment particulier, long d’un siècle environ : pendant cette période cruciale, qui s’étend des années 1830 au début de la guerre

30 Pour une analyse détaillée, voir DE MIGUEL MOLINA María, « Análisis de la recuperación foral valenciana del Pare d’Orfens », in RAMÓN FERNÁNDEZ Francisca (dir.), La adecuación del derecho civil

foral valenciano a la sociedad actual, Valence, Tirant lo Blanch, 2009, pp. 157-168.

31 La fonction s’étend à d’autres villes du royaume de Castille et d’Aragon sous le nom de « Père général des enfants » et perdure jusqu’en 1793. SÁNCHEZ VÁZQUEZ Vicente, GUIJARO GRANADOS Teresa, « Apuntes para una historia de las instituciones de menores en España », Revista de la Asociación española de

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civile, la question de l’enfance délinquante et prédélinquante acquiert le statut de problème social, économique et politique requérant des solutions spécifiques. Comment s’opère cette prise de conscience, selon quelles modalités et par quels acteurs est-elle portée ? Quelles sont les réponses institutionnelles proposées ? L’historiographie espagnole doit en l’espèce être reliée aux nombreuses études comparatives menées sur cette question en France, en Belgique, en Suisse et au Québec, et qui omettent toutes le cas espagnol32. Dans quelle mesure le leitmotiv des réformateurs espagnols qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, déploraient le fait que l’Espagne fût en retard par rapport aux autres « pays civilisés », correspond-il à la réalité ?33

La quasi-totalité des ouvrages relatifs à la naissance et au développement des

reformatorios sont dépendants de l’histoire autorisée en huit volumes de la congrégation

des Tertiaires capucins, écrite par le frère Tomás Roca Chust34. Les quelques monographies existantes ne sont en général pas fondées sur la consultation de sources de première main35. Nous nous proposons de présenter ici les grandes lignes de l’histoire des premières maisons de redressement en synthétisant la bibliographie existante et en apportant un éclairage nouveau sur deux institutions pionnières, à partir de documents originaux : l’Asilo Durán, héritier de la maison de correction fondée à Barcelone en 1836, et l’Ecole de réforme et l’asile de correction paternelle de Santa Rita, créée à Madrid en 1890.

La naissance de l’Asilo Durán et de Santa Rita illustre deux moments particuliers du processus de création d’institutions spécifiquement destinées à l’enfance délinquante : l’ère

32 DUPONT-BOUCHAT Marie-Sylvie, PIERRE Eric, Enfance et justice au XIXe siècle, Paris, PUF, 2001.

33 Le « retard espagnol » est un véritable enjeu historiographique. L’analyse de l’évolution économique du pays, notamment, a longtemps conduit à poser les questions en termes d’échec et de retard. Les études actuelles privilégient désormais l’idée d’un développement lent et inégal, mais plus en rapport avec l’évolution de l’Europe occidentale et centrale.

34 C’est par exemple le cas des nombreuses publications d’Ana María Montero Pedrera. MONTERO PEDRERA Ana María, « Dos aportaciones a la educación de menores abandonados y delincuentes a principios del siglo XX: Manuel Siurot y Luis Amigó », Surgam. Revista de Orientación Psicopedagógica, n°456, 1998, pp. 3-45; idem, « La primera escuela de reforma de España: una innovación educativa en la reeducación de menores », Cuestiones pedagógicas: revista de ciencias de la educación, n°13, 1999, pp. 53-60; idem, « Luis Amigó y Ferrer, los Terciarios Capuchinos y la protección de menores », Escuela Abierta, n°2, 2008, pp. 167-189.

