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9. En tant que pratique autochtone

9.1 La pratique historique de la médiation

Marc Gohier utilise, comme source historique principale, les écrits des ethnologues de l‟époque du contact, ainsi que la mythologie autochtone, telle qu‟elle a été enregistrée par ces ethnologues. Il confirme que « à en croire ces documents, la médiation était une pratique fréquemment employée par les Amérindiens pour régler leurs conflits, et ce, bien avant l'arrivée des Européens »470. Ces mêmes

ethnologues trouvaient que certaines pratiques, telle que le remplacement des défunts par les prisonniers, faisaient preuve d'une essence fondamentalement guerrière chez les Autochtones, qu'ils notaient conséquemment comme un fait471. Nous avancerions qu‟un comportement qui peut paraître

guerrier en fait peut relever de la recherche constante d'équilibre. Par le fait de se limiter à ce qu‟ils comprenaient comme légal, divisé rigidement de ce qu‟ils comprenaient comme culturel ou spirituel, ces ethnologues auront nécessairement manqué d‟importants éléments de la pratique légale autochtone. Grammond cite de multiples auteurs écrivant sur des autochtones autour du monde. Ils soulignent tous l‟accent mis sur la résolution de conflits par des valeurs souples ainsi que l‟ensemble formé avec d‟autres normativités. Grammond met en doute la réception en droit canadien des normes autochtones à cause de cet ensemble de normativités. La reconnaissance des ordres autochtones, pour Grammond,

470Gohier, supra note 105 à la page 42 471Ibid à la page 43

devient ainsi un choix politique de permettre un certain degré d‟autonomie en général, plutôt que l‟observation neutre de phénomènes juridiques472. En effet, il s‟agit de prévenir et régler les conflits à

travers toutes les activités pratiquées à l‟intérieur de la culture. La concentration de juridicité qui pourrait manquer au droit autochtone est en fait étalée à travers toutes les pratiques culturelles; la médiation fait partie de ces pratiques, mais elle met en œuvre ces pratiques aussi à ses propres fins.

Justement, Emory Dean Keoke et Kay Marie Porterfield nous rappellent ces liens quand ils décrivent le travail des Hurons, comme des Iroquois, dans l'interprétation des rêves473. Ils nous

transmettent ce que les Hurons ont décrit aux jésuites concernant les deux natures de l'âme et le besoin de les unifier par la réalisation, des fois même par la simple voie de productions théâtrales, de ces désirs cachés et puissants. Nous pouvons apprécier ces descriptions et leurs liens avec des pratiques de médiation, parce que l'unification des idées des parties à une médiation ressemble finalement aux ententes négociées entre les différents aspects de nos propres cœurs. Le chercheur Carl Urion, de la nation Métis de Dearborn River, est cité par Stewart-Harawira pour nous rappeler que le savoir traditionnel est un savoir vivant. Ce savoir exprime la vie dans toutes ses dimensions et son développement est aussi bien une recherche intérieure qu'extérieure, comme l'est l'interprétation de rêves et aussi la médiation474. Cette nature fondamentalement spirituelle475 fait qu'il contient une essence

centrale de connexion relationnelle à travers la communication ouverte, qui demeure à travers des moments particuliers d'histoire comme l'esprit de la vie ou de l'existence derrière les manifestations variées de la nature. Nos rêves se créent, compris sur un certain niveau général, à partir des interactions entre l‟activité intérieure de nos cerveaux et des stimulations extérieures, comme ça se fait depuis qu‟on a commencé de rêver. Leur interprétation nous y ramène alors malgré la variété de moyens

472Grammond, Réception, supra note 83 à la page 68

473Keoke, supra note 94 à la page 89 et s., Livesey à la page 23 474Stewart-Harawira, supra note 16 à la page 35

employés pour les comprendre. Nos conflits à la base viennent également de quelque chose plus profond qu‟un seul mariage ou un seul crime quoique détestable. La médiation autochtone cherche à s‟approcher de ce centre spirituel profond qui reste avec nous et qui nous définit plus largement.

Gohier nous parle également de l'existence de nations médiatrices qui avaient la tâche de pacifier les conflits entre les autres nations476. Il nous précise que chez les Iroquois, c'étaient les

Onondagas qui avaient ce rôle. Les Onondagas gardaient le feu, qui représentait les rencontres des nations au centre du territoire de la Confédération, ainsi que le collier blanc, qui représentait les accords faits entre les membres. Ils tenaient également la plume avec laquelle ils devaient dépoussiérer le collier pour représenter métaphoriquement le besoin de veiller constamment au respect des accords et même de les renouveler régulièrement477.

Effectivement, il nous faut regarder du côté autochtone pour nous approcher du cœur de ce qu'on entendait par la médiation historiquement. Taiaiake Alfred parle d'une culture partagée au sein de chaque groupe autonome d'Autochtones, comme celui de Kahnawake, dont les membres connaîtraient les traditions, les valeurs et les normes à la base de la société478. Il parle de réseaux larges et ouverts de

communication clairement établis par lesquels l'on développe, débat et applique ces traditions479. Il

parle de sociétés serrées où l'on se soucie des autres et où l'importance de l'entraide et de la coopération communautaire est reconnue et rappelée régulièrement480. Alfred développe cette compréhension du

passé, moins à partir des écrits européens que des discussions avec les anciens de sa communauté et de l'extrapolation de sa propre expérience de vie à l'intérieur d'une communauté autochtone comme Kahnawake.

