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8. Evolution des composés azotés organiques sédimentaires

8.2. Préservation de l’azote organique dans les sédiments anciens

Les différents modes de stabilisation de l’azote évoqués précédemment sont susceptibles de contribuer à la préservation de la matière organique dans les sédiments anciens. Cette préservation aboutit à la formation du kérogène, la fraction insoluble (dans les solvants organiques) et principale de la matière organique (Baudin et al., 2007; Vandenbroucke et Largeau, 2007). Les analyses effectuées sur la matière organique totale reviennent donc grossièrement à l’analyse du kérogène, surtout si des traitements chimiques sont effectués (e. g. perte de composés hydrolysable ; Tissot et Welte, 1984). L’analyse de sédiments riches en matière organique le long d’une séquence diagénétique permet d’appréhender les modalités de préservation de la matière organique et plus particulièrement de l’azote organique. Ainsi, les tourbes, les lignites et les charbons fournissent cette opportunité.

Dans les tourbières, la décomposition anaérobie des plantes est sélective. Les carbohydrates (cellulose, hémicellulose) sont dégradés préférentiellement par rapport à la lignine (e. g. Bates

et al., 1991). Pour l’azote, il a été montré qu’il subsistait sous forme d’amides/peptides tout

au long de la diagenèse précoce, probablement par encapsulation/piégeage dans des biopolymères réfractaires, étant donné la faible proportion de minéraux dans les tourbières (Knicker et al., 2002; Knicker, 2004). Mais à un stade plus avancé, probablement à la transition diagenèse/catagenèse, des composés aromatiques hétérocycliques (e. g. pyrroles) sont détectés en RMN-15N (Knicker et al., 2002). Ces structures sont détectées également dans les algues fossiles (Knicker et al., 1996a). Deux mécanismes sont proposés pour expliquer « l’apparition » de composés hétérocycliques dans les sédiments anciens :

(i) La préservation préférentielle de composés hétérocycliques déjà présents dans les sédiments (Knicker et al., 1996a; Knicker, 2004).

(ii) La transformation abiotique des amides/peptides en composés hétérocycliques par cyclisation et/ou réarrangements lors de la fossilisation (Knicker, 2004).

Chapitre II : L’azote, du cycle global actuel à l’archive géologique. Attentes de l’outil isotopique

48 Le premier mécanisme est appuyé par la présence de porphyrine (Figure II.12), constituant de la chlorophylle, dans les sédiments anciens. Or la porphyrine est un précurseur de composés hétérocycliques comme les pyrroles (Figure II.16 ; Knicker et al., 1996a; Knicker, 2004).

Le deuxième mécanisme est quant à lui fortement appuyé par des expériences de maturation artificielles (par pyrolyse) comparées à des matières organiques à différents stades de maturation (Kelemen et al., 2006). Ces expériences ont montré par XPS/RMN-15N que dans les tourbes, la grande majorité de l’azote (82 à 89 %) se trouve sous forme d’amides (Figure II.16 A ; Kelemen et al., 2006). Les deux autres formes principales sont l’azote quaternaire (7 à 13 %) et pyridinique (4 à 9 % ; Kelemen et al., 2006). L’azote quaternaire est en général associé à des structures pyridiniques protonées (Pels et al., 1995), dont la formation résulte de la création d’espèces azotées basiques et de fonctions acides, et de leur interaction durant le processus de lignification (Kelemen et al., 2006). La stabilisation/préservation de l’azote organique dans les tourbières est mieux expliquée par le rôle des biopolymères réfractaires que par la présence de composés hétérocycliques puisque ces derniers ne représentent que ~20 % des structures azotées (Knicker, 2004). En outre, les sédiments et les sols, même de plusieurs milliers d’années ne contiennent pas non plus, ou peu, de structures pyridiniques, pyrroliques ou d’azote quaternaire (Figure II.16 A ; Almendros et al., 1991; Knicker et al., 1993, 1996a; Knicker et Lüdemann, 1995; Knicker, 2004). Par conséquent, la formation de molécules hétérocycliques n’est pas un mécanisme majeur de stabilisation de l’azote organique durant les premiers stades de fossilisation, a priori durant toute la phase de diagenèse (Figure II.16 A ; Knicker, 2004).