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Les travaux de Félix Santolaria Sierra sur la maison de correction de Barcelone font figure d’exception, puisqu’ils s’appuient sur le dépouillement de la section « Intérieur » des Archives administratives de la ville de Barcelone (Archivo administrativo municipal de Barcelona). SANTOLARIA SIERRA Félix, « Las ‘casas de corrección’ en el siglo XIX español (notas para su estudio) », Historia de la educación: revista

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des maisons de correction (partie I) et celle des écoles de réforme (partie II). La lecture de la presse permet de préciser la façon dont la genèse et le fonctionnement des institutions barcelonaise et madrilène ont été perçus par leurs contemporains36. Les archives personnelles d’Antonio Maura y Montaner, président de le comité de patronage de Santa Rita de 1906 à 1924, nourrissent quant à elles l’analyse du fonctionnement réel de la première maison de redressement espagnole, au-delà du récit hagiographique des origines délivré par les Tertiaires capucins37. La loi de 1918, qui institue en Espagne des tribunaux pour enfants et des établissements de redressement, constitue une étape fondamentale (partie III). Pendant les années 1920 et 1930, des débats vifs se cristallisent autour de la question du personnel des maisons de redressement (partie IV). Dans un contexte faisant de la prise en charge de la déviance juvénile un enjeu idéologique, l’analyse de la législation montrera si l’alternance politique (Restauration, Dictature de Primo de Rivera, Seconde République) entraîne un changement radical dans la norme régissant le fonctionnement des maisons de redressement.

36 Tous les articles traitant de l’établissement de Santa Rita dans les journaux madrilènes et publiés entre 1883 et 1924 ont été dépouillés, de la fondation de l’institution à la création du Reformatorio de Príncipe de

Asturias, établissement public qui concurrence rapidement Santa Rita jusqu’à être une cause de son déclin.

Ce corpus de 270 articles rassemble 26 titres de la presse madrilène.

37 Ce fonds documentaire, géré par la Fundación Antonio Maura (ci-après FAM), est consultable dans les murs de l’ancien domicile madrilène de l’homme politique, actuellement situé au numéro 18 de la rue Antonio Maura. Il a été largement utilisé par les biographes de Maura, mais ces derniers ne mentionnent pas son action à la tête du comité de patronage de Santa Rita. Voir TUSELL GÓMEZ Javier, Antonio Maura:

una biografía política, Madrid, Alianza, 1994; GONZÁLEZ HERNÁNDEZ María Jesús, El universo conservador de Antonio Maura: biografía y proyecto de Estado, Madrid, Biblioteca Nueva, 1997; CALVO

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I. La création de quelques institutions isolées : l’ère des maisons de correction (casas de corrección), début du XIXe siècle - années 1870

1. Le jeune délinquant, un cas à part : histoire d’une lente prise de conscience

a. La cristallisation d’un statut spécifique

Jusqu’au début du XIXe siècle, le traitement des mineurs déviants emprunte la double voie de l’hospice pour les orphelins, les oisifs et les vagabonds, et de la prison pour ceux qui ont enfreint les lois pénales. Les choses changent progressivement au cours du siècle, à mesure que l’on fait du jeune délinquant un individu à part, dont l’âge et le développement distinct font qu’il doit être traité différemment de l’adulte. Cette lente prise de conscience se traduit dans le domaine pénal par l’« excuse » de la minorité. Les codes pénaux successifs adoptés au XIXe siècle restreignent ainsi l’application aux mineurs de la loi commune38.

Selon les dispositions introduites par le code pénal de 1822, les mineurs âgés de moins de 7 ans sont déclarés juridiquement « irresponsables ». S’ils ont entre 7 et 17 ans, il convient de voir s’ils ont œuvré avec « discernement et malice » et d’évaluer leurs capacités intellectuelles. Si un mineur ayant agi sans faire preuve de discernement n’est pas coupable, il est néanmoins dangereux. Soit il est remis à ses parents, qui ont le devoir « de le corriger et de prendre soin de lui », soit le juge l’envoie en maison de correction pendant le temps qui lui paraîtra nécessaire, mais jamais au-delà de la vingtième année. Les mineurs âgés de plus de 7 ans et dont le tribunal estime qu’ils ont agi avec discernement sont quant à eux envoyés en prison, comme les adultes39. Le code pénal de 1848 considère que jusqu’à l’âge de 9 ans, tous les mineurs sont irresponsables. Ceux qui ont entre 9 et 15 ans sont acquittés, sauf si le juge estime qu’ils ont agi avec discernement. Dans ce cas, une

38 La présentation qui suit est empruntée à DE LEO Gaetano, La justicia de menores: la delincuencia juvenil

y sus instituciones, Barcelone, Teide, 1985, pp. 114-115.

