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Bien qu’il soit impossible d’évaluer l’incidence de chaque processus sur le δ15Norg dans le passé, il est raisonnable de penser que derrière quasiment chaque processus, un lien direct ou indirect peut être établi avec le climat ou plus généralement l’environnement puisqu’il agit sur la biosphère tout entière (Figure II.4 et Figure II.6). A partir des quelques exemples décrits dans la partie précédente, il apparait que la disponibilité en eau et en nutriment sont les facteurs principaux contrôlant le δ15Norg via l’ouverture relative du cycle de l’azote au sein du système plante/sol (Austin et Vitousek, 1998; Handley et al., 1999; Martinelli et al., 1999; Aranibar et

al., 2004 ; Swap et al., 2004; Liu et Wang, 2008; Ma et al., 2012). Ces différents auteurs ont

proposé et affiné au fil du temps les mécanismes responsables d’enrichissement et d’appauvrissement en 15N du système pour expliquer les tendances climatiques observées dans le δ15Norg. On peut extraire de leurs recherches les principes suivants, modélisés dans les Figure II.7 Figure II.8 (modèles affinés de Storme et al. 2012) :

En milieu humide (Figure II.7 A), la végétation n’est pas limitée par la disponibilité en eau, mais elle l’est par la disponibilité des nutriments dont l’azote. Dans un système à l’équilibre, la matière organique (MO) vivante et morte concentre la majeure partie de l’azote du système où le réservoir minéral – source d’azote facilement assimilable par les plantes – est très limité (Handley et al., 1999). L’azote de la MO morte est réassimilé rapidement par les organismes vivants, soit directement (Lipson et Näsholm, 2001), soit à la suite de sa minéralisation par des processus microbiens. On parle alors de recyclage de l’azote entre les organismes morts et les organismes vivants au sein d’un cycle fermé, c’est-à-dire avec des pertes d’azote très limitées. Le recyclage de l’azote conduit à un appauvrissement en 15N du système (faible δ15N). Bien que l’origine de cet appauvrissement soit mal connu, le lessivage des produits organiques dégradés (enrichis en 15N) sous forme dissoute a été suggéré (Handley

et al., 1999). Parallèlement, le lessivage des nitrates (potentiellement appauvris en 15N) est limité par la faible taille du réservoir minéral. En outre, ce dernier subit un renouvellement rapide de son azote par la succession des processus de minéralisation-assimilation-MO morte-reminéralisation. Ainsi, le temps de résidence de l’azote dans le réservoir minéral et la faible taille de ce réservoir, ne permettent pas un enrichissement en 15N important par des processus de dégazage. Les pertes en azote sont donc limitées et l’azote est dit immobilisé, c’est pourquoi on parle d’un cycle de l’azote fermé avec recyclage interne de l’azote organique (Austin et Vitousek, 1998; Handley et al., 1999; Swap et al., 2004; Liu et Wang, 2008; Ma et al., 2012).

Chapitre II : L’azote, du cycle global actuel à l’archive géologique. Attentes de l’outil isotopique

34 En milieu aride/semi-aride (Figure II.7 B), la faible disponibilité en eau est un facteur limitant pour les plantes. Le couvert végétal ainsi que l’activité microbienne des sols diminue, ce qui ralentit drastiquement le recyclage de l’azote et par conséquent augmente la proportion d’azote qui est minéralisé (Handley et al., 1999; Swap et al., 2004). Le réservoir minéral croît et son renouvellement ralentit, l’exposant à d’importantes pertes d’azote par dégazage de produits appauvris en 15N (e. g. volatilisation de l’ammonium ; Talbot et Johannessen, 1992). Il y a donc perte d’azote. On parle ici d’ouverture du cycle de l’azote. Aranibar et al. (2004) ont par ailleurs montré que les émissions de NO étaient maximales avec des températures élevées (30-40°C) et une humidité des sols faibles (10-23%) ; ce qui contribue à l’enrichissement des sols en 15N et donc à une hausse du δ15N du système. Les plantes ont alors à disposition un réservoir d’azote inorganique en excès avec une signature isotopique élevée.

