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Une première hypothèse de reconnaissance du groupe pour éviter une délocalisation d’activités dans des filiales peu imposées est celle du régime des sociétés

Section I – Une vie encadrée

84. Une première hypothèse de reconnaissance du groupe pour éviter une délocalisation d’activités dans des filiales peu imposées est celle du régime des sociétés

étrangères contrôlées (ci-après « SEC »). Ces régimes se retrouvent dans de nombreux États développés, l’OCDE ayant encouragé ces régimes destinés à lutter contre la concurrence fiscale dommageable247. Il existe deux grands types de régimes SEC. Le

premier par une fiction juridique, nie la personnalité fiscale de la filiale et ne l’impose directement comme une partie de la société mère. Le second impose la société mère sur un revenu fictif, présumé distribué par la filiale. Ainsi les résultats de la filiale sont imposés au niveau de la société mère, et la perte de revenus pour l’État d’origine est éliminée. Ce type de régime a, logiquement, été conditionné par la Cour de justice de l’Union européenne suite à une affaire Cadbury Schweppes248. La Cour a rappelé que dans le cadre

du marché intérieur, l’exercice d’une liberté de circulation est un droit fondamental dont bénéficient les groupes de sociétés. Ainsi, choisir un État d’implantation pour son faible niveau d’imposition en est une modalité249. A ce titre une législation nationale ne peut

légitimement présumer que cette liberté est exercée dans un objectif de fraude. Par conséquent, la preuve ne peut être mise à la charge du groupe. C’est à l’administration fiscale de prouver que la société n’a circulé que dans l’unique objectif d’échapper à une

245L’abus de droit est reconnu en matière de libertés de circulation, les ressortissants ne peuvent abusivement se

prévaloir d’une norme européenne. Toutefois, l’abus doit être apprécié au cas par cas, il n’est pas possible de mettre en place une présomption générale d’abus, les libertés de circulation étant des libertés fondamentales. L’abus est constitué par le non exercice de la liberté revendiquée, lorsqu’une opération est dépourvue de réalité économique par exemple. En revanche il n’est pas constitué par la volonté d’éluder l’application d’une loi nationale, la mise en concurrence des systèmes juridiques par les contribuables étant une des modalités d’exercice de la liberté d’établissement. CJCE, 9 mars 1999, Centros Ltd contre Erhvervs- og Selskabsstyrelsen, aff. C-212/97, Rec. p. I-1459, ci-après « Centros » – CJCE, 30 septembre 2003, Kamer van Koophandel en

Fabrieken voor Amsterdam contre Inspire Art Ltd, aff. C-167/01, Rec. p. I-10155, ci-après « Inspire Art » –

CJCE, Cadbury, préc.

Voir sur ce thème : NICOLETA IONESCU R., L’abus de droit en droit communautaire, thèse, Toulouse 1, 2009.

246 Il s’agit de l’ensemble des règles relatives à la concurrence fiscale dommageable entre États membres, dont

notamment le code de conduite et une communication de 2009 sur les bonnes pratiques pour une gouvernance fiscale. Ces textes sont accessibles à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/harmful_tax_practices/index_fr.htm (dernière consultation le 5 juin 2014).

247 OCDE, Concurrence fiscale dommageable – Un problème mondial, 1998, 92 p.

248 CJCE, 4 septembre 2006, Cadbury Schweppes plc et Cadbury Schweppes Overseas Ltd contre

Commissioners of Inland Revenue, aff. C-196/04, Rec. p. I-7795, ci-après « Cadbury Schweppes ».

249 CJCE, 26 octobre 1999, Eurowings Luftverkehrs AG contre Finanzamt Dortmund-Unna, aff. C-294/97, Rec.

imposition250 par un montage purement artificiel251. Le système français252 a été modifié

pour tenir compte de la jurisprudence Cadbury Schweppes253 afin d’alléger la présomption pesant sur les entreprises.

La deuxième hypothèse concerne la réglementation sur les prix de transfert qui s’applique dès lors qu’un groupe s’implante à l’international et réalise des transactions avec ses sociétés établies dans différents États. Ce qui est intéressant ici est que la réglementation en matière de prix de transfert prévoit une spécificité lorsque l’une des sociétés du groupe est située dans un pays à fiscalité privilégiée254. En effet, la condition

relative au lien de dépendance n’est pas exigée, l’administration n’a pas à prouver l’existence d’un lien de dépendance pour mettre en œuvre l’article 57 du CGI. Par conséquent l’entreprise ne peut échapper à l’article 57 du CGI en prouvant l’absence de dépendance. Ce qui implique une application automatique de la réglementation en matière de prix de transfert même dans le cadre d’un groupe avec de faibles liens capitalistiques. La documentation à fournir pour justifier les prix de transfert est de plus alourdie dès lors que l’une des sociétés est située dans un État ou territoire non coopératif255.

250 Ce qui est facilement contourné puisque la Cour dans l’arrêt Cadbury précise que de simples tâches

administratives ou comptables constituent une activité économique. Dès lors la société n’a pas abusé de sa liberté de circulation. Il suffit donc à cette filiale de comporter un effectif réduit en personnel pour échapper au régime SEC.

251 Depuis 1998 il est possible aux États membres d’invoquer la lutte contre l’évasion fiscale comme justification

à une restriction aux libertés de circulation. Cette justification est strictement encadrée. En effet, pour évaluer l’élément subjectif – la volonté de se soustraire à l’application d’une législation – la Cour utilise un élément objectif qui est le recours par le contribuable à un montage purement artificiel, c’est-à-dire dépourvu de réalité économique. La législation doit avoir pour objectif clair de lutter contre ces montages. Une législation dont le but ne serait pas expressément la lutte contre de tels montages est alors contraire aux libertés de circulation. CJCE, ICI / Inspecteur des finances, préc. note 218 – CJCE, 12 décembre 2002, Lankhorst-Hohorst GmbH

contre Finanzamt Steinfurt, aff. C-324/00, Rec. p. I-11779, ci-après « Lankhorst-Hohorst » – CJCE, Cadbury

préc. note 242 – CJCE, 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation contre Commissioners of

Inland Revenue, aff. C-524/04, Rec. p. I-2107.

Pour une analyse de cette jurisprudence : BOUTEMY B. et MEIER E., « Sociétés étrangères contrôlées et

liberté d’établissement », La semaine juridique entreprise et affaires, Décembre 2006, n°49, p 2769.

252 Article 209 B du CGI. La personne morale passible de l’impôt sur les sociétés doit exploiter une entreprise ou

contrôle une entité directement ou indirectement à 50% au moins, ou posséder dans cette société une participation équivalente ou supérieure à 20 millions d’euros, située en dehors de France et dont le régime fiscal est privilégiée. Les bénéfices de cette société sont réputés constituer un résultat de la société mère (dans la proportion des droits qu’elle détient).

253 Un autre arrêt a également conduit la modification du régime, puisqu’en 2002 le Conseil d’État a jugé que

l’article 209 B du CGI était contraire à la convention fiscale franco-suisse. Conseil d'État, Assemblée, 28 juin 2002, n°232276, Schneider Electric.

254 Article 238 A §2 CGI préc. 255 Supra, note 244.