39 En France, le Code pénal de 1791, repris par les parlementaires de l’Empire, fixe l’âge de la majorité pénale à 16 ans. Les mineurs traduits en justice sont soit condamnés, soit acquittés par manque de discernement. TETARD Françoise, DUMAS Claire, Filles de Justice. Du Bon-Pasteur à l’Education

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peine discrétionnaire est appliquée, toujours inférieure de deux grades à la peine prévue pour un adulte. Les règles ne sont pas modifiées par les codes pénaux adoptés en 1850 et en 1870, sauf sur un point40. En 1870, on rétablit la mesure prescrivant qu’en cas d’irresponsabilité pénale, le mineur est soit remis à ses parents, soit interné dans un établissement de bienfaisance pour une période indéterminée (article 8). Notons que lorsque le mineur est arrêté par la police, il est placé en détention préventive jusqu’à ce que son cas soit traité par le tribunal : il est alors en contact avec des détenus adultes41. Enfin, on envoie en prison les enfants âgés de moins de 15 ans qui ont été déclarés irresponsables, ainsi que les jeunes âgés de plus de 15 ans42.

b. En prison, la séparation progressive des adultes et des mineurs

Séparer les jeunes détenus des adultes : cette incantation des spécialistes et des philanthropes pénitentiaires s’avère difficile à mettre en œuvre. Deux solutions sont envisagées : la construction de quartiers distincts dans les prisons et l’édification d’établissements réservés aux jeunes43.

La première tentative destinée à organiser la séparation des mineurs et des adultes au sein de la prison date de 1834. L’Ordonnance générale des prisons (Ordenanza general de

presidios) s’inscrit dans la rupture libérale imposée à la régente Marie-Christine après la

mort du souverain absolutiste Ferdinand VII, en septembre 183344. Ce texte prévoit l’aménagement, dans les prisons, de quartiers réservés aux mineurs, d’une école élémentaire et d’un atelier45. Dans les faits, les mineurs côtoient toujours les adultes et ne reçoivent ni instruction élémentaire, ni instruction professionnelle46. L’exigence de séparation pose en effet de nombreux problèmes pratiques : les locaux ne permettent pas

40 Ce n’est qu’en 1928 que l’on en termine avec le critère du discernement en prenant comme seul facteur limitatif l’âge biologique : tous les mineurs âgés de moins de 16 ans sont alors déclarés irresponsables. 41 SANTOLARIA SIERRA Félix, Reeducación social. La obra pedagógica de Josep Pedragosa, Barcelone, Generalitat de Catalunya, 1984, pp. 27-28.

42 Ramón Albó y Martí, Corrección de la infancia delincuente, Madrid, Eduardo Arias, 1905, p. 11.

43 Ces différentes voies sont expérimentées aux Pays-Bas, en France et en Belgique entre 1820 et 1848. Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, Eric Pierre, op. cit., pp. 129-130.

44 Le déclenchement de la guerre carliste a réduit les marges de manœuvre de la régente, qui est contrainte de faire appel au libéral modéré Martínez de la Rosa en janvier 1834. Sur le modèle de la Charte promulguée en France en 1814, un Statut royal est adopté au mois d’avril, qui conserve des prérogatives considérables à la couronne.

45 Real decreto sobre la ordenanza general de los presidios del reino, Gazeta de Madrid, n°57, 18/04/1834. 46

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toujours d’imposer une séparation complète et permanente ; les lieux indispensables à la vie de l’établissement (cuisine, infirmerie, atelier) demeurent communs ; enfin, lorsque la place manque, il est tentant de récupérer le quartier pour mineurs pour y loger de nouveaux détenus.

