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Pratiques professionnelles et relations aux usagers

4. T RANSFORMATION DES RÉSEAUX D ’ ACTEURS

4.4 Pratiques professionnelles et relations aux usagers

4.4.1 Professionnalisation et développement de l’expertise en développement social

La professionnalisation du mouvement communautaire constitue une tendance amorcée dès les années 1980, les organismes communautaires passant progressivement d’une approche de militantisme à une approche de prestation de services (Germain, Morin et Sénécal, 2004). Cette tendance a été renforcée par l’institutionnalisation de la relation des organismes communautaires avec le gouvernement, relation encadrée par des politiques de reconnaissance, le développement de cadres de référence et un soutien financier gouvernemental accru, auxquels a contribué la création de regroupements nationaux en action communautaire autonome et dans le domaine de l’économie sociale. Face à l’enjeu posé par l’institutionnalisation, le mouvement communautaire tente de préserver son autonomie à travers sa structuration en regroupements régionaux et nationaux prenant en charge le rôle d’influence sur l’élaboration des politiques publiques (Favreau, 2005; Somomayor et Lacombe, 2006).

La notion d’engagement aurait alors changé de signification, passant d’une conception plus militante à celle d’un engagement professionnel fondé sur l’expertise, axé sur la réalisation de la mission de l’organisme (E3, E6, E8, E11). Avec ce changement, les bénévoles impliqués dans les organismes communautaires et les entreprises d’économie sociale côtoient le personnel salarié, soulevant des enjeux de démocratie interne et de reconnaissance (E6, E13; Klein et Champagne, 2011).

La fonction publique et parapublique a participé à cette professionnalisation du travail communautaire (E13). Dans la santé et les services sociaux, cette professionnalisation, apparue rapidement dans les centres de crise en santé mentale, est observable également par la création des postes d’organisateurs communautaires de CLSC, puis de CSSS (E1, E9). De même ont été créés différents postes (conseillers, gestionnaires) en développement communautaire dans les arrondissements de la Ville de Montréal (E2). La création de postes d’agents sociaux communautaires, l’adoption d’une approche de médiation et l’implication dans les instances de concertation ont aussi renforcé l’implication du SPVM dans le développement social montréalais (E2, E8). De plus, la délégation de la prestation de services publics aux organismes de certains secteurs a renforcé la professionnalisation. Finalement, différentes études produites par des organismes publics ont accru la connaissance sur des enjeux liés au développement social (inégalités sociales de santé, décrochage scolaire, petite enfance, sécurité alimentaire, etc.) (E11). L’émergence de la nouvelle économie sociale – regroupée au sein du Chantier – et l’organisation des CDEC ont joué un rôle important dans la professionnalisation et l’implication des organismes communautaires dans le développement économique et la production de services. Ceux-ci ont exercé un rôle d’accompagnement en matière de développement économique local, d’insertion socioprofessionnelle, de soutien à l’entrepreneuriat collectif ou social (Dumais, Camus et Tremblay, 2011). Se sont développés des rôles de conseillers en économie sociale et en entrepreneuriat collectif, d’analyste-conseil, de consultant-expert et d’animateur-initiateur de projets. Ces organisations s’éloignent ainsi de la logique d’action collective et d’implication sociopolitique des citoyens propres aux mouvements sociaux desquels étaient issus les comités citoyens et groupes populaires des années 1960 et 1970 (Germain, Morin et Sénécal, 2004). De plus en plus, la notion de développement social et les stratégies de planification collective, notamment la réalisation de plans d’action concertés, font partie des pratiques et sont demandées par les bailleurs de fonds, tant publics que privés (ex. fondations) (E11; Réseau québécois de développement social, 2012). De même, l’évaluation est devenue une exigence plus importante des bailleurs (E10, E12). Dans ce cadre, de nouvelles relations partenariales se sont développées avec le milieu universitaire, les organisations ayant recours à la recherche-action et à l’évaluation afin de systématiser leurs expériences (Fontan, Klein et Champagne, 2010; Angulo, Fontan et Klein, 2012). Différents organismes de recherche et de liaison avec les milieux de la pratique (ex. Service aux collectivités de l’UQAM, réseau des ARUC, RQRP-ÉS, CIRIEC, Chaires de recherche du Canada en économie sociale, CRISES, TIESS), particulièrement en économie sociale, ont été soutenus financièrement par le FQRSC et le CRSH, dans le cadre de leurs politiques scientifiques et ont favorisé la reconnaissance du champ (E11, Lévesque, 2011). Ces relations ont contribué à la reconnaissance de l’expertise issue de l’expérience terrain, légitimant la place faite aux organismes du milieu dans les instances décisionnelles concernant le développement social (Réseau québécois de développement social, 2012). Toutefois, l’arrimage entre les besoins des organismes et la recherche ne se fait pas toujours aisément (E10). Finalement, de nouvelles ressources (ex. Communagir, Dynamo) soutenant les organismes en matière de mobilisation des communautés ont émergé.

