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Les pratiques déclarées des enseignants concernant l’évaluation de l’oral et de l’oral en

Chapitre 5. Interprétation des résultats

5.2. Les pratiques déclarées des enseignants concernant l’évaluation de l’oral et de l’oral en

En parlant de ses pratiques d’évaluation de l’oral en entrevue, Karoline a expliqué, en détail, le moment et la fréquence de ses évaluations. Elle fait principalement l’évaluation certificative (sommative) de la compétence orale de ses élèves, mais a tout de même parlé d’une tâche d’évaluation qui lui sert de diagnostic des connaissances de ses élèves et qu’elle fait faire en début d’année. Les tâches d’évaluation qu’elle emploie sont principalement des exposés oraux, qui sont le type de tâche le plus souvent utilisé par les enseignants comme l’ont rapporté Lafontaine et Messier (2009). Par contre, elle a dit faire faire une activité de slam ou de théâtre à ses élèves en fin d’année, une pratique moins traditionnelle en oral. De plus, elle a affirmé diriger, à l’occasion, des discussions en grand groupe avec ses élèves et les placer en équipes de deux pour les faire échanger sur divers sujets. Ceci correspond aux résultats obtenus par Lafontaine et Messier (2009) dont les participants ont dit qu’après l’exposé oral, les activités de production la plus fréquente dans les cours de français sont les discussions et l’échange en grand groupe, et que celles-ci ont lieu environ cinq fois par année. Du côté de son enseignement, elle a dit consacrer 20% de son temps de classe à l’oral, comme la pondération du bulletin, ce qui nous semble surestimé en fonction du petit nombre d’activités d’enseignement qu’elle a décrites. Nous doutons qu’elle consacre réellement environ 30 cours par année à l’oral15. Cette réalité peut s’expliquer par une certaine tradition scolaire qui perdure depuis plusieurs années et qu’il s’agit d’un niveau de détermination qui a participé à la création d’un modèle disciplinaire, ainsi que l’entend Garcia-Debanc (2004). On se rappellera en effet que le programme de formation de 1980 suggérait uniquement l’exposé oral comme activité de production de la première à la cinquième secondaire (MEQ). On peut supposer que Karoline et Léopold n’aient connu que ce type d’activité lorsqu’ils étaient eux-mêmes élèves, ou que c’est ce qu’ils ont appris durant leur formation universitaire ou pratiqué sur le terrain en début de carrière (Léopold). Les objets d’enseignement que Karoline dit aborder chaque année, sont la prosodie, les registres de langue et les rôles d’émetteur, de récepteur et du message en communication, soit des notions relevant des compétences linguistique et

15 Notre calcul approximatif se base sur le nombre de cours de français (environ 4,5 par semaine) sur les 36 semaines de classes.

communicative (Préfontaine, Lebrun et Nachbauer, 1998). Nous avons toutefois remarqué que les objectifs visés par les situations et dispositifs didactiques sont souvent peu spécifiques à l’oral au sein des activités d’enseignement qu’elle nous a décrites et qui servent souvent de médium plus que d’objet d’enseignement. Elle nous a dit, par exemple, enseigner la structure du texte explicatif en écriture et demander aux élèves de faire un exposé explicatif sur un sujet scientifique par la suite, en souhaitant qu’ils transfèrent ces apprentissages à l’oral par eux- mêmes. Enfin, Karoline a nommé plusieurs modalités d’enseignement durant son entrevue, comme la modélisation par l’enseignant ou par un élève, les exemples et les extraits vidéo. Ceci diffère de ce que Lafontaine et Messier (2009) avaient obtenu comme résultats à leur questionnaire, selon lequel « formuler des consignes » était la « stratégie d’enseignement » de l’oral la plus fréquemment utilisée par les enseignants. Du point de vue de ses instruments d’évaluation, la grille d’évaluation est l’instrument le plus souvent utilisé par l’enseignante, suivie par la grille d’observation et les rétroactions verbales et écrites aux élèves, ce qui correspond encore une fois aux résultats obtenus par les deux chercheures. On voit que les pratiques de l’enseignante se situent dans les traditions d’enseignement de la discipline (Garcia-Debanc, 2004). Pour ce qui est des critères d’évaluation, Karoline les choisit en fonction de ce qu’elle enseigne, dans un esprit de cohérence qui s’accorde avec les recommandations actuelles du ministère (MELS, 2003) et des chercheurs (Tardif, 2006; Scallon, 2004). Enfin, l’enseignante a dit enregistrer les exposés oraux des élèves une fois par année pour s’en servir comme trace pour l’évaluation et comme aide à l’apprentissage, ce qui est recommandé par Garcia-Debanc (1999) et Lafontaine (2007).