Lors de la pyrolyse de tourbes fraîches, à 350 °C/5 min, la proportion d’azote sous forme quaternaire n’a pas augmenté (8 à 10 %), alors que celle sous forme pyridinique a considérablement augmenté (de <9 % à 29-40 %). Mais la majorité de l’azote est resté sous forme de pyrroles et d’amides (52 à 65 % ; Figure II.16 B ; Kelemen et al., 2006). L’estimation de la proportion entre amides et structures pyrroliques n’est pas évidente car ces deux formes d’azote sont caractérisées par un signal similaire en XPS. Seule l’analyse couplée en RMN-15N permet d’identifier un changement des structures amides (-240 à -305 ppm) vers des structures pyrroliques (200 à 270 ppm), par un élargissement du pic et un glissement de son apex de -260 ppm à -240 ppm (Figure II.17 ; Kelemen et al., 2006).

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Figure II.16 : Evolution conceptuelle des structures principales azotées au sein des roches sédimentaires d’après

les travaux de Knicker et al. (1996b, 2002), Knicker (2004) et Kelemen et al. (2006). Les pourcentages font référence à la proportion des types de structures représentés dans chaque cadre durant (A) la diagenèse précoce, (B) la diagenèse tardive et (C) la catagenèse. La taille des flèches est relative à l’importance des processus. MO, matière organique.

Dans les lignites naturels, la proportion de structures pyridiniques est également plus forte (16-21 %) que dans les tourbes fraîches (4 à 9 %) et la majorité de l’azote est encore sous forme pyrrolique et d’amides (65 à 67 % ; Kelemen et al., 2006). Par contre, la proportion d’azote quaternaire est la plus forte (15-19 %), comparée aux tourbes fraîches (7-13 %), au tourbes traitées thermiquement (2-10 %) et aux charbons (<10 %; Kelemen et al., 2006). La formation d’azote quaternaire nécessite des conditions acides (Pels et al., 1995), que l’on trouve dans les

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50 dépôts tourbeux naturels. La prédominance de cette structure dans les lignites et son absence dans les tourbes traitées thermiquement reflètent probablement la perte des fonctions acides des tourbes fraîches durant la pyrolyse (Kelemen et al., 2006). Enfin, les concentrations d’azote sont plus importantes dans les tourbes fraîches et dans les tourbes traitées thermiquement, comparées aux lignites et charbons naturels. Cela suggère une perte d’amides par hydrolyse au cours de la lignification à l’état naturel (Figure II.16 B ; Kelemen et al., 2006).

Figure II.17 : Spectres 15N-RMN de deux tourbes non altérées, puis après pyrolyse. Tourbe 1, Lox. Nym. Tourbe 2, Oke. Tax. (modifié d’après Kelemen et al. 2006).

Dans les charbons, correspondant à un stade de maturité plus avancé que les lignites, les structures pyridiniques atteignent les niveaux les plus élevés (30-40 %) comparées aux stades tourbes et lignites (Figure II.16 C ; Kelemen et al., 2006). Par contre, les structures pyridiniques n’ont pas pu être mises en évidence par RMN-15N dans les charbons (Knicker et

al., 1995, 1996b; Kelemen et al., 2006). Un problème de sensibilité des instruments pour ce

genre de structures a été suggéré. Pour les autres structures, la combinaison de l’XPS et de la RMN-15N a permis d’attribuer la majeure partie du signal (400,2 eV) aux structures pyrroliques (Kelemen et al., 2006). Ces structures seraient issues de (i) la perte de groupes fonctionnels acides durant la bituminisation et/ou (ii) la conversion d’amides en structures pyrroliques ou pyridiniques par réarrangement/cyclisation (Figure II.16 C ; Kelemen et al., 2006). Le premier mécanisme pourrait expliquer la très faible concentration en azote quaternaire (<5 %), voir son inexistence dans les échantillons à haut rang de maturation (Kelemen et al., 2006).

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