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CHAPITRE 1 : CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE À L’ÉTUDE

1.4 C ONTEXTE DU VIH/ SIDA DANS LES MILIEUX PROSTITUTIONNELS AU B URKINA F ASO ET

1.4.2 La prévention du VIH/sida en milieu prostitutionnel : quelques interventions en

Par leurs comportements sexuels, les travailleuses du sexe et leurs partenaires sexuels sont reconnus comme des « groupes à risque » et sont la cible de diverses interventions de prévention au VIH/sida. Le prochain point présente la nature des principales interventions réalisées en milieux prostitutionnels, les difficultés rencontrées et les leçons qui en sont tirées.

1.4.2.1 Nature des interventions

L’ampleur du VIH/sida et ses conséquences en Afrique, comme ailleurs dans les pays en développement, a favorisé l’émergence de nombreuses interventions tant dans la population générale que dans des milieux plus à risque comme c’est le cas du milieu prostitutionnel. À cet égard, les stratégies d’intervention se montrent assez diversifiées. Tout en présentant un résumé de ce qui se fait en Afrique sub-saharienne, nous aborderons d’autres types d’intervention réalisés ailleurs dans les pays en développement afin d’élargir notre horizon et notre capacité d’analyse critique.

L’une des premières interventions à avoir été mise sur pied est le marketing social, qui emploie des techniques classiques de marketing pour rendre le préservatif disponible et accessible aux populations des pays les plus pauvres. En Afrique sub-saharienne, des organismes de marketing social ont distribué et vendu des préservatifs à moindre coût à la population et dans différents milieux, dont celui de la prostitution. Ces activités étaient souvent accompagnées d’affiches publicitaires. Ces programmes ont présenté des résultats intéressants dans plusieurs pays, dont le Bénin et le Zaïre, faisant augmenter substantiellement les ventes de préservatifs et, dans certains cas (au Zaïre), diminuer l’incidence du VIH dans la population (ABMS et PSI, 1995; WHO, 1995).

Plusieurs interventions destinées à la population générale ou aux travailleuses du sexe se sont inspirées du modèle CACP, qui signifie « connaissance, attitude, croyance et pratique » (anglais KABP -knowledge, attitude, bielief and practice), et des résultats de ces études (Cleland et Ferry, 1995). Ce modèle soutient que l’amélioration des connaissances en matière de VIH/sida devrait amener la modification des comportements à risque des individus en des comportements de protection. Ainsi, les interventions qui se réfèrent au modèle CACP organisent des séances d’information et d’éducation sur le VIH/sida dans le but d’améliorer les connaissances. Ce type d’intervention est souvent combiné à la distribution de condoms et à d’autres stratégies telles que l’éducation par les pairs.

L’éducation par les pairs permet de faire de l’éducation pour la santé à l’aide de personnes connues et crédibles dans le milieu (UNAIDS, 2000). De tels programmes

destinés aux travailleuses du sexe ont donné des résultats intéressants sur l’utilisation du préservatif. Au Malawi des travailleuses du sexe et des camionneurs qui les fréquentent comme clients ont suivi une formation afin de distribuer et de promouvoir le préservatif auprès de leurs pairs (Walden, Mwangulube et Makhumula-Nkhoma, 1999). Au Sénégal, un programme d’éducation par les pairs destiné aux clients des travailleuses du sexe a montré qu’après un suivi de deux ans, ces hommes avaient augmenté significativement leur recours au préservatif comparativement au groupe contrôle (Léonard, Ndoye, Kapadia, Eisen, Diop, M’boup et al., 2000). Toutefois, l’éducation par les pairs ne fait pas qu’améliorer le recours au condom en milieu prostitutionnel. Elle favorise la reconnaissance du travail des travailleuses du sexe et permet de renégocier collectivement les normes sociales qui se manifestent dans le comportement sexuel (Campbell, 1998).

En outre, certains programmes d’éducation par les pairs favorisent la participation de tous les membres de la communauté qui gravitent autour des travailleuses du sexe, c’est-à- dire leurs partenaires sexuels payants et non payants, les gérants, les propriétaires et le personnel des sites de prostitution, ainsi que les autorités locales (policiers, militaires, fonctionnaires de l’immigration et agents de santé). En ce sens, l’expérience de Calabar au Nigeria (AIDSTECH/FHI, 1992) fait preuve d’une réelle approche communautaire où la situation et les besoins des travailleuses du sexe ne se limitent pas qu’à leur comportement sexuel mais s’étendent à l’ensemble de leur environnement quotidien, tant social que physique.

