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L’approche Living Lab étant plutôt récente comparativement aux autres courants de conception centrée-utilisateurs, la méthodologie de ce type d’approche n’est pas encore fixée et il n’existe pas de formation pour les acteurs de ces projets ; chacun interprète à sa façon le concept de Living Lab donnant lieu à des pratiques diverses et variées, souvent orientées en fonction de la connaissance d’un outil, de son encombrement, de l’effort déployé pour son emploi ou encore de la richesse des données d’usage collectées (Tang et Hämäläinen 2012). Comme nous l’avons présenté dans le chapitre précédent, plusieurs études et programmes de recherche sur les pratiques des Living Labs ont été menés depuis la création du réseau européen des Living Labs (ENoLL), afin d’harmoniser les pratiques des Living Labs : CoreLabs (2006-2007), Apollon (2008-2011), CO-LLABS (2008-2010), FirebaLL (2010-2013), Harmonization Cube (Mulder, Velthausz, et Kriens 2008), Knowledge Centre, Living Lab toolbox, enquête Delphi (Krawczyk et al. 2012). Dans un rapport du programme CoreLabs, Santoro et Schaffers font le constat que les principes Living Lab ne sont pas toujours réalisés, ils identifient le besoin d’accorder une place plus importante aux utilisateurs. Dans beaucoup de cas, le concept de Living Lab et les instruments traditionnels des politiques d’innovation ne sont pas en phase (Santoro et Schaffers 2009).

L’objectif de ce chapitre est d’identifier les pratiques mises en œuvre dans les projets Living Lab, pour nous permettre de comprendre les verrous qui limitent ou empêchent la réalisation de ces principes. Quatre pratiques majeures ressortent des diverses études qui ont été menées depuis la création d’ENoLL :

 Etude en laboratoire plutôt qu’en environnement réel ;

 Engagement ponctuel plutôt que continu des utilisateurs ;

 Emploi d’outils traditionnels plutôt que des TIC ;

 Plates-formes de test plutôt que de capacitation.

46 [3.1.1] Etude en laboratoire plutôt qu’en environnement réel

Une étude statistique montre que les méthodes et outils de conception en laboratoire sont les plus employés dans les projets Living Lab (cf. TABLEAU 4), au détriment de l’immersion en environnement réel qui est pourtant l’essence d’une approche Living Lab (Tang et Hämäläinen 2012; Folstad 2008b). Les auteurs expliquent que les méthodes et outils en laboratoire sont les plus familiers aux chercheurs, c’est donc selon leurs habitudes qu’ils continuent tout naturellement de travailler. De plus, Folstad identifie dans sa revue de la littérature sur les Living Labs que la phase d’exploration en environnement réel (« context research ») n’est pas réalisée par tous les Living Labs étudiés (Folstad 2008b) ; or, sans une bonne compréhension du contexte réel du projet, les solutions proposées risquent de ne pas être adaptées de par un manque de données d’usage réelles sur lesquelles appuyer le processus de développement de produit.

TABLEAU 4. Pratiques en usage dans les Living Labs pour atteindre le principe de REALISME

Source : notre recherche

Le contexte de laboratoire présente l’intérêt de mieux contrôler les paramètres de l’étude, il est donc plus facile à mettre en œuvre, mais il ne permet pas de prendre en compte les contraintes extérieures,

qui peuvent être imprévisibles pour les concepteurs. Le réalisme des situations d’usage est peu

intégré dans les pratiques Living Lab actuelles.

[3.1.2] Engagement ponctuel plutôt que continu

Toujours d’après la revue de la littérature réalisée par Folstad (Folstad 2008b), nous observons que l’intégration des utilisateurs dans le processus de conception se fait majoritairement pour la phase d’expérimentation (« evaluation ») mais pas pour les phases d’exploration (« context research »), ni d’idéation et de co-création (« co-creation »). Cela signifie que les utilisateurs interviennent généralement en fin de processus, dans une phase de développement déjà avancée, tout comme dans les approches plus classiques de conception centrée-utilisateurs (cf. TABLEAU 5). En effet, Suchman explique que les phases d’un processus de développement classique se déroulent de manière à ce que les concepteurs ne soient pas interrompus par les clients... ou par la réalité (L. Suchman 1999). Pour Travis, les structures qui n’intègrent pas les utilisateurs au processus de conception agissent ainsi car elles considèrent savoir ce qui est le mieux pour leurs clients ; et les structures qui se lancent dans la collaboration avec les utilisateurs ne le font pas suffisamment tôt dans le processus de développement ou alors se contentent de faire appel à eux au début ou à la fin d’un projet (Travis 2013).

