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Les pratiques de contrôle à l’endroit des personnes itinérantes

Chapitre I : Itinérance et judiciarisation

1.2 La judiciarisation : une injustice de plus ?

1.2.2 Les pratiques de contrôle à l’endroit des personnes itinérantes

Dans la pratique, la gestion pénale de l’itinérance se fait principalement au niveau local, soit dans les municipalités. Plusieurs auteurs ont étudié cette gestion de l’itinérance en lien avec la transformation de l’espace public. Ainsi Damon (2007) analyse les politiques françaises qui rendent l’espace public inhospitalier pour les personnes itinérantes. Ces dernières sont chassées des espaces publics, des «pics anti- clochards» sont installés, des bancs publics sont désinstallés ou aménagés de manière à ce que les personnes ne puissent pas s’y allonger. De plus, des toilettes publiques sont fermées. Cependant, comme le note cet auteur, ces politiques ont souvent l’effet contraire à celui recherché. Dans le même ordre d’idée, dans un quartier central de Montréal, les 15 derniers parcs et squares publics ont été transformés juridiquement afin de permettre leur fermeture la nuit (Site Internet RAPSIM, 2005). Depuis juin 2007, les chiens sont également interdits dans deux parcs fréquentés par les

22 En Belgique, Giannoni (2007) analyse les changements de la gare du midi à Bruxelles où la création de nouvelles lignes de train internationales ont conduit à l’embourgeoisement de la gare.

Ce sont les groupes privés de sécurité (personnel peu ou mal formé, engagé pour servir les commerçants avant tout) qui sont accusés de répressions violentes et inexcusables. Ex : traîner devant tout le monde un sans-abri par le cou ou bien par les jambes pour le «sortir» de la gare ; utiliser les chiens comme armes contre les sans-abri ; les tabasser jusqu’au sang en se disant que de toute façon jamais ils ne vont oser porter plainte et que même s’ils le font ils ne seront pas crédibles puisqu’ils sont des «moins que rien» ! L’impact quotidien de ces répressions sont aisément imaginables : on exclut encore plus l’exclu, on rend l’exclu non seulement responsable mais coupable de sa situation, on le criminalise (Giannoni, 2007 : 10).

En plus de ces transformations des équipements et des espaces publics rendant désagréable ou limitant l’accès aux personnes itinérantes, se sont ajoutées sur le plan législatif de nouvelles mesures. Ces dernières contribuent à la judiciarisation de ces personnes. Depuis les 25 dernières années, de nombreuses villes ont tendance à implanter des lois et des politiques visant les personnes itinérantes vivant ou occupant les espaces publics. Les règlements régissant les espaces publics se reconfigurent au gré des discours en force et des intérêts dominants (Thomas, 2000), tels que ceux des commerçants, d’associations de résidents… De plus, ces politiques peuvent prendre différentes formes : restrictions des places publiques ou de la mendicité par des arrêtés ou de nouvelles lois et restrictions indirectes telles que le phénomène du «pas dans ma cour». Par exemple, en France, les maires disposant du pouvoir de police générale, font voter des arrêtés anti-bivouac et véhiculent avec ceux-ci le vieux fantasme du pauvre paresseux, dangereux et toujours impuni. La justification de ces arrêtés se fait sous le couvert d’assurer le maintien de l’ordre public caractérisé au niveau communal par la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques. Et les amendes subséquentes sont utilisées pour justifier la juridiction destinée à diriger les personnes vers des programmes de soins commençant parfois en prison (Zuidam et Pols, 2007). En ce qui a trait à l’Ontario :

En Ontario et plus récemment en Colombie Britannique, l’adoption de la législation Safe Street Act s’inspire des stratégies de tolérance zéro en définissant le squeegee et la sollicitation agressive, comme des infractions pénales (Bellot et al., 2005 : 28).

Le but de cette criminalisation est, pour certaines villes, de conduire les personnes itinérantes hors de leurs murs (Foscarinis, 1996). Le journal Libération montre l’ampleur de ce phénomène en France :

Depuis plusieurs années au lieu de résoudre les problèmes des sans-abri en France, la droite a essayé de les écarter des centres-villes en instaurant des politiques répressives : arrêtés anti-mendicité, transformation du mobilier urbain (…). Les conséquences de cette politique ont été dramatiques : 100 000 sans-abri, le nombre des expulsions a progressé de façon très inquiétante avec près de 100 000 jugements prononcés par an (Site Internet Libération, 2007).