D’autres programmes d’intervention destinés spécifiquement aux travailleuses du sexe ont une approche similaire tout en incluant un volet biomédical. C’est le cas des Projets SIDA 3, développé par le CCISD (Centre de coopération international en santé et développement), présents dans neuf pays d’Afrique de l’Ouest (CCISD, 2001/2002). Ces programmes qui visent d’abord le contrôle et le traitement des IST9 par le suivi médical régulier des travailleuses du sexe, sont combinés à des interventions d’éducation et de sensibilisation sur le VIH/sida directement sur les sites de prostitution. Celles-ci sont

9 Les IST sont considérées comme une porte d’entrée au VIH et seraient en partie responsables de la

réalisées par des intervenants issus d’associations ou de petits groupes communautaires et par des pairs éducateurs(trices) issus du milieu prostitutionnel comme les travailleuses du sexe et leurs partenaires sexuels. De plus, des études épidémiologiques permettent de suivre la progression du VIH/sida dans cette population et d’ajuster les interventions au besoin.

Par ailleurs, l’empowerment (ou l’appropriation du pouvoir ou encore le pouvoir d’agir) serait une autre stratégie d’intervention pouvant favoriser l’autonomie des travailleuses du sexe et la prise de décisions légitimes de leur part (Champagne, 1999). Ce concept se baserait tant sur des aspects individuels (comme le sentiment d’efficacité personnelle) que collectifs (l’action politique). L’empowerment des travailleuses du sexe se réaliserait ainsi à travers la réussite de l’ensemble des activités menées. Toutefois, ce concept ne signifie pas que les travailleuses du sexe n’ont pas de pouvoir ou qu’elles souffrent d’impuissance (ou de « powerlessness ») puisque ce serait oublier leurs habiletés individuelles et collectives à répondre aux difficultés de leur quotidien (Campbell, 2000).

Enfin, la présentation de ces différents types d’intervention fait ressortir l’évolution et le raffinement des stratégies employées pour lutter efficacement contre le VIH/sida en milieu prostitutionnel. Des premières interventions fondées sur l’information et la distribution du préservatif, les programmes en sont arrivés à développer des stratégies multiples d’intervention qui touchent divers aspects des déterminants de l’environnement social et du comportement, et intègrent des bases théoriques et des recherches empiriques. Cette transition des priorités en santé vers une plus grande intégration des déterminants de l’environnement social et du comportement semble apporter des alternatives intéressantes à la lutte contre le VIH/sida en Afrique sub-saharienne.

1.4.2.2 Principales difficultés rencontrées

Malgré le recours à des stratégies efficaces, les interventions réalisées en milieu prostitutionnel ne se font pas sans heurts.

Tout d’abord, il faut savoir que l’intervention avec les travailleuses du sexe et leur communauté en est une de longue haleine et que des petits malentendus ou des

incompréhensions peuvent la faire échouer sans préavis (AIDSTECH/FHI, 1992; UNAIDS, 2000). Par exemple, une attention particulière doit être portée au fait que les pair- éducateurs(trices) ne reçoivent pas de traitement privilégié. En effet, si les travailleuses du sexe vivent assez bien avec leurs pairs, elles ne sont pas très solidaires entre elles et ressentent souvent une forme de jalousie à l’endroit de leurs pairs-éducatrices qui ont alors de la difficulté à se faire accepter dans leur milieu (Walden, Mwangulube et Makhumula- Nkhoma, 1999). Au Malawi, des travailleuses du sexe ont affirmé qu’il aurait été préférable que les pairs-éducatrices viennent d’un autre établissement que le leur. En ce sens, il serait intéressant d’observer de plus près ce qui fait que l’éducation par les pairs fonctionne ou non, en tenant compte du niveau de base de la solidarité entre les travailleuses du sexe.

Si les tensions entre les travailleuses du sexe est un problème réel, il semblerait toutefois que la principale difficulté rencontrée dans trois projets d’Asie du Sud-Est10 ait été incontestablement l’action politique organisée pour combattre la répression policière et la violence envers les travailleuses du sexe en s’alliant directement à celles qui la créent, c’est-à-dire les autorités locales elles-mêmes (UNAIDS, 2000). Cette difficulté a également été rapportée dans le document décrivant l’expérience d’intervention en milieu prostitutionnel réalisée à Calabar au Nigeria (AIDSTECH/FHI, 1992) et par les Projets

