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6. Les activités politique-juridiques de Kahnawake

7.3 Le statut de la Kaianerekowa à travers le temps

7.3.2 Le choc des mythologies

Il importe de souligner, enfin, que cette question de statut est liée à celle de la mythologie. Alfred a affirmé devoir utiliser le concept occidental contemporain de souveraineté afin de gagner un

349Ibid aux pages 92 à 93

350Keoke, supra note 94 à la page 289

351Keoke, supra note 94 à la page 289

352Horatio HALE, « Hiawatha and the Iroquois Confederation », Salem, Salem Press, 1881, à la page 32.

certain espace pour sa communauté avant de pouvoir mieux affirmer et développer son indépendance354. Il se permet ainsi de participer à la mythologie, ou système de croyances partagées, de

la portion dominante de la société qui l'entoure, mais se promet de la questionner et d'en modifier les aspects humains tout en respectant l'ordre immuable de la nature355. Régis Lafargue nous confirme que tout juriste humain ne pourra voir la réalité du droit qu‟à travers ses valeurs et ses préjugés ou, pourrait- on dire, sa mythologie356. Ceci n‟est pas un problème en soi, certes, mais cela doit simplement être reconnu ou même intégré. Webber tourne également sur sa tête cette idée que la mythologie ne serait plus usuelle en Occident, mais serait pertinente uniquement pour les Autochtones357.

Stewart-Harawira entre en détail dans la question de la mythologie occidentale contemporaine lorsqu'elle précise que la force et la richesse de l'État ont remplacé entièrement le bien-être des gens comme le but de l'idéologie européenne à partir du XVIIIe siècle : « Peoples were no longer conceived of as ends in themselves, but as resources to be used to ensure the development and viability of the State »358. Isabelle Merle parle du statut des colonies dans le droit colonial. Elle précise que leurs membres n'étaient pas considérés comme une partie de l'humanité dans cette perspective étatique (car ils étaient trop éloignés des individus humains composant le groupe majoritaire). Elle affirme que les États colonisateurs s'y réservaient des possibilités légales d'oppression qui n‟existaient même pas dans la métropole359. Woo, dans le contexte de la marginalisation des valeurs autochtones de responsabilité collective lors de la libéralisation de l'économie nouvelle-zélandaise des années 1980, cite le théoricien maori Graham W. Smith. Celui-ci reprend l'idée du penseur coréen H. Cho, selon qui l'on est colonisé

354Alfred, Peace, supra note 114 à la page 58 355Ibid à la page 59

356Lafargue, supra note 156 à la page 166 357Webber, supra note 31 à la page 611

358Stewart-Harawira, supra note 16 à la page 71

359Isabelle MERLE, « Les Ambiguïtés du statut personnel en droit colonial », dans Natacha GAGNÉ et al. (Dir.),

si l'on a besoin des moyens et des outils étrangers pour vivre et penser360. Si les colonisés adoptent ces manières de penser, non seulement perdront-ils leurs propres manières, mais ils pourront finir par se définir eux-mêmes comme des ressources et des objets acceptables d‟oppression. Voilà une grande partie de ce qui est arrivé mentalement aux Autochtones en Amérique.

Monture-Angus soutient fermement que l'histoire et la loi sous forme orale, comme la médiation d'ailleurs, ne peuvent être considérées, contrairement à la conception développée à la Cour suprême du Canada, selon le même standard d'appréciation que les formes écrites, comme des codes361. Plus encore, elle affirme que : « The aboriginal understanding of this historical context must become as important as the western understanding »362. Michel Morin parle de la compréhension occidentale des traités faits entre peuples autochtones, dans un article sur les insuffisances des analyses purement historiques (et on pourrait dire la même chose pour celles purement juridiques ou de n‟importe quelle singularité prise sans contexte et sans lien). Il souligne le fait que les étapes identifiées par Marcel Trudel363comme étant intégrales à la création d‟un traité ne sont pas toujours présentes nécessairement pour chaque traité. Il souligne aussi que de multiples publications font abstraction de la souplesse dont a fait preuve la Cour suprême lorsqu‟elle a établi des liens entre la vie d‟individus autochtones aujourd‟hui et autrefois364. Ces absences et une telle souplesse peuvent faire partie même de la tradition en bonne et due forme, parce que tout peut changer selon le contexte. Cela n‟enlève rien à la formalité de la chose. À cet égard, Susan A. Miller affirme que de multiples auteurs autochtones soutiennent solidement que la précision de leurs moyens d‟enregistrer l‟histoire est au moins aussi fiable que

360Woo, supra note 8 à la page 89

361Monture-Angus, Journeying, supra note 2 à la page 49 362Ibid

363Marcel TRUDEL, « Les Hurons et Murray en 1760 : Un « traité » qui n‟est qu‟un laissez-passer », dans D. Vaugeois (Dir.), Les Hurons de Lorette, Sillery, Septentrion,1996, p. 132-158

364Michel MORIN, « Les insuffisances d‟une analyse purement historique des droits des peuples autochtones », RHAF,

d‟autres et ils « cite reasons based on evidence and logic in support of their position »365. Alors, non seulement y a-t-il des façons différentes de comprendre et de créer la mythologie, l'histoire et le monde, mais il importe même de leur reconnaître un statut égal.

Donna Haraway, dans le contexte des études scientifiques dominées par une perspective masculine, cite le livre Have only men evolved, où l'auteur dit : « The question is who has social sanction to define the larger reality into which one‟s everyday experiences must fit in order that one be reckoned sane and responsible »366. Effectivement, loin de reconnaître pleinement les conceptions autochtones, les autorités canadiennes semblent vouloir nier même tout le contexte passé et contemporain qui les entoure. Beverly McLachlin, la juge en chef de la Cour suprême, a affirmé dans un discours que le Canada est un pays pluraliste réussi, « with no colonial past »367. Sa cour, pourtant, cherche seulement à intégrer les communautés autochtones dans le droit canadien et ses formes propres. Les décisions de sa cour présument « l‟affirmation de la souveraineté britannique »368, sans aucune conquête, notamment par l'imposition proprement coloniale de la Proclamation royale de 1763. Andrée Lajoie affirme qu'aucune des onze nations autochtones du Québec369, dont les Mohawks, n'a été conquise370. Woo distingue, dans le cas de l'Irlande, entre les activités de conquête, comme en Écosse et au Pays des Gallois, et de colonisation, comme en Irlande et ensuite en Amérique371. Effectivement, la création du Canada est clairement le résultat du colonialisme et nous devons reconnaître ce fait si nous voulons contribuer valablement aux efforts d‟améliorer la situation actuelle.

365Miller, supra note 184 à la page 17

366Donna HARAWAY, Simians, Cyborgs, and Women : the Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991, à la page

78 [Haraway]

367Beverly McLachlin, P.C., « Globalisation, Identity and Citizenship,” ADM Forum, Ottawa, 26 October 2004, en ligne :

http://scc-csc.gc.ca/aboutcourt/judges/speeches

368R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, au paragraphe 36, 165 notamment

369Pour une discussion du nombre et de l‟organisation de ces nations : MCNEIL, Kent, « Le Droit inhérent à l‟autonomie gouvernementale : nouvelles orientations de la recherche en droit », Rapport de recherche préparé pour le Centre de la

gouvernance des Premières Nations, 2004; TRUDEL, Pierre, « Les Autochtones au Canada : combien sont-ils? », Recherches amérindiennes au Québec, vol. XXXV, no 3, p. 107-110

370Lajoiesupra note 53 à la page 17 371Woo, supra note 8 à la page 54