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Chapitre 3 : Principaux résultats 51

3.4 Pratiques des entreprises 65

Cette section est consacrée à la présentation des résultats en lien avec notre troisième variable indépendante, soit les pratiques des entreprises. Il sera question de la reconnaissance des qualifications étrangères par les employeurs, des raisons invoquées par ceux-ci pour ne pas retenir la candidature, d’embauche par réseaux et de traitement différencié.

Avant d’entreprendre leurs études au Québec, la majorité des répondantes avaient procédé à une recherche active d’emploi. À l’exception des 3 immigrantes qui avaient déjà décidé de faire une formation après leur arrivée et qui ont donc fait peu de démarches de recherche d’emploi, toutes les autres ont été très actives et ont contacté de nombreux employeurs. Plusieurs ont fait appel aux services d’organismes communautaires afin de recevoir des conseils pour mieux adapter leurs démarches de recherche d’emploi au contexte québécois. La méthode la plus fréquemment utilisée était l’envoi de CV en réponse à des offres d’emploi publiées sur internet.

Malgré leurs efforts et les nombreux CV envoyés, elles ont reçu très peu de réponses. Par exemple, Carmen a envoyé près de 100 CV et n’a reçu que deux réponses : «Non merci, on a déjà engagé une personne » (Carmen). Elle n’a donc été convoquée à aucune entrevue au cours de cette période.

Leur recherche d’emploi a été parsemée de plusieurs embûches. La difficulté à faire reconnaître leurs qualifications étrangères auprès des employeurs est certainement l’une de celles-là:

Pendant l’entrevue, je pense qu’ils ont démontré du doute, parce qu’ils avaient peur de mon diplôme. Je me rappelle qu’ils m’ont posé la même question je pense 3 fois, de parler à propos de mon expérience en Colombie. Pour les 3 fois, j’ai dit la même chose, mais je pense qu’ils avaient peur de moi. Et aussi ils m’ont posé une question concernant les cours que j’ai pris en Colombie quand j’ai fait mon baccalauréat. Donc j’ai commencé à dire la plupart des cours que j’ai faits dans mon pays. Mais c’est pour ça que je pense qu’il y avait… je sais pas, ils avaient peur de mon diplôme, de mon expérience. Peut-

être ils ont pensé que je pouvais mentir, dire des mensonges ou quelque chose comme ça. (Carolina)

L’expérience et les diplômes acquis à l’étranger sont questionnés, remis en cause. Plusieurs employeurs doutent de leurs valeurs (Chicha, 2009; Lenoir-Achdjian et coll., 2009; Shan, 2009). Une participante s’est même vue refuser un poste en raison d’un nombre d’années d’expérience insuffisant, l’employeur lui expliquant que son expérience étrangère n’était considérée qu’en partie :

Par rapport à ce qu’on m’a dit à [cette organisation gouvernementale], je pense que j’ai des expériences qu’on n’a pas comptées en Haïti, parce qu’il y avait un nombre d’années qu’il fallait avoir. Quand j’ai fait valoir que j’avais ces expériences-là en Haïti, on m’a dit « on les a comptées pour la moitié ». Donc je suppose que c’est l’absence d’expérience québécoise aussi. À mon avis c'est ça, et à mon avis c’est parce que la majeure partie de mes expériences dans mon domaine viennent d’Haïti. En tout cas, moi c'est comme ça que je comprends le fait qu’on ne m’ait pas rappelée. (Adeline)

Si dans certains cas les qualifications étrangères sont dévalorisées et insuffisantes pour décrocher un emploi qualifié, dans d’autres cas on les estime trop poussées. La surqualification devient alors un autre obstacle important dans leur recherche d’emploi :

Puis avec tout ce que j’avais déjà en tête en venant ici, malgré l’équivalence je n’ai même pas pu me décrocher un emploi parce que chaque fois tu étais heurtée à cette idée comme quoi tu étais trop qualifiée. (Mériga)

Entre la dévalorisation et la surqualification, elles se retrouvent coincées entre deux feux. À cela s’ajoute également l’exigence d’une expérience canadienne. En effet, les immigrantes reçoivent le message que leur expérience étrangère est non seulement dévalorisée, mais que l’expérience canadienne est nécessaire dans plusieurs cas à l’obtention d’un emploi :

Ils accordent plus d’importance à l’expérience ici au Canada qu’à l’étranger. On accorde plus d’importance, oui. Toujours l’expérience canadienne est plus importante que celle que tu as eue à l’étranger. (Gabriela)

Afin d’acquérir cette expérience canadienne ou à défaut d’avoir trouvé un meilleur emploi, plusieurs vont se retrouver dans un petit boulot, souvent payé au salaire minimum et pour lequel elles sont nettement surqualifiées. Par exemple, quelques mois après son arrivée et une recherche d’emploi infructueuse, Mériga a accepté la proposition de son agente d’Emploi- Québec de participer à un programme d’insertion pour obtenir cette première expérience canadienne. Malgré ses deux maîtrises, elle se retrouvait alors dans un poste de commis à trier de la marchandise et servir des clients:

(…) les amis nous disaient oui la limite ici c’est ils vont tout le temps te parler de l’expérience québécoise, tout le temps. Tu vas être heurtée à ça. Sur ton CV, il n’y a rien, il n’y a pas d’expérience, parce que je venais d’arriver. Il n’y a pas ça. Donc c'est sûr qu’il y a cette difficulté, mais bon avec le temps… Bref donc quand elle m’a proposé ça, elle a pris aussi la peine de me dire, c'est 6 mois, mais c’est une première expérience québécoise de travail. Donc ça déjà, rien qu’en me soulignant ça, je me suis dit c'est déjà une porte de sortie au moins sur mon CV. Je vais pouvoir mettre, ça je l’ai fait au Québec. (Mériga)

L’expérience canadienne tant convoitée sur le marché du travail sera dès lors acquise, certes, mais ne leur sera pas utile puisqu’elle n’est pas acquise dans leur domaine d’activité. Au contraire, cette première expérience canadienne les placera dans une situation de déqualification dont certaines arriveront difficilement à se sortir. Voici comment Carmen explique sa difficulté à trouver un emploi dans son domaine (comptabilité) après avoir travaillé pendant quelques années dans une manufacture :

J’ai pensé qu’il me manquait le côté de l’expérience de travail dans le domaine. Donc je me suis dit peut-être que c’est ça. Parce que dans mon CV ils voient seulement des emplois de journalière, de manufacture, mais rien en comptabilité. Depuis l’année que j’ai quitté le Mexique, que j’ai commencé à travailler dans le domaine, il s’est écoulé beaucoup de temps. Donc je crois que ça, ça a été le trou dans mon CV. (Carmen)

Notre recension des écrits faisait également état de la difficulté pour les immigrants à accéder à de bons emplois en raison d’une autre pratique répandue dans les entreprises, soit l’embauche par réseaux (Behtaoui, 2008; Chicha et Charest, 2008). Nos résultats vont aussi dans le même sens :

Parce que c’est comme les contacts. Ici ça marche beaucoup les contacts, bouche-à-oreille et les contacts dans le réseau. Nous les immigrants on n’a pas de réseau de contacts. (Carmen)

En fait, les démarches de réseautage effectuées dans les premières années de leur installation au Québec se font surtout auprès d’autres immigrants. Cela aboutit dans la plupart des cas à des emplois déqualifiés, comme l’avait déjà relevé Chicha (2009).

On constate toutefois que le fait d’avoir effectué une formation dans une institution scolaire québécoise a avantagé quelques participantes du point de vue du réseautage. Carmen a ainsi pu obtenir un bon stage rémunéré qui s’est ensuite prolongé en emploi grâce à ses bonnes relations avec le personnel de l’école. Rima a décroché un contrat après que la directrice de son programme ait donné son nom à un employeur. Yulia a pu trouver un emploi après sa formation en participant à un salon d’emploi organisé par son université :

Chaque année ils font, pour les étudiants, dans mon cas pour les finissants, c’était comme un salon d’emploi qu’ils font dans les locaux de l’école de travail social. Ils invitent les gens de tous les organismes qui engagent des travailleurs sociaux, même à l’extérieur de Montréal. C’est comme ça que j’ai trouvé mon emploi. (Yulia)

Nos résultats indiquent alors que cet obstacle de l’embauche par réseaux serait amoindri suite à la formation locale. Le retour aux études dans le pays d’accueil semble en effet une occasion privilégiée pour les immigrantes d’élargir leur réseau et d’accroître les possibilités d’emploi dans leur domaine.

Les autres obstacles mentionnés précédemment, quant à eux, persistent encore après la formation. L’exigence de l’expérience canadienne dans le domaine (malgré un diplôme d’ici) et la surqualification sont encore des raisons invoquées par les employeurs pour ne pas retenir la candidature :

Elle m’a dit, « Moi je ne cherche pas une dentiste. Je cherche une hygiéniste ». Je lui ai dit « Mais j’en suis une ». Elle m’a dit « Non, tu es surqualifiée. Non, je ne veux pas d’une dentiste. Non pour moi, je ne peux pas te prendre pour

hygiéniste ». C’était à Mirabel. C’était ma première entrevue. Je suis prête à partir à Mirabel. C’est pour te dire que je ne veux pas rester à la maison. Je m’ennuyais de travailler. (Rima)

De même, la discrimination directe qu’elles ont pu subir avant leur formation est encore présente dans leurs démarches de recherche d’emploi après les études. Nos répondantes nous ont ainsi rapporté différentes situations, que ce soit avant ou après leur formation, dans lesquelles elles subissent clairement un traitement différent en raison de leur origine ou leur accent. Gabriela s’est par exemple vue confinée à un poste en-deçà de son niveau de compétences puisqu’une promotion ne lui était pas accessible :