L’échec patent des quartiers séparés et l’augmentation du nombre d’enfants détenus entraînent réformateurs et administrateurs à envisager une autre solution : l’ouverture de prisons réservées aux jeunes détenus. Dans le sillage de la Glorieuse révolution qui, en septembre 1868, a chassé Isabelle II du pouvoir et permis l’adoption de la première constitution démocrate espagnole, en juin 1869, un texte libéral est adopté en matière pénitentiaire47. La Loi sur les prisons (Ley de prisiones) du 21 octobre 1869 autorise le ministère de l’Intérieur à établir une colonie pénitentiaire accueillant les délinquants âgés de moins de 21 ans (Base nº14). L’idée reste cependant à l’état de projet. Le décret royal du 11 août 1888, adopté sous la Restauration, est en recul par rapport à cette position libérale48. Il indique que les peines infligées aux garçons âgés de moins de 20 ans seront purgées dans une prison pour adultes à Alcalá de Henares, près de Madrid. Il faut attendre 1901 pour que soit mis en place, dans la même ville, un centre pénitentiaire exclusivement destiné aux jeunes délinquants49. Le retard de l’Espagne par rapport aux autres pays européens est alors flagrant : aux Pays-Bas, la prison pour garçons de Rotterdam a ouvert en 1833. En France, l’Administration pénitentiaire a décidé d’affecter aux jeunes la prison des Madelonnettes en 1833, puis celle de la Petite-Roquette en 1835. En Belgique, le premier établissement spécifiquement destiné aux jeunes, le pénitencier de Saint-Hubert, est mis en place par Edouard Ducpétiaux au début des années 184050.

La prison d’Alcalá de Henares ne répond pas aux besoins du pays tout entier : pendant tout le XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle, des mineurs sont incarcérés avec des adultes. En 1904, ils sont près de 9 000 : 2 342 d’entre eux ont entre 9 et 14 ans, 6 625

47 Le règne d'Isabelle II d'Espagne (1833 - 1868) a été marqué par une grande influence des militaires sur la politique du pays et une forte instabilité du pouvoir.

48 Après le Sexenio démocratique (1868-1874) et la parenthèse de la Première République espagnole (1873-1874), la monarchie est rétablie en janvier 1875. Alphonse XII, fils aîné de l’ancienne reine Isabelle II, est proclamé roi d’Espagne (1875-1885). Commence ainsi la période la Restauration, qui dure jusqu’au coup d’État militaire du général Miguel Primo de Rivera en 1923. Jusqu’à l’avènement d’Alphonse XIII, en 1902, la régence est assurée par Marie-Christine d’Autriche.

49 Real decreto transformando el Penal de Alcalá de Henares en Escuela Central de reforma y corrección

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entre 15 et 17 ans51. Cette situation alerte les réformateurs sociaux, qui comparent la prison à une école du crime52. En 1907, José Soler y Labernia visite le quartier des jeunes reclus de la prison Modèle, à Madrid. Cet espace donnant directement sur la cour des adultes, les jeunes âmes voient et entendent tout53. Cette situation n’est pas spécifique à l’Espagne puisqu’en France par exemple, pendant tout le XIXe siècle, de nombreux textes normatifs rappellent la nécessité de tenir éloignés les jeunes des adultes, preuve que cette séparation est loin d’être effective54. Si la situation appelle des solutions urgentes, qui est prêt à prendre à bras-le-corps le problème de la délinquance juvénile ?