Pour conclure, l’ouverture du cycle de l’azote au sein d’un écosystème se définit par « l’importance relative du recyclage interne de l’azote par l’écosystème versus l’importance relative des entrées/sorties d’azote dans l’écosystème » (Handley et al., 1999).

Figure II.7 : Modèle amélioré des effets de (A) l’humidité et de (B) l’aridité sur le δ15N du système plantes/sol d’après Storme et al. (2012). Dans ce modèle, (A) c’est le recyclage rapide de l’azote et le lessivage de l’azote organique qui est principalement responsable des faibles valeurs de δ15N. Inversement, (B) le faible recyclage de l’azote entraîne une hausse des valeurs du δ15N par dégazage de l’azote du réservoir minéral. DON : Dissolved Organic Nitrogen (Azote Organique Dissous).

Des données acquises en Afrique du Sud montrent clairement l’influence de l’aridité sur les valeurs de δ15Norg, par l’accumulation d’azote dans le système (Swap et al., 2004). Les réservoirs sont alors soumis aux processus microbiens à deux niveaux : (i) une activité constante et lente pendant une longue période d’aridité (cycle ouvert, enrichissement en 15N)

35 et (ii) une activité intense et rapide pendant une courte saison des pluies (cycle fermé, appauvrissement en 15N), qui ne suffit pas à recycler l’ensemble de l’azote accumulé durant la saison sèche et donc à contrebalancer l’enrichissement accumulé en 15N du système (Swap et

al., 2004).

Par ailleurs, l’interprétation des valeurs de δ15Norg se complique dans les environnements tropicaux, certes humides, mais très riches en azote, avec des entrées/sorties très supérieures à la capacité de recyclage interne de l’écosystème (Martinelli et al., 1999). Les pertes en azote sont donc importantes. L’écosystème fonctionne alors en cycle ouvert et les valeurs de δ15N du système augmentent, d’où des valeurs plus élevées en moyenne de 6,5 ‰ dans les forêts tropicales, comparées aux forêts tempérées (Figure II.8 ; Martinelli et al., 1999). Les travaux d’Houlton et al. (2007) à Hawaï confirment ce raisonnement avec une augmentation du δ15Norg qui est fonction de la baisse de la concentration en nitrate dans les sols. Plus leur concentration diminue, par dénitrification, plus leur signature isotopique augmente. En revanche, ces auteurs ont suggéré une limite (> 3 500 mm de précipitation) au-delà de laquelle les nitrates sont totalement dénitrifiés, ce qui inhibe l’enrichissement en 15N des sols (Houlton et al., 2007). Les pertes excédant les apports, l’azote devient limitant et le système s’appauvrit en 15N en consommant de l’ammonium (appauvri par nitrification) en cycle fermé.

Figure II.8 : Modèle

montrant l’influence de l’ouverture du cycle de l’azote causé par l’excès d’apport et de perte d’azote sur les valeurs de δ15N. L’azote, non limitant, est rapidement minéralisé et dénitrifié. Le réservoir minéral s’accroit et s’enrichit en 15N par dénitrification. Le recyclage interne de l’azote et le lessivage ne suffit pas à contrebalancer l’enrichissement du système.

Chapitre II : L’azote, du cycle global actuel à l’archive géologique. Attentes de l’outil isotopique

36 Bien que les mécanismes d’enrichissement ou d’appauvrissement en 15N des écosystèmes terrestres ne soient pas encore très bien compris (Handley et al., 1999; Craine et

al., 2015), les nombreuses études sur le sujet tendent à montrer que la disponibilité en eau, en

azote et dans une moindre mesure la température, sont les principaux facteurs influençant le δ15N des plantes et des sols. Surimposé à ces facteurs, certains auteurs ont proposé que les associations mycorhiziennes, dépendantes des conditions climatiques, expliquaient également une part importante de la variance des valeurs de δ15N des plantes et des sols (Craine et al., 2009; Hobbie et Högberg, 2012).

Les questions essentielles qui se posent maintenant pour utiliser le δ15N des matières organiques terrestres comme marqueur paléoclimatique sont : (i) l’origine de l’azote organique sédimentaire et (ii) l’influence de la diagenèse (précoce et/ou tardive) sur le signal isotopique primaire.