476Gohier, supra note 105 à la page 47 477Ibid à la page 47

478Alfred, Peace, supra note 114 aux pages 86 et s. 479Ibid aux pages 103 et s.

Finalement, une telle compréhension certes subjective d'un passé que nous devons nécessairement interpréter de toute façon jouera un large rôle dans la création du moment présent au sein d'une communauté comme Kahnawake. Les faits sont bien sûr utiles, malgré toute la nécessaire subjectivité impliquée dans leurs explications. Les idéaux et les images, cependant, que décrivent des auteurs autochtones contemporains lorsqu‟ils parlent de leur propre passé contribuent tout aussi réellement à la modification de la situation actuelle. Alfred parle encore de gens, dont des jeunes, qui sont fiers de leurs communautés et participent activement à l'établissement de frontières culturelles claires protégées par toute une gamme de leaders, dont des médiateurs481.

9.1.2 L‟objet de la médiation

Sébastien Grammond a initié un cours donné par un avocat cri, John Paul Murdoch, à la communauté de Wemindji en territoire cri au bord de la Baie James482. Pendant ce cours, que j'ai suivi,

Murdoch a raconté l'histoire de quelqu'un qui a tué un orignal sur le terrain d'un autre. La conséquence qui semblait appropriée pour la victime de ce crime était d'aller chercher toute la viande de l'orignal dans le frigo du contrevenant et la rapporter chez lui. Ceci fait, il n'y avait plus aucun problème. Ceci rappelle une règle de la Kaianerekowa, selon la version commentée par Paul Wallace, qui dit qu'il est possible de passer ou même chasser sur de multiples territoires, mais il faut échanger des dons et discuter avec ceux qui y chassent régulièrement et lui veillent483. Les parties impliquées dans ce conflit

ont réalisé un genre d‟auto-médiation pour eux-mêmes, ce qui est une possibilité qui s‟accorde avec les normes de la Kaianerekowa. Dans un contexte contemporain, néanmoins une discussion avec un ancien, une mère de clan ou un autre tiers à qui on fait confiance dans le rôle de médiateur, servirait également à éviter qu'un tel acte d'équilibrage ne dégénère en un conflit plus sérieux.

481Ibid à la page 89 et s.

482John Paul MURDOCH et Sébastien GRAMMOND, Traditions juridiques cri, Wemindji, Université d'Ottawa, Juillet

2011

En effet, l'organisation de médiation de Kahnawake, Sken:nen A'Onsonton, précise qu'historiquement, l'harmonie dans le groupe était très importante pour la survie même des gens484.

Cette harmonie était loin d'être assurée en l'absence d'un travail continu de communication afin d‟arriver à une compréhension mutuelle. Gkisedtanamoogk écrit que les solutions, dans la culture Wampanoag, doivent être réalisées par, et inclure, tous les êtres humains. Il fait le lien avec l'exigence historique et le besoin actuel, pour tous, de partager réciproquement et d'aider ceux qui sont à un moment ou un autre moins fortunés485. Un dépliant de Sken:nen A'Onsonton explique qu'il y avait

quatre principes de première importance dans la médiation historique entre individus comme entre nations : la raison, la satisfaction, la persuasion et la compensation. À cette époque même, la guérison des maladies de conflit communautaire était effectuée par le dialogue avant la punition, les relations avant la loi et l'invitation à tous ceux qui étaient impliqués à participer486. John Borrows insiste tout

particulièrement sur l'intégration de tous les points de vue, à tout le moins par l‟écoute et la participation, au sein du droit indigène historique487. Morin mentionne la possibilité même de faire deux

camps lors d'une crise plutôt que d'imposer une solution488.

Il y avait, pour résumer la discussion de cette section, des problèmes grands et petits, quotidiens et politiques dans des sociétés autochtones historiques. Un membre de la communauté, différent selon le conflit, était là pour aider non seulement les deux parties impliquées, mais tous ceux qui étaient touchés par la question. L'on chercherait une solution par des discussions en plus petits groupes, ainsi qu'avec tout le monde rassemblé, sans durée minimale ni maximale. Une solution serait décidée finalement et mise en œuvre de manière appropriée par tous ceux dont la participation est requise, sous

484Sken:nen, supra note 96 à la page d'introduction du site-web 485Gkisedtanamoogk, supra note 468 à la page 83

486Sken:nen, supra note 96 dans le dépliant 487Borrows, supra note 86 à la page 38

l‟œil de la communauté en général. Et ceci dans tous les domaines. Nous verrons maintenant exactement comment la Kaianerekowa veut qu‟on pratique la médiation.

9.2 Les normes de la pratique selon la Kaianerekowa