10 Une étude de cas réalisée par ONUSIDA (2000B) présente trois programmes d’interventions en milieu

prostitutionnel en Asie du Sud-est: le projet Sonagachi, de l’Inde, le Transex project, de la Papouasie Nouvelle Guinée et le projet Shakti, du Bangladesh. Les programmes Sonagachi et Shakti s’adressent aux travailleuses du sexe travaillant dans les établissements de prostitution alors que le Transex project s’intéresse aux travailleuses du sexe qui travaillent dans les clubs ou dans la rue et auprès des hommes qui travaillent dans les transports (camionneurs, marins, débardeurs), dans la police et la sécurité. Ces trois programmes qui ont chacun leurs particularités, ont été développés à partir de recherches qualitatives et quantitatives sur le terrain. En plus des services de santé offerts, ces programmes disposent d’un large éventail de stratégies d’intervention : l’éducation par les pairs, la promotion et la vente de préservatifs par les travailleuses du sexe, l’empowerment individuel et de groupe, l’action politique auprès des instances de pouvoir (police et gouvernement) et l’intégration et la collaboration dans les interventions du réseau social et sexuel tels que les différents partenaires sexuels, les organisations non-gouvernementales (ONG) locales et parfois les instances du pouvoir. Dans chacun des projets, toutes ces stratégies d’intervention sont liées entre elles et répondent aux déterminants de l’environnement et du comportement, comme la question des inégalités de genre, la répression et le sentiment d’efficacité personnelle. Malgré quelques limites, ces trois projets ont montré des résultats forts intéressants en ce qui concerne la défense et la reconnaissance des droits des travailleuses du sexe, ainsi que la pérennité des activités. Les résultats concernant la prévention du VIH/sida sont également très positifs et les interventions sont reconnues par ONUSIDA comme faisant partie des meilleures pratiques réalisées auprès des travailleuses du sexe.

SIDA 3 en Afrique de l’Ouest (CCISD, 2002). Ce type d’action doit donc être réalisé avec beaucoup de tact mais il semblerait que l’effort en vaille le coût.

Ensuite, le fait que les travailleuses du sexe soient très mobiles peut rendre difficile le succès et surtout la pérennité des interventions. Au Malawi, par exemple, les travailleuses du sexe pairs-éducatrices arrêtaient d’exercer cette fonction lorsqu’elles changeaient d’établissement (Walden, Mwangulube et Makhumula-Nkhoma, 1999). La participation et l’engagement constant des travailleuses du sexe n’est donc pas chose facile. Un programme d’intervention sous forme de réseau entre différentes villes et pays pourrait peut-être contrer cette lacune.

Enfin, la mesure de l’efficacité des interventions réalisées auprès des travailleuses du sexe afin d’en vérifier les effets sur l’incidence du VIH semble parfois problématique car les infrastructures des programmes ne permettent pas toujours le choix d’indicateurs fiables ou faciles à utiliser. En effet, les cohortes ne constituent pas un choix abordables économiquement pour les interventions à petits budgets, la mesure des IST (comme indicateur du VIH) à l’aide d’algorithmes n’est pas réellement efficace dans un groupe où les IST sont élevées, la mesure de l’utilisation du condom est souvent confrontée à la désirabilité sociale, le calcul du nombre de boîtes vendues ne tient pas compte des condoms gratuits ou ceux qui sont achetés et donnés à des pairs et, finalement, les intervenants manquent souvent de temps pour suivre consciencieusement les indicateurs choisis (UNAIDS, 2000). Quoi qu’il en soit, il est tout de même possible de dresser un portrait des caractéristiques qui se sont avérées efficaces jusqu’à maintenant.

1.4.2.3 Caractéristiques des interventions qui se sont avérées efficaces

Lors du 4e Congrès international sur le sida en Asie, en octobre 1997, une session avait porté sur les meilleures pratiques touchant les professionnelles du sexe. En s’inspirant de cette initiative et à partir des quelques interventions qui ont été présentées plus haut, il est pertinent de présenter les stratégies qui se sont avérées efficaces dans la lutte contre le VIH/sida en milieu prostitutionnel. Notons toutefois que les conclusions du congrès en Asie ne se limitent pas aux interventions réalisées en Afrique.