Ainsi, ce phénomène grandissant de la judiciarisation et de la criminalisation des personnes itinérantes attire l’intérêt de nombreux auteurs (National Coalition for the Homeless and The National Law Center on Homelessness and Poverty, 2006 ; Bellot et al., 2005 ; Foscarinis et al., 1999).

Dans le cas qui nous préoccupe à Montréal, il n’existe pas de loi interdisant directement l’itinérance. Par contre, de nombreuses réglementations municipales et législations provinciales comme le code de sécurité routière, permettent de contrôler les personnes itinérantes, notamment par les activités comme le squeegeeing et ce, sous l’article CSR 448 :

Un piéton ne peut se tenir sur la chaussée pour solliciter son transport ou pour traiter avec l'occupant d'un véhicule.

À ces réglementations s’ajoute, un effectif policier important. En 1997, à Montréal l’entrée de la police communautaire ou de proximité est venue grossir les rangs des effectifs existants. À l’origine, ces policiers devaient se rapprocher des citoyens et répondre à leurs besoins en ce qui a trait à leur qualité de vie et leur sécurité. Dans

24 regard des «Autres», des citoyens, qu’est justifiée la judiciarisation des personnes itinérantes.

Ainsi, si à Montréal, il n’y a pas eu à proprement parler d’adoption de législations pénales à l’endroit des populations itinérantes, la stratégie de la tolérance zéro s’est incarnée dans une mobilisation accrue des forces policières et des législations susceptibles de contrôler les populations itinérantes (Bellot et al., 2005 : 28).

Puis, dans cette même ville en 2003, 26 nouveaux codes d’appels ont été ajoutés aux réglementations municipales déjà existantes, qui définissent les incivilités comme des infractions pénales :

Faire des incivilités une véritable priorité notamment par l’ajout de 26 nouvelles catégories aux codes d’appels qui permettront de mieux identifier les problèmes et d’entreprendre des actions plus ciblées (Site Internet SPVM, 2004).

Ces incivilités conduisent à la criminalisation du comportement des personnes itinérantes supposé antisocial (O’Sullivan, 2007) et de leur seule présence dans l’espace public. Comme l’a montré la recherche de Bellot et al. (2005 : 56) :

Il apparaît que les infractions relatives à la paix et l’ordre public concernent plus de 69% de l’ensemble des infractions reprochées. En ajoutant la propreté et le bruit, il s’agit de plus de 84% des infractions. Ainsi, il s’agit bien de constater que la criminalisation des populations itinérantes, en vertu des réglementations municipales, vise bien à contrôler et punir l’occupation par les personnes itinérantes de l’espace public, mais aussi de qualifier cette présence comme un désordre social susceptible d’une prise en charge pénale.

Par conséquent, à Montréal, les règlementations municipales, de la Société des Transports (STM) ainsi que le code de sécurité routière, sont utilisés à l’encontre des personnes itinérantes. L’analyse de la judiciarisation de cette population sur la période de 1994 à 2003, montre que les principales infractions pénales reprochées à ces personnes sont liées au fait d’occuper l’espace public en commettant des délits tels que consommer de l’alcool sur la voie publique, entraver la libre circulation, se

trouver dans un parc fermé la nuit. De plus, une augmentation marquée du nombre de constats d’infractions émis est constatée : il a quadruplé dans les dernières années passant de 1 422 en 1995 à 4 202 en 2003 (Bellot et al., 2005). À cela s’ajoute le fait que certaines de ces personnes sont sur-judiciarisées, c’est-à-dire qu’elles reçoivent un nombre élevé de constats d’infractions. Pourtant l’utilisation du champ pénal menant à l’entrée dans le système pénal et à la judiciarisation n’est pas sans effet. L’incarcération pour non-paiement d’amendes devient l’aboutissement ultime de la judiciarisation mais n’est pas sans conséquences.