2. Quand la misère devient une « question sociale »

Au début du XIXe siècle, la croissance démographique et la dégradation de la conjoncture économique, auxquelles s’ajoutent des facteurs conjoncturels comme les crises agricoles successives, les épidémies et les guerres, entraînent une augmentation de la pauvreté. Les intellectuels catholiques eux-mêmes conviennent que la charité ne peut, seule, répondre à cette misère sociale55. L’industrialisation crée une main-d’œuvre excédentaire : ce phénomène touche des groupes sociaux économiquement autosuffisants, comme les artisans ou les petits propriétaires agricoles, qui vont grossir les rangs de la population paupérisée. Les pouvoirs publics s’inquiètent de cette menace grave et persistante, s’enracinant dans les faubourgs surpeuplés des grandes villes qui commencent à s’industrialiser. Les quelques initiatives prises pendant la première moitié du XIXe siècle émanent soit de philanthropes, soit des mairies, immédiatement confrontées aux problèmes sociaux.

Dans le même temps, on commence à considérer que dans les sociétés industrielles, la pauvreté n’est pas un phénomène naturel mais le produit de l’ignorance et de

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DUPONT-BOUCHAT Marie-Sylvie, PIERRE Eric, op. cit., pp. 138, 143-144, 156. 51 DIRECCIÓN GENERAL DE PRISIONES, Anuario penitenciario, pp 2-3.

52 COSSÍO Y GÓMEZ-ACEBO Manuel, Proyecto de organización de las Instituciones tutelares de la

Infancia abandonada: memoria, Madrid, Real Casa, 1907, p. 6.

53 SOLER Y LABERNIA José, Los hijos de la casa (juventud viciosa y delincuente), Madrid, Arróyave, González y Compañía, 1907, pp. 8-9.

54 DUPONT-BOUCHAT Marie-Sylvie, PIERRE Eric, op. cit., p. 133.

55 Cette analyse est empruntée à PALACIO LIS Irene, “Moralización, trabajo y educación en la génesis de la política asistencial decimonónica”, Historia de la educación: revista interuniversitaria, nº18, 1999, pp. 67-91.

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l’exploitation. Pour les réformateurs sociaux - ces hygiénistes, ces médecins, ces intellectuels ou ces hommes politiques essentiellement issus des rangs de la bourgeoisie - la misère devient une « question sociale » qu’il faut résoudre en cherchant à supprimer les causes de l’indigence. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, leur discours gagne du terrain. Les concepts « d’enfance coupable » et de « correction nécessaire » font place à ceux « d’enfance en danger » et de « protection de l’enfance ». On assiste ainsi à la naissance d’un mouvement de protection de l’enfance large et hétérogène, donnant lieu à un éventail de réponses sociales, législatives, institutionnelles, assistantielles et éducatives. Parallèlement, l’Europe voit se généraliser l’idée selon laquelle l’État doit protéger et soutenir les nécessiteux. En Espagne, dans le dernier quart du siècle, les pouvoirs publics adoptent progressivement une attitude pragmatique consistant à encourager la bienfaisance des particuliers et la collaboration des secteurs public et privé. Mais ce processus y est plus tardif que dans d’autres pays car la bienfaisance reste longtemps une chasse gardée ecclésiastique. La bourgeoisie et les classes aisées estiment que ce n’est pas à l’État de prendre en charge la pauvreté mais aux groupes sociaux qui, au niveau local, partagent cette préoccupation. Ceux-ci ont intérêt à participer aux politiques d’assistance sociale car le contrôle social que celles-ci induisent renforce leur position sociale dominante.

3. Les deux premières maisons de correction espagnoles : des établissements

isolés et au développement erratique

a. La Casa de corrección de Barcelone (1836-1880)

En 1836, la maison de correction de Barcelone est créée par la mairie de la cité comtale pour répondre au problème posé par l’augmentation de la population marginale56. Son existence est marquée du sceau du provisoire jusqu’au milieu du XIXe siècle : l’établissement n’a pas de local propre et s’établit dans des couvents rendus disponibles par la politique de désamortissement, mais à l’architecture inadaptée57. En 1836, la maison de

56 Voir notamment SANTOLARIA SIERRA Félix, op. cit., 1999, pp. 101-109. Nous nous permettons de présenter les principaux résultats de cette courte étude monographique, qui présente l’avantage de se fonder

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