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II - Le vécu pour dire l’être, entre trans-formation et con-frontation

I. Une posture épistémologique engagée et impliquée

1. Le praticien/chercheur, pour une co-construction de la recherche ?

1.1 La subjectivité, du praticien au praticien/chercheur

Cette posture du praticien qui est aussi chercheur interroge puisqu’elle met en tension le praticien, dont une partie du faire est souvent implicite, et le chercheur, dans une dimension théorisée de l’action. Ainsi Donald Schön (1994) a cherché, en interrogeant ce rapport entre théorie et pratique à donner une légitimité scientifique au « savoir agir » en questionnant et en étudiant le savoir en cours d’action et le savoir

sur l’action. La posture de praticien/chercheur ne se résume pas à un aller-retour, au gré

des moments entre les deux postures, au risque de renforcer la dichotomie entre action et réflexion. L’objectif n’est pas de nous placer en dehors de la réalité du terrain, dans une dimension objective illusoire, car « nul ne peut prétendre à l’objectivité concernant la production de sens dans les sciences humaines » (Perraut Soliveres, 2001, p.193) mais d’assumer la subjectivité du chercheur. Nous ne cherchons pas non plus à expliquer des pratiques, avec la prétention qu’elles pourraient servir de modèles à d’autres. Nous avançons dans une démarche de description de certains éléments qui participent de la formation, du point de vue des étudiants, pour interroger leur parcours et ces dédalités, à travers leur vécu. Nous ne sommes pas dans une démarche sociologique mettant en place un dispositif neutre, qui nous apparaît aussi neutralisé dans sa dimension subjective, puisque nous pensons que notre subjectivité, en tant qu’infirmière, formatrice en IFSI et chercheuse participe d’une certaine compréhension du vécu des étudiants. Cifali (1987, p.143) précise que « (…) dans l’acte de compréhension, le sujet n’est pas évacué, il est même renvoyé à lui-même dans la singularité d’un rapport de soi à l’autre. Cet acte en appelle à un travail constant où la théorie n’est plus au centre : elle fournit tout au plus la possibilité de tisser des liens, d’entendre, d’être surpris (…). » Il s’agit d’interroger le discours de certains étudiants, d’où le choix d’une méthodologie plus sensible rendant visible notre cheminement en tant que praticien/chercheur, sujet

impliqué et sensible. Mais si notre subjectivité participe de notre démarche, elle n’empêche pas son objectivation par la présentation de ses différentes étapes. « La description ne se limite pas à collecter et à énoncer les termes de la collection, mais est une activité de transformation du visible » (Laplantine, 2010, p.126) dans laquelle notre posture de praticien/chercheur nous permet, par une connaissance partagée, d’interroger les pratiques en formation. Les éléments qui nous ont poussés à nous inscrire dans une démarche de recherche sont issus de notre pratique et de son questionnement, à partir d’un écart entre notre pratique professionnelle et le vécu des étudiants. Si les formateurs en IFSI participent à la formation de professionnels de santé capables de prendre soin des autres, notre expérience nous a amené à interroger le prendre soin des étudiants. Lors de rencontres pédagogiques et/ou de lecture d’analyses de pratique, certains étudiants évoquent un encadrement parfois maltraitant, la confrontation à des situations complexes qui peuvent être douloureuses, dans une résonance qui les amène à envisager un abandon de leurs études. Les raisons qui influencent le choix d’un arrêt de la formation sont aujourd’hui questionnés par différents chercheurs (Guillaumin, Pesce et al., 2018) et ne se limitent pas à la rencontre avec certains professionnels perçus comme maltraitants. Si nous sommes conscient que la relation pédagogique, mise en œuvre par l’ensemble des professionnels référents de l’étudiant au cours de sa formation, peut favoriser un vécu plus serein de la formation, c’est la question du parcours de l’étudiant qui nous intéresse.