Tout d’abord, la participation et l’engagement des travailleuses du sexe dans la planification et le fonctionnement des interventions se sont avérés des éléments essentiels pour le succès et la pérennité des interventions. De plus, les interventions devraient rejoindre non seulement les travailleuses du sexe mais également les différents acteurs qui gravitent autour d’elles, c’est-à-dire leur clients et partenaires sexuels, le personnel et les propriétaires d’établissements (AIDSTECH/FHI, 1992; Fajans, Ford et Wirawan, 1995), malgré les difficultés méthodologiques que cela implique (Léonard et al., 2000). Il pourrait être envisagé, comme cela a été fait avec succès en Asie, que les propriétaires des sites de prostitution implantent des politiques d’utilisation du condom à l’intérieur même de leur établissement, pour encourager ce comportement chez les travailleuses du sexe et leurs clients (Sedyaningsih-Mahamit, 1997). Cela contribuerait à reconnaître la responsabilité des partenaires sexuels envers le VIH et à enlever un poids de responsabilité aux travailleuses du sexe. Nous sommes d’avis que de ne pas intégrer le réseau social et sexuel des travailleuses du sexe dans les interventions revient à ignorer ce qu’est réellement le phénomène de la prostitution. En ce sens, la collaboration entre les organisations non gouvernementales (ONG) locales qui travaillent à la lutte contre le VIH/sida en milieu prostitutionnel et les structures du pouvoir social (police et gouvernement) favoriserait la diminution de la répression et de la violence faites aux travailleuses du sexe (UNAIDS, 2000). Si cette stratégie s’avère des plus complexes, les résultats qui en découleraient pour les travailleuses du sexe vaudraient leur pesant d’or.

Les interventions qui permettent, par l’empowerment ou toute autres stratégie habilitante, de développer des habiletés visant à faire tomber les contraintes du sexe sécuritaire sont apparues plus efficaces que les autres (UNAIDS, 2000). L’important dans cette démarche habilitante serait d’aider les travailleuses du sexe à développer des compétences afin qu’elles acquièrent un certain pouvoir qui leur permette d’exercer un contrôle sur leur environnement.

Certains auteurs s’entendent pour dire que les interventions doivent viser directement les normes sociales et sexuelles qui sont responsables des inégalités entre les hommes et les femmes et, par le fait même, de la vulnérabilité de chacun (Campbell, 1998, Gupta, 2000). Il faudrait tenter de faire prendre conscience aux travailleuses du sexe et à leurs partenaires

sexuels de l’existence de ces normes et, par l’intermédiaire de stratégies, les amener à trouver un nouvel équilibre en redéfinissant ces normes.

Les interventions gagneraient également à être développées à partir des résultats de la recherche et de bases théoriques. La combinaison de plusieurs méthodes de recherches (comme le qualitatif et le quantitatif) semblerait apporter une plus grande richesse d’information. Les auteurs s’entendent aussi pour dire que si tout programme d’intervention peut être appliqué ailleurs, il doit d’abord et avant tout être adapté aux caractéristiques spécifiques de chaque milieu, d’où l’importance d’une recherche menée rigoureusement (Maticka-Tyndale, Elkins, Haswell-Elkins, Rujkarakorn, Duyyakanond et Stam, 1997; UNAIDS, 2000). Les recherches permettraient aux interventions préventives de correspondre aux besoins de chaque groupe visé (Piot et Aggleton, 1998) et constitueraient un bon moyen, de résister ou de s’adapter aux changements idéologiques et au climat social (Guay, 1987).

Enfin, la combinaison de différentes stratégies d’intervention (marketing social, empowerment, action politique et éducation par les pairs) semble judicieuse. Chaque stratégie interagirait avec les autres et contribuerait à augmenter l’efficacité et la portée des interventions. Blair (1997), qui fait une revue des leçons apprises des interventions destinées aux travailleuses du sexe en Afrique sub-saharienne, considère que ces interventions devraient contenir les éléments suivants : la recherche de base, la mobilisation des communautés et des groupes, l’information, l’éducation et la communication, la promotion du condom, des services médicaux pour traiter les IST, ainsi que l’évaluation des interventions à l’aide de méthodes qualitatives et quantitatives. À cet égard, deux interventions, l’une au Bénin et l’autre en Côte d’Ivoire, combinant l’ensemble de ces éléments ont fait l’objet d’évaluations au cours des années 1990 (Alary et al., 2002; Ghys et al., 2002). Les résultats montrent l’effet positif des interventions combinées sur le recours au condom, le taux d’IST et d’infection au VIH chez les travailleuses du sexe. Toutefois, comme nous en discuterons plus loin, ces interventions n’étaient pas les seules à contribuer à l’augmentation du recours au condom et à la diminution des IST et de l’infection au VIH chez ces femmes.

1.4.3 Déterminants environnementaux et comportementaux du VIH/sida en milieux