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TABLEAU 5. Pratiques en usage dans les Living Labs pour atteindre le principe de CONTINUITE

Source : notre recherche

L’engagement des utilisateurs ne se fait donc pas de façon continue, ce qui peut conduire à un manque de cohérence entre l’idée de départ et la façon de l’implémenter dans un produit.

[3.1.3] Emploi d’outils traditionnels plutôt que TIC

Une étude statistique menée par Schumacher et Feurstein révèle que la majorité des projets Living Lab emploient avant tout des outils traditionnels, par opposition aux outils TIC (Schumacher et Feurstein 2007) (cf. TABLEAU 6). On peut citer comme exemple d’outils traditionnels : les entretiens, les focus groups, les sessions de créativité, les tests en laboratoire ou sur le terrain ; ils permettent le recueil de données explicites et observables, en faisant appel à la logique des participants.

TABLEAU 6. Pratiques en usage dans les Living Labs pour atteindre le principe de SPONTANEITE

Source : notre recherche

Pourtant, les projets Living Lab sont supposés exploiter les opportunités offertes par les technologies de l’information et de la communication (Schumacher et Feurstein 2007). Tang et Hämäläinen ont identifié deux types de méthode employant des TIC (Tang et Hämäläinen 2012; Folstad 2008b):

 Les méthodes TIC « adaptées des laboratoires » : il s’agit des méthodes dites « traditionnelles » (questionnaires, entretiens, focus groups, boite à suggestions) adaptées au support informatique (en ligne ou online) ; il s’agit dans la plupart des cas de recueil de données explicites (« self-reporting methods »). Ces méthodes sont faciles et rapides à mettre en œuvre, et familières pour la majorité des concepteurs. Elles sont plus répandues que les méthodes TIC dites « intégrées à l’environnement réel » qui font l’objet du point suivant ;

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 Les méthodes TIC « intégrées à l’environnement réel » : ces méthodes se basent sur l’emploi de capteurs et autres outils de mesure pouvant être intégrés à un environnement réel, recueillant de façon continue des données de comportement et demandant peu de présence humaine pendant le recueil. Ces méthodes permettent de collecter des données allant au-delà de la simple expression d’opinion, qui sont plus une tentative d’interprétation logique de nos émotions qu’une compréhension approfondie des raisons réelles de notre comportement, à savoir les émotions elles-mêmes (Van Praet 2013b). Elles permettent de mesurer le comportement physique des personnes étudiées, mais ne sont toutefois pas très répandues dans les pratiques de conception car coûteuses et techniques à mettre en œuvre.

Les méthodes TIC favorisent donc un recueil et un traitement des données d’usage plus approfondis : elles permettent de mobiliser un nombre plus important d’utilisateurs, dans des zones géographiques éloignées, dans des délais brefs, et surtout de capter des données de comportement invisibles à l’œil nu (parcours oculaire de l’utilisateur, rythme cardiaque, angle formé par une articulation, etc.). Les outils TIC viennent compléter et renforcer les données collectées par le biais d’outils traditionnels.

L’emploi majoritaire d’outils traditionnels ne permet pas un recueil aussi complet des données d’usage que l’emploi d’outils TIC, les observateurs passent alors à côté d’une partie des données relatives au comportement spontané des utilisateurs.

[3.1.4] Plates-formes de test plutôt que de capacitation

Il a été montré que plus le processus de conception avance dans le temps, plus l’impact des décisions sur le produit est grand et plus la liberté d’ajustement et de décisions possibles diminue (Bias et Mayhew 1994).

TABLEAU 7. Pratiques en usage dans les Living Labs pour atteindre le principe de CAPACITATION

Source : notre recherche

Nous avons vu dans le paragraphe [3.1.2] que les utilisateurs dans les projets Living Lab interviennent

souvent en fin de processus, leur capacité à influencer le processus de développement est donc

limitée. En fait, l’espace physique des Living Labs est souvent utilisé comme une plate-forme de test de produits plutôt qu’une plate-forme de capacitation (cf. TABLEAU 7) sur laquelle chaque partenaire apporte son expertise et a la possibilité d’impacter le développement du produit, à chaque étape du processus de conception (FING 2009).

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FORMULATION DE LA PROBLEMATIQUE : COMMENT ATTEINDRE LA DIMENSION ‘LIVING’ DES PROJETS LIVING LAB ?

[3.2] Formulation de la problématique :

Comment atteindre la dimension ‘living’ des