4.4.2 Ouverture et fermeture d’espaces de participation aux citoyens

La participation des usagers aux organismes œuvrant en développement social suit des tendances différentes selon les secteurs d’activités. Un espace de participation des citoyens concernant le développement local s’ouvre avec la création en 2002 de l’Office de consultation

publique de Montréal (OCPM), en vertu de l’article 75 de la Charte de la Ville de Montréal et révisée en 2005 et 2008122, s’inspirant des expériences municipales des années 1980 (Hamel,

1999). Des mécanismes de consultation et de participation citoyenne sont aussi adoptés par une diversité d’acteurs, tels les CDEC et les tables de quartier de Montréal123. De même, les tables de

quartier ont créé des postes d’agents de mobilisation citoyenne, organisés en communauté de pratique dans le regroupement des Agents de mobilisation citoyenne du Grand Montréal (E8) et l’on assiste à la multiplication, à l'échelle des quartiers, de nombreux comités de citoyens et de comités autonomes qui s'attardent à des préoccupations précises (ex: aménagement d'un parc) ou plus large (transformation d'un quartier). Toutefois, ces instances jouent principalement un rôle de concertation, mobilisant surtout des acteurs organisés provenant des milieux privés, publics et/ou communautaires. De nouveaux espaces de participation à l’échelle locale se créent dans le secteur de l’environnement par la création des Éco-quartier par la Ville de Montréal (1994) (Germain, Morin et Sénécal, 2004). De même, l’OMHM a mis en place à partir des années 1990 des instances de consultation régionales et sectorielles de ses locataires et, plus récemment, un forum des jeunes vivant en HLM afin qu’ils participent au travail de l’office (E4). Au contraire, dans le réseau de la santé et des services sociaux, bien que la décentralisation des services publics devait conduire à un rapprochement des clientèles, on observe une réduction de la participation citoyenne. Ainsi, avec la création de CSSS fusionnant les services de santé de première ligne, la participation des utilisateurs a été réduite sur les conseils d’administration et reléguée à des comités d’usagers. De plus, l’application des principes de la nouvelle gestion publique a entraîné un alourdissement des structures de gestion124 et des tâches. La création de

ressources intermédiaires et la sous-traitance de certains services ont aussi suscité parmi le personnel le sentiment d’une détérioration de la qualité des services. La mission hospitalière et de santé publique est devenue centrale au détriment de la mission de services sociaux et de santé de première ligne (Bourque, 2004; Bourque, Lachapelle, Savard, Tremblay et Maltais, 2010).

122 En 2005, le décret 1213-2005 modifiant la Charte de la Ville de Montréal est adopté par le gouvernement afin de

permettre au Conseil d’agglomération d’autoriser des projets relevant de ses compétences sur son territoire et de confier la consultation publique à l’OPCM. En 2008, le projet de Loi 82 modifiait l’article 89.1 de la Charte afin que le processus d’approbation référendaire se déroule sur le territoire des projets. Le projet de Loi 22 redonnait au conseil de ville le pouvoir, concurremment avec les conseils d’arrondissement, de prendre l’initiative d’une modification au plan d’urbanisme sur un objet sur lequel porte déjà un projet de modification adopté par le conseil, donnant la responsabilité à l’OPCM de la consultation publique.

123 Par exemple, l’exercice d’un droit de vote à l’Assemblée générale, la participation aux collèges électoraux de

citoyens du conseil d’administration, l’implication dans les comités de travail ou de mobilisation ou la consultation lors d’assemblées publiques.

124 Malgré un discours axé sur la réduction des échelons bureaucratiques, on observe une croissance du contrôle à

partir d’objectifs déterminés dans le but de rationaliser les structures : ciblage des clientèles et ressources, planification et management stratégique, suivi budgétaire, flexibilité managériale et responsabilité administrative pour contrôle des coûts, incitatifs monétaires pour atteinte d’objectifs, etc.