(…) j’ai postulé à un poste qualifié maîtrise et scolarité et tout était bien. Sauf que la directrice elle m’a dit « [Gabriela], malheureusement les vice-présidents, ils ne sont pas prêts à prendre une personne avec un accent étranger ». (…) Donc, je ne pouvais pas évoluer dans [l’entreprise]. J’ai cherché à l’interne d’évoluer et ça n’a pas marché. (Gabriela)

Ou encore Irina qui pensait être embauchée par un employeur pour organiser des événements, mais à qui on voulait seulement confier des tâches secondaires en raison de son accent :

J’ai commencé déjà à m’impliquer dans le projet. J’ai donné des exemples où elle peut trouver du financement, comment elle peut organiser ça. J’ai donné des idées. J’étais sûre que je vais travailler là-bas. À la fin, elle m’a dit oui, je vais vous donner quelque chose à travailler beaucoup, à m’aider beaucoup, mais d’être toujours en arrière-plan. Par exemple, elle a dit que peut-être de travailler sur Internet, de me trouver des idées, de trouver quelque chose, peut- être quelque chose comme ça, d’envoyer des courriels dans… quelque chose comme ça, mais d’être en arrière-plan. (…) Elle m’a demandé, mais vous venez de quel pays? J’ai dit de la Roumanie. J’ai ajouté, « Oui, je sais que j’ai un accent, mais je peux travailler ». J’étais frustrée et ma réaction était évidente. (Irina)

Ce traitement différencié affecte non seulement la recherche d’emploi et les possibilités d’avancement des immigrantes, mais aussi le rapport qu’elles ont avec leurs patrons et leurs collègues :

Ma supérieure, elle est québécoise pure laine, comme on dit. Moi je me considère que je suis assez professionnelle, j’arrive dans mon temps, jamais je ne manque mon travail, je fais tout qu’est-ce qu’elle demande. (…) «Vous faites ça», je le fais. Mais quand je me trompe, mon Dieu, c’est la fin du monde. (…) Mais parce que maintenant on est 2 commis, l’autre commis est québécoise. Elle commet une erreur, elle arrive en retard, et jamais personne ne dit rien. Je dis pourquoi moi oui et elle non. On est dans le même poste. (…) J’ai dit pourquoi, parce que moi je suis immigrante et elle, elle est québécoise? Je ne comprends pas. J’ai remarqué parce qu’on est 60, mais on est comme 5 immigrantes. Les immigrants, on les traite comme ça. (Carmen)

(…) il y a aussi, je pense, le fait d’être immigrante, il y avait des préconçus… des idées… des présupposés ou des machins… Je ne sais pas pourquoi on pense qu’on… (…) On est toutes ignorantes… On t’explique « 1 + 1 ça fait 2, tu sais ». (…) Mais je sais que 1 + 1 ça fait 2 ! À un certain moment, moi je n’ai pas tendance non plus à être snob, à sortir mon parcours, etc. Mais il y a un moment tu dis « Écoute, je suis ingénieure donc je sais que 1 + 1 ça fait 2 ». Mais je déteste avoir à faire ça. (Adeline)

Certaines font également face à des situations difficiles avec les clients qu’elles côtoient dans leurs milieux de travail :

J’ai eu plus [à la compagnie d’assurances], par exemple au téléphone où beaucoup de Québécois disaient « Passe-moi quelqu’un qui parle en français ». J’ai dit « Bien oui monsieur, je vous parle en français », « Oui, mais je veux quelqu’un qui me parle français du Québec, pas toi ». (Dalia)

Je n’ai pas l’accent québécois. Donc « Ostie de nègre, retourne donc chez toi »… On m’insultait à cause de mon accent aussi. (Adeline)

Que ce soit avec les clients, les collègues ou les employeurs, nos participantes ont été confrontées à diverses situations de discrimination directe. Il ressort de nos résultats une problématique d’exclusion ou de traitement différencié en raison non seulement de l’origine étrangère, mais également de l’accent. Pour plusieurs des répondantes, le fait d’être une « minorité audible » complique encore davantage leur situation sur le marché du travail.

En somme, nos résultats rendent compte de divers obstacles auxquels sont confrontées les immigrantes face aux pratiques des entreprises. En plus d’être victimes de discrimination directe, leurs démarches de recherche d’emploi se voient grandement compliquées par la

dévalorisation de leurs qualifications étrangères, le piège de la surqualification, l’exigence d’une expérience canadienne et l’embauche par réseaux. Si ce dernier obstacle se trouve amoindri suite au retour aux études au Québec, nos résultats indiquent la persistance de l’ensemble des autres obstacles.

Les résultats liés aux variables indépendantes étant présentés, nous ferons maintenant état des résultats obtenus en lien avec la variable dépendante, à savoir le parcours de réorientation, qui se décline en quatre dimensions : 1) la décision de participer à la formation, 2) le choix d’orientation professionnelle, 3) le déroulement de la formation et 4) l’accès à un emploi correspondant à la formation.