1.2 Vers une co-construction de la recherche

Ainsi tout au long de ce travail de recherche, le souhait de confirmer nos convictions a été remplacé par celui d’interroger la notion de parcours, et plus particulièrement la notion de parcours dans le cadre d’une formation en alternance. Si « être un chercheur "du dedans" avec tout ce que cela comporte de difficultés, d’obstacles et puis aussi de difficultés par rapport à toute la démarche objectivante » (Perraut Soliveres in Lerbet-Sereni, 2004, p.29) n’est pas évident, c’est probablement aussi ce qui nous aide à construire notre recherche tout en poursuivant notre activité professionnelle. En effet, si nous avons parfois le sentiment au début de ne pas changer, le regard de nos collègues nous rappelle souvent la double posture qui est la nôtre, en tant que collègue et chercheuse. Certains ont pu se montrer parfois distants, ne sachant

pas ce qui pourrait être fait ou dit de la pratique partagée, et c’est pour cette raison que nous avons proposé de présenter notre réflexion lors d’une réunion d’équipe469. Il s’agissait de pouvoir informer plus précisément l’ensemble de nos collègues de l’avancée de notre démarche, de répondre aux questions et de bénéficier de leur regard sur notre démarche, dans un souci d’inscrire ce travail dans une réalité professionnelle. Cette clarification a été bénéfique car s’il a pu exister une certaine méfiance au début de la recherche chez certains de nos collègues, se manifestant le plus souvent par le sentiment chez nous d’être « attendu » lors de réunions à travers nos arguments et notre positionnement, elle semble aujourd’hui être remplacée par une autre écoute. Perraut Soliveres (2001, p.195) rappelle que « cherchant sur un terrain qu’il partage avec d’autres, il doit en même temps se préoccuper du risque de projection de son propre désir sur les autres ainsi que des intentions qu’ils lui prêtent. » Notre motivation pour continuer, dans les moments de doute et de fatigue, a été renforcée par cet intérêt partagé avec nos collègues, participant peut-être d’une co-construction470 de notre recherche. Nous avons, au cours de ces quatre années de recherche, pris conscience progressivement des répercussions de notre inscription dans ce travail et du changement produit sur notre pratique. Il nous apparaît, mais il ne s’agit là que de notre vécu, que cette double posture de praticien/chercheur nous a permis de garder une légitimité professionnelle tout en construisant notre légitimité universitaire. En tant que praticien/chercheur est-il possible de concilier ces deux postures ? Est-il possible d’être un chercheur, impliqué dans sa recherche et objectif, et un praticien, dont la connaissance des codes professionnels et l’implication subjective lui permettent d’avoir un questionnement centré sur des problématiques actualisées, parfois innovantes ? Faut-il obligatoirement que l’une des postures domine par rapport à l’autre ou est-il possible de faire sens en cheminant entre les deux ? Si cette posture de praticien/chercheur interroge depuis de nombreuses années (Kohn , 1984 ; Perraut

469 Comme le souligne Perraut Soliveres (2001, p.202) le praticien/chercheur « devra se redéfinir en

permanence dans son entreprise en fonction de ses propres avancées dans le questionnement de son monde en mouvement, mais il devra faire face aux attentes implicites, comme au rejet, de ceux qui l’entourent. »

470 Pour Clerc et Tomamichel (2004, p.4), les praticiens peuvent devenir des « co-constructeurs actifs dans

le travail de recherche »470 et pour Perraut Soliveres (2001, p.199) « construire un nouvel espace de

recherche, à partir d’une pratique professionnelle, est un moyen de donner la parole à une multitude d’acteurs (…) ».

Soliveres, 2001 ; Clerc et Tomamichel, 2004 ; De Lavergne, 2007 ; Péoc’h, 2008), l’implication apparaît souvent au centre des débats. Puisque le « praticien-chercheur gagnera une certaine épaisseur, une intelligibilité dans le repérage et l’acceptation de son implication » (Péoc’h, 2008, p.16), nous allons maintenant aborder notre implication dans cette démarche de recherche.

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