Quant à Léopold, il est lui aussi assez traditionnel dans ses pratiques d’évaluation de l’oral et ses réponses à l’entrevue correspondent pour la plupart à ce que Lafontaine et Messier (2009) avaient conclu dans leur recherche. Par exemple, Léopold fait faire environ deux tâches d’évaluation par an à ses élèves, toutes deux de type certificatif, et prenant essentiellement la forme d’exposés oraux. Il a l’habitude de collecter des traces des apprentissages oraux de ses élèves sous la forme de notes personnelles lors de situations de communication informelles comme les discussions en grand groupe ou entre pairs. De plus, il pose son jugement à l’aide de grilles d’évaluation et de grilles d’observation et fait des rétroactions verbales après chaque tâche d’évaluation sous la forme de commentaires généraux à l’ensemble du groupe. Enfin, il

dit impliquer les élèves dans le choix des critères d’évaluation et dans les tâches d’évaluation pour choisir le sujet des exposés et leur faire de l’autoévaluation et de l’évaluation par les pairs à l’occasion, ce dont il tient parfois compte pour évaluer. Du côté de son enseignement, Léopold n’a mentionné réaliser que des activités de production orale avec ses élèves, soit environ deux par années, un nombre peu élevé qui rejoint le constat des chercheurs à l’effet que l’oral est peu enseigné en classe de français (Sénéchal, 2012; Lafontaine et Messier, 2009). Les aspects qu’il dit enseigner sont liés à la compétence linguistique (bien s’exprimer) et communicative (variétés de langue, ne pas lire ou réciter son texte), bien qu’il ait également mentionné la planification de sa prise de parole, qui relève de la compétence discursive. Enfin, Léopold a dit souhaiter intégrer des activités de discussion entre élèves à l’occasion sur un sujet d’actualité, mais n’a pas précisé comment il comptait l’intégrer dans une situation complexe, ce qui nous rappelle la remarque de Lafontaine et Messier (2009) concernant l’enseignement de type intuitif que les enseignants mettent en place dans leurs classes en oral.

En bref, nous pouvons dire que les résultats obtenus à partir de l’entrevue en ce qui a trait aux pratiques d’évaluation déclarées des enseignants confirment ceux obtenus par différents chercheurs au cours des dernières années, soit le fait que les pratiques d’évaluation des enseignants de français sont assez semblables au Québec, tant du point de vue des tâches et de leur fréquence, trois à quatre exposés oraux par année, que des instruments employés (grilles d’évaluation et d’observation). En outre, tant Karoline que Léopold reconnaissent les bienfaits de l’autoévaluation et la capacité des élèves à l’utiliser. Rappelons toutefois que Karoline a précisé ne pas en tenir compte dans son évaluation et Léopold, le faire à l’occasion. Quant à leurs pratiques d’enseignement, nous pouvons dire que Karoline semble faire davantage d’enseignement de l’oral que Léopold et qu’elle cherche à faire de l’oral un objet d’enseignement, et pas seulement un médium, tel qu’elle l’a appris dans les formations qu’elle a suivies. Léopold, de son côté, n’a pas cette préoccupation concernant l’oral. Il ne fait pas la différence entre les concepts d’oral médium et oral objet d’enseignement. Pour lui, enseigner l’oral consiste en demandant à ses élèves de réaliser un exposé oral deux fois par année, à partir d’un thème prédéterminé et de certaines consignes à respecter. Ainsi que nous le pensions, les enseignants n’ont parlé que du volet production, principalement la prise de parole individuelle, en passant l’écoute sous silence. Nous avons toutefois remarqué que les

enseignants ont pu nommer un grand nombre de processus et de stratégies à l’oral en décrivant leur enseignement de l’oral ou les compétences des élèves, ce qui contredit les propos de Lafontaine et Messier (2009) dont les répondants n’étaient pas parvenus à nommer des stratégies. Par exemple, « établir le contact et contribuer au maintien de la communication, en se référant à un aide-mémoire schématique plutôt qu’à un texte suivi » (MELS, 2009, p. 94) ou « intéresser son destinataire en recourant à divers procédés pour capter l’attention ». (Idem, p. 98). Nous pourrions donc nuancer ce résultat en disant que les enseignants connaissent des stratégies en oral et en enseignent, même s’ils ne savent pas les formuler quand on les questionne directement à ce sujet, ce qui relève plutôt d’un problème de connaissances déclaratives.