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Chapitre IV : Description et perception des relations avec les acteurs judiciaires

4.2 Relations avec les autres acteurs

4.2.5 Avec les gardiens de prison

Huit personnes n’ont jamais été emprisonnées, sept l’ont été pour des constats d’infractions uniquement, six pour des constats et des infractions criminelles et huit pour uniquement des infractions criminelles. La grande majorité des répondants affirme qu’en général ils n’avaient pas de problèmes avec les gardiens de prison, qu’ils ne se sont pas embêtés mutuellement ou ne se parlaient pas. Israël «respectait la loi du silence» c’est-à-dire qu’il ne parlait à aucun représentant de l’ordre et Barnabé explique qu’il n’avait pas de lien avec eux, même si certains étaient gentils, car cela est mal considéré par les autres détenus :

C’est mal vu quand tu parles aux screws là, tu peux pas leur parler mais y en a qui sont quand même gentils tsé. Ouais mais tsé tu peux pas, même si il est gentil, dans l’fond. (Barnabé, 31 ans, itinérance épisodique, peu judiciarisé).

Seul Harthur relate le fait de subir des propos dégradants lors de la fouille à son arrivée en prison. Il l’explique de par son «identité autre» comme il se définit. En effet, lorsqu’il est interpellé le plus souvent il pratique les métiers du sexe habillé en femme et s’il est sous mandat d’emprisonnement il est conduit dans cette tenue en prison et les gardiens se moquent de lui. Gérard quant à lui, dit avoir vécu beaucoup d’injustices en prison, alors qu’il purgeait des peines pour des infractions criminelles et X-man raconte qu’il purge toujours la totalité de sa sentence (criminel) ou de

92 pas d’adresse. Le fait de ne pouvoir sortir au 1/6ème de sa peine le révolte, alors que toute personne ayant une adresse peut bénéficier de ce règlement.

La perception des répondants en ce qui a trait aux gardiens de prison ressemblent à celle qu’ils ont des gardiens de métro. Ils les comparent à des policiers manqués et frustrés, désirant le pouvoir, pouvoir que Cannabis C. ne leur reconnaît pas.

Par conséquent, l’analyse des relations des personnes itinérantes avec les instances de surveillance nous amène à constater qu’elles dépendent des personnes impliquées, des attitudes de chacune, du contexte et de la situation. Mais le plus souvent il ressort que les personnes sont connues des agents de surveillance ce qui permet de débuter le processus judiciaire, par la remise d’un constat d’infraction. Mais peu se retrouvent devant un juge pour diverses raisons en lien avec leurs conditions de vie. De plus, l’ampleur de la judiciarisation et la situation de rue influencent ces liens car plus une personne est judiciarisée, plus elle est confrontée aux agents de surveillance. Mais ici nous avons tenu à considérer l’ensemble des propos des personnes car elles ont toutes vécu des expériences en lien avec le système judiciaire et ont une opinion à donner.

Ce qui nous semble ressortir le plus est le fait que les personnes vivent des injustices mais que peu d’entre elles le verbalisent de la sorte. Mais selon Renault (2004 : 35) :

Le concept d’expérience de l’injustice désigne donc l’injustice vécue dans sa dimension pratique et normative d’action transformatrice guidée par un sentiment ; il désigne le vécu des situations injustes (vécu d’injustice) accompagné d’une conscience au moins inchoative de l’injustice (sentiment d’injustice). (…) Il est tout à fait possible que la non- satisfaction d’attentes normatives pourtant fondamentales, n’accède pas à la forme d’un sentiment d’injustice, qu’elle induise simplement des formes d’insatisfaction et de souffrance que les individus ne se représentent pas comme des injustices. Nous parlerons dans ce cas d’un vécu d’injustice (et alors, c’est pour nous seulement que ce vécu est celui d’une injustice) qui ne parvient pas à se transformer en expérience de l’injustice.

En effet, plusieurs répondants n’acceptent pas le fait de recevoir des constats d’infractions pour des gestes qui ne sont pas reprochés aux autres citoyens ou que ceux qu’ils reçoivent soient reliés à leur situation de vie. Si ils avaient un appartement ils pourraient dormir, consommer de l’alcool, fumer, se réchauffer sans recevoir de constats d’infractions. Le fait d’être connus de certains policiers ou agents de métro augmente cette perception. Mais plusieurs expriment sous l’angle de l’injustice le fait qu’ils soient incarcérés sans être jugés, sans pouvoir s’expliquer sur le contexte de la remise du constat d’infraction ou encore en raison des conditions de libération différentes lorsque la personne ne peut fournir d’adresse.

En ce qui a trait aux acteurs judicaires et principalement aux policiers, les personnes itinérantes semblent les considérer comme faisant partie des contacts «obligés» lorsqu’elles vivent dans la rue. De plus, du fait que peu d’entre elles rencontrent le juge, cela fait en sorte comme l’a mentionné Bellot et al. (2005 : 90) que :

L’espace entre les deux (interpellation par un policier jusqu’à l’exécution du mandat d’emprisonnement) qui fait appel aux acteurs de la justice n’existe pas concrètement dans l’expérience des personnes, si bien que la judiciarisation est ainsi perçue comme une réalité policière plutôt qu’une réalité pénale. À ce titre, elle ne paraît pas s’inscrire dans un rapport de droit et de justice, mais bien dans un rapport d’ordre et d’injustice.

Ainsi, lors de la comparution à la cour, les rapports établis avec les acteurs de même que les jugements rendus semblent moins poser de difficultés aux personnes itinérantes que la légitimité de la justice elle-même, qui semble s’acharner sur les plus démunis. Cette légitimité est remise en cause du fait du sentiment d’injustice ressenti et du déni de reconnaissance touchant la sphère juridico-politique au sens d’Honneth. Ainsi, d’après Renault (2004), les «expériences de l’injustice» ébranlent l’intégrité des individus. Selon cet auteur :

La perception de l’injustice s’enracine dans le sentiment qu’un aspect essentiel de ma dignité est bafoué, sentiment qui

94 lésée dans le cadre d’une relation intersubjective, d’un déni de

reconnaissance (Renault, 2004 : 75).

En outre, du fait que les institutions représentent des lieux de socialisation et de production d’identité, cela nous laisse penser que la police comme le système pénal influent sur l’identité des personnes itinérantes. En effet, comme le mentionne Renault :

Les différentes formes contemporaines de l’injustice sont liées à la non-reconnaissance sociale et politique des identités (…). Tant que les institutions incarnent des modèles normatifs et des modèles cognitifs, elles ont toujours pour effet de valoriser certaines identités et d’en dévaloriser, voire d’en disqualifier ou d’en invisibiliser d’autres. Il en résulte que la reconnaissance des individus par les institutions est toujours médiatisée par leurs identités» (Renault, 2004 : 262-269).

Et comme en ont fait part plusieurs répondants, les relations entre eux et les acteurs judicaires depuis le policier jusqu’au gardien de prison, peuvent être dégradantes ou dévalorisantes et ainsi produire de la souffrance sociale. Et cette souffrance fait état de déni de reconnaissance. C’est la raison pour laquelle, nous allons dès à présent nous pencher sur ces derniers et étudier les différents discours des personnes rencontrées.

Chapitre V : Dénis de reconnaissance et discours sur la